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(telles que la dime, la taxe des pauvres, etc.) dont la terre est grevée et qui dans la législation fiscale d'outre-Manche jouent le même rôle que les centimes additionnels départementaux et communaux remplissent dans le budget français, s'élèvent par compensation au total énorme de 358 millions de francs (1). Il semble qu'écrasée sous un tel fardeau, l'agriculture anglaise devrait déchoir et couvrir le sol de ses ruines; et cependant, partout retentissent ses louanges et ses hauts faits; elle grandit, progresse et grandit encore..., tant il est vrai que la propriété n'a rien à craindre des charges qui lui sont imposées dans un intérêt prochain et pour une utilité locale!

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DIVISION

DU SUJET. – I. Ancienne organisation de l'industrie féminine. — II. Les fileuses et les tricoteuses. III. Les dentellières et les brodeuses. - IV. Différentes industries parisiennes et départementales. · V. L'ouvrière à l'atelier. VI. Essais d'amélioration.

I.

ANCIENNE ORGANISATION DE L'INDUSTRIE FÉMININE.

Dans l'ancienne France, les attributions de chaque sexe étaient définies et limitées par les corporations d'arts et métiers. Leurs règlements admettaient les femmes à l'inspection du travail, dans les industries exercées exclusivement par elles. Elles prenaient alors le titre de maistresse de mestier ou de preudes femmes. Les occupations communes aux deux sexes, comme le tissage de la soie, comptaient un nombre égal de preud'hommes et de preudes femmes. Au xive siècle, la magistra

(1) Mac Culloch. On taxation and the funding system, p. 93. Mac Culloch affirme que la terre est deux fois plus grevée en Angleterre qu'en France. (2) Ce travail est extrait du mémoire inédit couronné par l'Académie de Lyon le 21 juin 1859, sur l'amélioration du sort des femmes.

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ture des filassiers de Rouen était confiée à une femme. Quand les ouvrières ne géraient pas de charges dans les communautés d'hommes, la même exclusion frappait ceux-ci dans les corporations de femmes. L'ouvrier, admis au service d'un maître, pouvait, après un an révolu, faire travailler sa femme, bien qu'elle n'eût point fait d'apprentissage. Dans diverses corporations, l'apprenti qui épousait une fille de maître était exempté de ses deux années de compagnonage.

Les statuts accordaient une réduction des droits payables pour la maîtrise, à l'étranger épousant une fille de maître, qui, elle aussi, pouvait prendre un établissement, après apprentissage de la profession. Les filles étaient admises à dix-huit ans à la maîtrise, quoique les hommes ne pussent l'être qu'à vingt.

Louis XVI, accordant une grande latitude au sexe à qui sa faiblesse, dit-il, a donné plus de besoins et moins de ressources, déclare favoriser ses efforts individuels, pour ne point seconder la séduction et la débauche.

L'édit qu'il promulgua à cet effet (août 1776) admit les femmes aux professions d'après des bases si larges, qu'elles purent entrer dans la corporation des pêcheurs. Un arrêt subséquent (1), sans forme impérative, suppliait, en des termes empreints de la plus bienveillante protection, les filles, et en particulier les jeunes filles de dix-huit ans, de ne point se faire inscrire sur le registre des pêcheurs, vu le danger qui pourrait en résulter pour les bonnes mœurs, et les graves accidents auxquels la santé trop faible de ces femmes, leur inexpérience dans ces travaux, les exposeraient.

Les anciennes associations protégeaient particulièrement les veuves; elles pouvaient continuer le commerce de leur mari défunt, souvent même après un second mariage avec un homme étranger au métier du premier.

Les corporations des bouchers et des boulangers ayant attaqué le droit des veuves remariées, en alléguant que les statuts exigeaient qu'on exerçât personnellement la profession, les arrêts du parlement confirmèrent ces femmes dans leurs priviléges.

Une ordonnance de 1710 établissait aussi les droits d'une veuve inquiétée dans son commerce de blé par les marchands de Vitry.

Les maîtres argentiers avaient fondé un hospice pour recueillir leurs vieillards, leurs infirmes et leurs veuves.

Les statuts des associations obligeaient en général à soutenir les veuves de maîtres; on concédait même à ces femmes plein droit d'exercice dans les fonctions les plus étrangères à leur sexe, en leur accordant

(1) Arrêt de la Table-Ronde, concernant la pêche, 3 septembre 1776.

latitude de les faire gérer. Ainsi, la veuve d'un maître chirurgien pouvait exercer la charge du défunt, si elle présentait au jury un garçon qui devait être examiné gratuitement; quand, pour les opérations décisives et la levée des appareils, on exigeait la présence ou les avis d'un maître, il était forcé, sous peine de cinquante livres d'amende, de faire, à la place de ces garçons, sans rétribution aucune, les deux premières visites.

Les garçons agréés allaient, chaque année, renouveler leur enregistrement, accompagnés de la veuve dont ils continuaient la clientèle.

On concédait les mêmes priviléges à la veuve du maître apothicaire, pendant sa viduité, et les années que le gérant de ses affaires passait chez elle lui étaient comptées comme temps de service.

Pour être reçu maître libraire ou imprimeur, il fallait avoir fait un apprentissage de quatre années consécutives, servi trois ans au moins comme compagnon, subir une information de vie et mœurs, attester devant le recteur de l'université qu'on était congru en langue latine, et qu'on savait lire le grec. Les veuves des imprimeurs et des libraires, cependant, avaient toutes immunités d'exercice pendant leur viduité; si elles contractaient un second mariage, leurs maris devaient acquérir les connaissances exigées pour l'obtention de la maîtrise.

L'édit d'août 1776, modifiant celui de février de la même année, sur la suppression des jurandes, laissait la liberté à de nombreuses industries, en érigeant de nouveau six corps marchands et quarante-quatre communautés d'arts et métiers, où des droits égaux étaient acquis partout aux artisans de l'un et de l'autre sexe. Les trois quarts des recettes d'admission payaient les pensions accordées aux maîtres pauvres et à leurs veuves.

Cependant, cet édit qui favorisait relativement les veuves, et leur permettait d'exercer leur profession sans payer aucun droit, restreignit leurs anciens priviléges, en les obligant à se faire recevoir maîtresses elles-mêmes, un an après la mort de leurs maris; elles étaient alors allégées de moitié des frais fixés par le tarif d'admission; le veuf d'une maîtresse se trouvait soumis aussi à la même loi.

De nombreuses réclamations en faveur des veuves arrivèrent aussitôt jusqu'à Louis XVI. Il s'empressa de déclarer que son intention étant de faciliter à tous ses sujets, et particulièrement aux veuves, les moyens de subsister par le travail, il permettait, comme par le passé, aux maîtres et aux maîtresses de transmettre leurs professions à leurs maris et à leurs femmes (1).

Quoique la veuve pût entrer directement comme l'homme dans les

(1) Déclaration concernant les veuves de maîtres, dans les corps et communautés d'arts et métiers. Versailles, 18 août 1777.

corporations, on l'y protégea quelquefois au point d'accorder sans examen et sans frais la maîtrise à tout homme épousant une veuve de maître.

La veuve, même en contravention, trouve grâce devant une miséricordieuse justice; un arrêt de la cour des monnaies (4 septembre 1776), qui défend de mettre en vente des poids non étalonnés, amnistie par indulgence la veuve Foucault, maître balancier; il fait dormir la loi en sa faveur, et lui rend les poids saisis chez elle.

Mais l'action la plus salutaire et la plus générale des corporations d'arts et métiers, pour le bien-être de la femme, consistait dans le respect des mœurs, dont elles étaient les gardiennes puissantes et sévères; dans les limites des droits de chaque sexe, qui arrêtait cet empiètement effrayant des hommes dans les carrières féminines.

Le concubinage, cet état presque normal aujourd'hui d'une si grande partie de nos populations ouvrières, était tellement flétri autrefois, que les statuts des corporations défendaient d'admettre un concubinaire, et que la moindre irrégularité dans les mœurs était un motif d'exclusion de toute communauté.

On abattait publiquement l'ouvroir ou l'atelier du maître et de la maîtresse dont la conduite n'était point exemplaire. Un maître étranger, allant habiter une ville avec une femme, n'était pas admis avant d'avoir fait justifier de la célébration de son mariage, que les statuts lui imposaient parmi les obligations de sa charge.

Défense était faite aux tisserands et ouvriers de gracieuser les filles de leurs confrères, s'ils n'avaient pas l'intention de les épouser.

L'apprenti même, soupçonné d'avoir courtisé une femme sans motif honnête; était déchu de ses droits à la maîtrise, et le séducteur exclu de toutes les corporations.

Cette justice légale, cette sévérité protectrice de la femme, était la confirmation des lois de l'Eglise, excommuniant les concubinaires dans les conciles, et les désignant nominativement au prône comme retranchés de la communion des fidèles.

L'aumône du métier, indépendante de l'aumône générale, consistait, dans les corporations, à marier de pauvres orphelines.

Dans le même esprit, on prononçait une amende de trois à six livres contre celui qui, pendant le travail de l'atelier, proférait des blasphèmes, des paroles obscènes, des railleries, des menaces, ou qui même eût raconté des histoires propres à distraire les travailleurs.

Au moyen âge, si la femme avait à attendre une plus grande part de justice, à titre d'être absolu, elle se trouvait tellement absorbée ainsi comme être relatif, qu'elle ne se dégage pas encore dans l'histoire; elle ne nous apparaît qu'à l'ombre du cloître, et nous la voyons partout protégée au foyer domestique, à titre de fille, de femme ou de veuve de

maître, de fiancée d'ouvrier, de compagnon, et par cette inspection morale surtout, qui, comme nous venons de le voir, refusait les honneurs de la maîtrise au compagnon concubinaire, et frappait la séduction de peines poussées jusqu'à la barbarie.

Si nous trouvons des hommes dans la corporation des brodeurs, ce n'est pas une raison pour croire qu'ils s'occupaient de travaux féminins comme les hommes de notre siècle, car l'apprenti qui ne se sentait point le talent de devenir maître, restait toujours apprenti plutôt que d'échanger le rabot contre le dé et l'aiguille. S'il eût tenté cette dérogation aux usages reçus, il aurait été accueilli par les huées de ses compagnons de travail. La broderie blanche, sur mousseline, n'était pas connue au moyen âge; pour ces lourdes broderies sur soie et sur laine, en or et en argent, destinées aux tentures, à l'ornementation des églises, des vêtements des prêtres, des armoiries d'or, des croix du Saint-Esprit sur velours, etc., le livre des métiers statue (règlement de 1310), que peut être broudeur et brouderesse qui veut, pour quoi il sache fere le mestier de brouderie aus us et aus coutumes du mestier. Dans ce recueil, je trouve à peine quelques noms de broudeurs, au milieu d'un grand nombre de brouderesses.

Cette broderie était bien moins vétilleuse que les travaux de tapisserie donnés quelquefois aujourd'hui comme passe-temps aux jeunes hommes désœuvrés.

L'autorité intervenait partout pour fixer les droits respectifs de chaque sexe, d'après ses aptitudes naturelles; si la corporation des tailleurs pense que celle des couturières a empiété sur ses attributions, cette affaire litigieuse est laissée à l'arbitrage des tribunaux industriels; des preud'hommes et des preudes femmes décideront que les tailleurs fripiers ont, concurremment avec les maîtresses couturières, le droit de confectionner des corsages de robe, mais que les habillements sans corsage sont réservés exclusivement aux couturières (1).

Nous avons vu, du reste, quelle protection particulière Louis XVI et Turgot accordèrent aux femmes en dehors de la liberté générale.

Il n'est pas même besoin de porter un jugement sur le passé pour apprécier la position actuelle de la femme devant toute espèce de salaire.

Des démarcations bonnes ou mauvaises, imparfaites si l'on veut, étaient tracées autrefois entre les travaux de chaque sexe; les lois eussentelles favorisé l'homme, il ne faudrait pas pour cela crier au scandale, car il méritait des avantages particuliers, en raison même de l'organi

(1) Les corporations admettaient des cabaretières : les Bollandistes citent Marie Rousseau, cabaretière parisienne, consultée au XVIIe siècle par les plus saints personnages de l'époque.

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