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La foire du Landit n'avait pas le même caractère, et, malgré l'importance que lui donnait le voisinage de Paris, c'était un marché de second ordre qui n'intéressait que les provinces situées entre la Loire, la Moselle et l'Escaut.

Le Rhin.-Dans les pays du Nord, plus éloignés des antiques foyers de la civilisation, le commerce eut plus de peine à s'ouvrir des routes nouvelles. Les fleuves restèrent longtemps hérissés de châteaux habités par des seigneurs qui arrêtaient ou rançonnaient les voyageurs, les mers furent infestées par des pirates. Ce n'est guère qu'au XIIe siècle que la petite bourgeoisie des villes allemandes fut affranchie du servage, et au XIII®, au milieu de la dissolution du grand interrègne, que les cités commerçantes se groupèrent en ligues et assurèrent aux grandes routes la sécurité qui pouvait seule les faire fréquenter.

La ligue du Rhin, qui s'étendait de Zurich à Cologne et comptait plus de soixante villes, aboutissait d'une part aux industrieuses provinces de Flandre et de Brabant, de l'autre, par le Saint-Gothard, aux républiques d'Italie. Bâle, Strasbourg, Worms, Mayence, Cologne, étaient les plus riches entrepôts de la route et les lieux où se tenaient les assemblées générales.

La hanse.-La hanse teutonique, qui avait commencé en 1241 par une association de Lubeck et de quelques ports du voisinage contre les pirates de la Baltique, avait pris bientôt d'immenses développements. Lubeck en était restée la capitale. Mais par Hambourg et Brême, elle tenait la navigation de l'Elbe et du Weser; par Brunswick, qui était le chef-lieu de la province allemande, elle se rattachait au centre de la contrée, à Nuremberg où les marchands de la hanse retrouvaient ceux d'Italie; par Cologne, chef-lieu de province comme Brunswick, elle commandait la route du Rhin. Elle occupait les ports des Pays-Bas, Amsterdam, Rotterdam, Dordrecht, Anvers; elle possédait Londres en Angleterre, et sur les côtes des Flandres et de la France, Ostende, Dunkerque, Calais, Rouen, Saint-Malo; elle descendait même jusqu'à Bordeaux et Bayonne et étendait ses affiliations jusqu'à Lisbonne, Cadix, Barcelone, Livourne, Naples et Messine, enveloppant de son commerce toute l'Europe occidentale. Des assemblées annuelles, des contributions communes, une marine de guerre maintenaient l'union, et dans chaque port, le scribe, qui devait être citoyen de Lubeck, donnait une garantie de solidité aux comptes des négociants et au crédit.

Dans le Nord, la hanse possédait sur la côte de Norwége, Bergen, qui lui envoyait ses bois et son poisson. Dans la Baltique, elle était toutepuissante et dictait ses lois. Par Stalsund et Stettin elle tenait les embouchures de l'Oder, par Dantzig celles de la Vistule, par Riga celles de la Duna, et par Revel le golfe de Finlande. Elle s'avançait jusqu'à Novgorod, république florissante au XIII et au XIV siècle, et vaste mar

ché où les négociants de la hanse achetaient les fourrures du Nord, les grains, le chanvre, le bois, la résine de la Russie, et les marchandises de l'Asie qui du Turkestan gagnaient le Volga et le remontaient jusqu'à Tver.

L'antiquité et le moyen âge. Dans l'antiquité, les routes de commerce sillonnaient le continent asiatique et rayonnaient de toutes parts dans la Méditerranée; le courant des marchandises se dirigeait, en général, d'orient en occident, mais il expirait, pour ainsi dire, aux Colonnes d'Hercule. Au moyen âge, il embrassa l'Europe tout entière, au midi par les républiques italiennes, au nord par la hanse, et ce furent les Occidentaux qui allèrent eux-mêmes à Tunis dans les échelles du Levant, dans la mer Noire et à Novgorod chercher les produits que les Orientaux n'amenaient plus guère qu'aux limites du continent. De nombreuses routes transversales, suivant les fleuves et franchissant les montagnes, réunissaient les deux grandes voies maritimes du nord et du sud. Découvertes. D'ailleurs le moyen âge s'aventura peu à la découverte des routes lointaines.

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Si les Norwégiens se frayèrent un chemin jusqu'à l'Islande alors déserte et jusqu'au Groenland, si même au commencement du xr, Leif s'avança sur les traces de Bevern, du Groenland jusqu'à l'embouchure du Saint-Laurent, les routes qu'ils ouvrirent, inconnues des autres peuples, servirent plus à la pêche qu'au commerce, quoique Bergen, diton, achetât des pelleteries aux Esquimaux.

Il y avait toutefois des idées vagues sur l'existence d'une vaste terre à l'Occident ou du moins d'une communication par l'Atlantique entre l'Europe et les contrées de l'Orient. Aristote l'avait dit. Ptolémée, qui, commenté par les Arabes, fut la grande autorité géographique du moyen âge, n'y répugnait pas. Mais Ptolémée semblait interdire toute espérance de gagner la mer des Indes par le sud de l'Afrique, tandis que des voyageurs modernes laissaient croire à la possibilité d'un pareil passage et le représentaient comme facile en donnant à l'Afrique la forme d'un rectangle dont le plus grand côté comprenait toute la partie inconnue, des colonnes d'Hercule à l'extrémité de la mer Rouge.

Les Portugais, placés aux avant-postes de l'Europe, et poussés par l'actif génie de l'infant dom Henri, cherchaient ce passage. Il leur fallut un siècle avant de parvenir à la pointe de l'Afrique; mais, à mesure qu'ils descendaient au midi, ils étendirent leurs relations commerciales sur la côte du Maroc d'abord, puis dans les îles, à Madère, aux Canaries, aux Açores, à l'archipel du Cap-Vert, dans la Sénégambie et dans la Guinée, où ils achetaient l'ivoire et la poudre d'or. Enfin, en 1486, Barthélemy Diaz doublait le cap des Tourmentes, et onze ans après, Vasco de Gama, franchissant le même cap auquel un juste présentiment avait fait donner le nom de Bonne-Espérance, trouvait le

chemin qui conduit aux Indes. Dans l'intervalle, Christophe Colomb avait découvert l'Amérique, et l'ouverture de ces deux grandes routes maritimes inaugurait les temps modernes.

§3. LES TEMPS MODERNES.

Les Portugais.-Sous François d'Almeida et sous Albuquerque, les Portugais fondèrent un vaste empire, et vingt ans après le voyage de Gama leurs relations s'étendaient jusqu'aux Moluques et à la Chine. Goa était leur capitale. Dès 1517, ils avaient navigué avec Antonio Perez jusqu'à Canton, et ils possédaient Macao, à l'embouchure de la rivière; Amboine, Ceram, Banda, les îles de la Sonde étaient en leur pouvoir, et ils étaient maîtres par Malacca de l'entrée des mers de Chine. Ils possédaient Ceylan, deux comptoirs sur la côte de Coromandel, et, de Cochin à Diu, sûr la côte occidentale de l'Inde, de nombreux ports, satellites de Goa, d'où partaient d'ordinaire les flottes marchandes. Albuquerque avait compris quels étaient les points importants du commerce maritime de la mer d'Oman, en établissant ses concitoyens à Ormuz, à Aden, à Socotora. Les vaisseaux venant d'Europe ou s'y rendant trouvaient sur toutela côte d'Afrique des ports hospitaliers et des marchés, depuis Magadoxo jusqu'à Sofala et Inhambane; Mozambique était le chef-lieu de ces comptoirs.

A l'ouest de l'Afrique, d'autres comptoirs existaient depuis longtemps au Congo et principalement à Saint-Philippe de Benguela et à Saint-Paul de Loanda, au cap Corse et dans les îles du golfe de Guinée, dans l'archipel des Bissagots, à Arguin et dans les îles Madère. Une chaîne presque continue d'établissements reliait ainsi Lisbonne et Sagres à l'Inde et à Macao: elle assura aux Portugais, pendant plus d'un siècle, le monopole des marchandises de la Chine, de l'Inde, de la Perse, de l'Arabie et de l'Afrique. La route du Cap fut dès l'abord, parmi les grandes routes maritimes, la plus fréquentée et la plus riche, et les républiques italiennes, déjà affaiblies par les conquêtes turques, furent ruinées.

Les Espagnols. Cependant les Espagnols exploitaient une autre route, celle que Christophe Colombavait ouverte en abordant, le 12 octobre 1492, à Guanahani, et en découvrant un monde nouveau. Quarante ans après, ils dominaient sur les Antilles et sur toute la partie centrale du vaste continent américain, depuis la Caroline jusqu'aux bouches de l'Amazone sur l'océan Atlantique, et depuis la Californie jusqu'à l'extrémité du Chili sur l'océan Pacifique, possédant ainsi du 40° degré de latitude nord au 40 degré de latitude sud un empire colonial plus vaste qu'aucun autre peuple n'en a jamais possédé dans aucun temps.

L'activité du commerce ne répondit pas à l'étendue de ces possessions, et sans les mines du Mexique et du Pérou qui éblouirent l'Europe, le Nouveau-Monde, dans lequel tout était à créer, fût demeuré à peu près stérile entre les mains des Espagnols et sous le régime étouffant de leur 2o SÉRIE. T. xxxiv. - 15 juin 1862.

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politique commerciale. Les exportations ne s'élevèrent jamais à plus de 27,500 tonnes; c'était beaucoup, il est vrai, pour le xvIe siècle.

La loi n'avait pas fait du commerce de l'Amérique un monopole, mais elle l'avait organisé de manière à le rendre non moins pernicieux pour la colonie et beaucoup plus improductif pour la métropole. Sous prétexte de faciliter la surveillance, on avait réservé à un seul port le droit d'envoyer des vaisseaux au Nouveau-Monde ou d'en recevoir, d'abord à Séville, puis, au XVIIIe siècle, à Cadix. Pour les mettre à l'abri d'une attaque, ces vaisseaux ne devaient aller et revenir que sous bonne escorte, et le départ n'avait lieu qu'une fois par an. La flotte, composée de quinze navires, et les douze galions naviguaient de conserve jusqu'au golfe de Mexique, par la route des Canaries et touchaient à SaintDomingue, principale station des Antilles.

Les galions se dirigeaient alors sur Carthagène, et de là sur Porte-Bello. La première de ces villes était le marché de la Nouvelle-Grenade, et les négociants Espagnols s'y rendaient en grand nombre de Caracas, de Sainte-Marthe, de Santa-Fé, à l'époque de l'arrivée des galions. La seconde servait de marché au Pérou et au Chili, c'était le plus important et peut-être aussi le plus incommode des entrepôts du NouveauMonde. Afin d'éviter le passage du cap Horn et les hasards d'une longue navigation, les métaux précieux et les marchandises qui s'embarquaient à Valdivia, à la Conception, à Valparaiso, à Coquimbo, à Lima, à Guayaquil, remontaient le long des côtes dans la direction du nord et arrivaient à Panama; de là on les transportait en partie à dos de mulet, en partie par la rivière de Chagres, jusqu'à Porto-Bello, où la venue des galions donnait lieu chaque année à une foire considérable. Pendant toute la durée de leur domination, les Espagnols ne surent pas même tracer une bonne route d'un port à l'autre, afin de diminuer quelque peu les inconvénients d'un pareil mode de transport.

La flotte abordait à la Vera-Cruz, l'entrepôt de la Nouvelle-Espagne: même système d'ailleurs qu'à Porto-Bello. Les produits de la côte occidentale du Mexique et même les épices des Philippines, dont Magellan avait pris possession au nom de l'Espagne, se rendaient au port d'Acapulco, sur le Pacifique; de là, un long et pénible voyage par terre les conduisait à Mexico, et ensuite à la Vera-Cruz, où affluaient les marchands.

Le Nouveau-Monde fournissait de l'or et surtout de l'argent, de la cochenille, du quinquina, de l'indigo, du cacao, du tabac, du sucre, des cuirs, et recevait principalement des tissus de fil, de laine et de soie, des vivres, des vêtements et des objets manufacturés.

Quand les échanges étaient terminés, flotte et galions mettaient à la voile, se retrouvaient à la Havane et rentraient ensemble au port de Séville. Au XVIe siècle, ils ne rencontraient guère dans les eaux de l'Atlantique les vaisseaux portugais qui faisaient le voyage d'Afrique, ou ceux

que

qui, s'écartant par les îles du cap Vert de la route que nous avons tracée, allaient au Brésil à l'aide des courants qui y avaient porté Alvarez Cabral et abordaient à Para, à Fernambouc ou à Rio.

Les Portugais et les Espagnols s'endormirent dans la prospérité et crurent avoir trouvé dans leurs colonies un trésor inépuisable. Leur politique coloniale fut plus jalouse qu'habile; ils commirent surtout la faute impardonnable de paralyser le développement de leur marine, en négligeant tout autre commerce. Quand les produits de l'Inde ou de l'Amérique étaient emmagasinés à Lisbonne ou à Séville, ils s'inquiétaient peu de les porter sur les marchés de consommation, dédaignant ces petites opérations dans lesquelles il fallait lutter de bon marché avec d'obscurs rivaux. Les Flamands et les Hollandais en profitèrent pour se faire leurs facteurs, et toutes les richesses entreposées dans les ports privilégiés du Portugal et de l'Espagne prirent bientôt la route d'Anvers et d'Amsterdam.

Les Hollandais.-Cependant il est rare qu'un grand commerce nestimule pas l'industrie. Séville fut, sous Charles-Quint, une riche cité ou battaient 16,000 métiers et où la manufacture de laine et de soie occupait 430,000 ouvriers. Mais il arriva bientôt que les Flamands et les Hollandais, en venant chercher les produits du Nouveau-Monde, apportèrent leurs draps et leurs toiles, qui s'écoulaient ensuite vers l'Amérique sous le couvert de quelque négociant de Séville, si bien que malgré le monopole, que les lois attribuaient aux seuls nationaux, les Pays-Bas devinrent vers la fin du siècle le centre des nouvelles routes de commerce; par une révolution naturelle qui montre clairement que la production est la véritable source de la richesse, les négociants de Lisbonne et de Cadix ne firent plus, en quelque sorte, que l'office de commissionnaires pour le compte d'Amsterdam.

Les événements qui survinrent à la fin du xvIe siècle ne furent que la conséquence de cette situation.

La découverte de la route du Cap avait alors porté un coup fatal aux républiques maritimes d'Italie, déjà repoussées des échelles du Levant par les Turcs. Les villes hanséatiques en ressentaient le contre-coup; Charles-Quint acheva de désorganiser la ligue dans l'intérêt de sa puissance et au profit des Pays-Bas, qu'il aimait et couvrait d'une protection toute spéciale. C'étaient Amsterdam et Anvers qui distribuaient les productions des Indes orientales et occidentales en Angleterre, dans les ports de France, en Allemagne, par le Rhin ou par Hambourg, et jusque dans la Baltique.

Aussi, lorsque Philippe III, dans l'intention de punir des sujets rebelles eut interdit définitivement aux Hollandais l'entrée de l'Espagne et du Portugal que son père avait conquis, ceux-ci n'eurent pas de peine à se consoler de l'interdiction. Leurs navires passèrent outre, et allèrent eux

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