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mêmes jusque dans l'Inde porter leurs marchandises, supplanter les Portugais. Ils occupèrent le comptoir d'Elmina en Guinée, fondèrent celui du Cap à l'extrémité de l'Afrique, qui furent les étapes de leur route, et ils s'établirent, sur les débris de l'empire d'Albuquerque, dans les îles de la Sonde. Batavia devint au XVIIe siècle et resta encore au XVIIIe siècle le centre du commerce dans les mers de la Chine et de l'archipel Indien. En Amérique, les Hollandais s'ouvrirent aussi un chemin par la contrebande. Pendant qu'une partie de leurs produits entrait clandestinement en Espagne, pour être chargée sur les galions, une autre partie se rendait directement dans les ports du Nouveau-Monde, ils achetaient la complicité des gouverneurs et approvisionnaient le marché avant l'arrivée des galions, qui parfois ne trouvaient plus même à placer leur cargaison. Comme les Hollandais s'étaient emparés des îles de Curaçao et de Bunair, c'était surtout dans le voisinage avec la côte de Caracas qu'ils entretenaient des relations, et ils y avaient pris une telle position qu'au commencement du XVIIIe siècle c'était d'Amsterdam que l'Espagne recevait les cacaos de Caracas.

Les négociants de Séville, qui jouissaient d'un monopole de fait et voulaient en profiter en maintenant, par la rareté de leurs envois, le haut prix des marchandises, devenaient ainsi victimes de leur calcul égoïste. Ce commerce interlope avait lieu non-seulement dans le golfe du Mexique, mais sur toute la côte du Pacifique; les Hollandais faisaient leurs expéditions de Batavia, et souvent le galion des Philippines servait à porter la marchandise prohibée.

Fausse politique de l'Espagne. Il fallut bien du temps pour faire comprendre au gouvernement espagnol les inconvénients de son système restrictif. Au XVIIe siècle, il accorda à la France le droit d'envoyer des bâtiments en Amérique; mais les négociants de Saint-Malo le firent avec tant de succès que la permission fut retirée. Le traité de l'Assiento donna aux Anglais, avec le privilége de fournir des nègres aux colonies espagnoles, celui d'envoyer tous les ans un vaisseau de 500 tonneaux à Porto-Bello. Ce vaisseau de permission, dont les agents anglais savaient rendre la cargaison inépuisable, inquiétait le gouvernement, qui se débarrassa de cette servitude. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les liens enfin se relachèrent un peu; les bâtiments espagnols, quoique toujours astreints à partir d'un même port et à y rentrer, ne furent plus tenus de naviguer de conserve et purent aller, par le cap Horn, trafiquer dans les ports du Chili et du Pérou. Les galions furent même supprimés en 1788.

Mais il était trop tard pour ressaisir l'empire des mers. Déjà même la Hollande, fortement attaquée par la politique de Colbert et par les armées de Louis XIV, devenue le satellite de l'Angleterre, avait vu le sceptre du commerce passer d'Amsterdam aux rives de la Tamise.

La France.-La France avait eu de beaux jours. Dans la seconde moi

tié du XVIIe siècle, la route de Marseille aux échelles du Levant avait été la plus fréquentée de la Méditerranée; dans l'Océan, Lorient avait envoyé de nombreux vaisseaux aux Indes, où Pondichéry éclipsait Madras; Saint-Malo aux Antilles, où Port-au-Prince florissait, et au Canada, où Québec était déjà une ville importante. Mais les dernières années du règne de Louis XIV épuisèrent la France. Le gouvernement de Louis XV ne fit rien pour relever sa puissance maritime, et il la laissa expulser des mers en livrant presque toutes ses colonies après la malheureuse guerre de Sept ans.

L'Angleterre. — L'Angleterre hérita des uns et des autres. Vers la fin du XVIIIe siècle; elle approvisionnait Lisbonne, elle dominait dans l'Inde et elle ouvrait des routes nouvelles jusque dans l'Australie, que les Hollandais avaient explorée les premiers d'une manière authentique au XVIIe siècle; elle s'avançait à travers l'Océanie, que Cook et d'illustres navigateurs français venaient de reconnaître en détail dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Londres, qui faisait le commerce des mers orientales et qui prenait chaque jour plus d'influence dans les échelles du Levant et dans la Méditerranée, où elle tenait Gibraltar, devenait le premier port du monde. Bristol, que Liverpool, enrichie par le traité de l'Assiento, ne tarda pas à dépasser, faisait principalement le commerce d'Amérique, avec Terre-Neuve et tout le Canada, depuis le traité de 1763, avec les ports de la Nouvelle-Angleterre et de la Caroline, Boston, New-York, Philadelphie, Charleston.

La guerre de l'Indépendance n'interrompit que pour un temps ces relations. Après la paix, les navires anglais reprirent la route des EtatsUnis, où leur commerce s'agrandit à mesure que la civilisation pénétrait dans ces vastes régions, que les déserts se peuplaient et que des voies nouvelles étaient tracées de toutes parts en deçà et bientôt au delà de l'Ohio et du Mississipi.

Par le blocus continental, Napoléon s'était flatté de renverser le colosse britannique. Il put à peine l'ébranler; pendant qu'il fermait les routes de l'Europe, la marine anglaise se répandait librement sur les océans et se faisait la factrice des quatre parties du monde.

L'Angleterre souffrit; mais elle perdit moins que les grands ports du continent. D'ailleurs, les événements lui permirent de se tailler à son gré un empire maritime. En 1815, elle possédait les comptoirs de SierraLeone, ceux de Cape-Coast en Guinée, les îles de Sainte-Hélène et de l'Ascension, le Cap, l'ile Maurice, les Seychelles, Socotora, et par les Laquedives et les Maldives elle formait entre la métropole et l'Inde une chaîne aussi serrée que celle des Portugais au xvr siècle. Elle l'étendit bientôt vers l'Orient, à Malacca et à Singapour, fréquenta les routes de la Chine, où le traité de Nankin ouvrit cinq ports à sa marine et lui donna comme arsenal l'île de Hong-Kong.

Dans la Méditerranée, outre Gibraltar, elle tenait Malte et Corfou, et était devenue la puissance prépondérante dans le Levant. Dans l'Amérique elle profita de l'insurrection des colonies espagnoles, contre-coup des révolutions européennes, pour former dans tous les ports du Mexique et de l'Amérique du Sud des relations qui lui firent fréquenter la route encore peu suivie du cap Horn; la marine des Etats-Unis et celle de la France marchèrent sur ses traces.

Route du Pacifique. Lorsqu'en 1848 la découverte des mines de Californie eut attiré dans cette contrée la population et la richesse, cette route du cap Horn se prolongea jusqu'à San-Francisco et devint une des plus longues voies maritimes du globe; les îles Sandwich en furent une annexe et servirent de point de relâche aux vaisseaux qui partaient de là pour commercer dans les îles de l'océan Pacifique, ou à ceux qui venaient de la Chine et de l'archipel Indien en Californie. En même temps, les voyageurs des États-Unis et de l'Europe, pour éviter un immense détour, prenaient par l'isthme de Panama, qui ne tarda pas à être traversé d'un chemin de fer. C'est ainsi que des intérêts nouveaux ont fait renaître, mais avec plus de raison qu'autrefois, d'anciens courants commerciaux.

Les Anglais, depuis longtemps, cherchaient vers l'océan Pacifique un passage plus court par le nord de l'Amérique : ils l'ont trouvé, mais cette découverte, intéressante pour la science, ne profiterajamais au commerce.

Les mines d'or ont eu, en Australie, les mêmes effets qu'en Californie; elles ont créé de nouveaux foyers d'activité et fait de Melbourne, inconnue il y a trente ans, la tête d'une grande ligne maritime.

Routes nouvelles. Le chemin de fer de Panama a donné l'idée d'en créer un à travers l'isthme de Suez, d'Alexandrie à la mer Rouge, et, sinon les marchandises, du moins la plupart des voyageurs ont repris pour se rendre en Orient la route antique de l'Egypte. La Méditerranée, dont le mouvement commercial augmentait depuis trente ans et renaissait jusqu'au fond de la mer Noire, à Trébizonde, a profité de ce changement.

Sur le continent, les Russes s'étaient depuis plus d'un siècle tracé une route jusqu'à la Chine par la Sibérie, et allaient, par leurs conquêtes, rejoindre les vieilles routes des caravanes du Turkestan et de l'Arménie.

Enfin, dans l'Europe centrale, depuis vingt ans, les chemins de fer, dont le réseau, à l'exemple de l'Angleterre et des États-Unis, a couvert la France, les Pays-Bas et l'Allemagne, ont fait une concurrence redoutable aux fleuves et aux canaux que le xvIII° siècle et le commencement du XIXe s'étaient appliqués à creuser, et ont créé des routes nouvelles ou ranimé la circulation sur des routes délaissées.

Notre époque est une de celles qui ont le plus fait pour ouvrir entre les peuples des relations de commerce: elle n'a de comparable à cet égard que le XVIe siècle.

Sur mer, l'honneur et jusqu'ici le plus grand profit de cette activité reviennent à l'Angleterre, qui domine sur les anciennes et les nouvelles routes, et partout, aux points les plus importants, a établi ses stations. Elle est ce que furent Tyr, Venise, Lisbonne et Amsterdam. Mais elle asur ses devancières l'avantage de soutenir sa puissance commerciale par une situation géographique qui la rend presque indépendante des révolutions continentales, et par une admirable industrie qui alimente son commerce et lui permet d'approvisionner le monde du produit de ses propres manufactures.

Comparaison des marines de commerce.- Aujourd'hui cette grande puissance possède une marine marchande de 27,000 bâtiments, jaugeant 4 millions et demi de tonnes, et, si on y joint les 10,000 bâtiments de ses colonies, elle atteint un chiffre total de 37,000 bâtiments et 5 millions et demi de tonnes, ayant transporté une valeur de 8 milliards de marchandises en 1857. Une flotte de 626 bâtiments de guerre, dont 67 vaisseaux de ligne, protégeait en 1859 cet immense commerce.

Les États-Unis suivent de près leur ancienne métropole; leur marine marchande représente 5 millions de tonnes et dépasse celle de la GrandeBretagne proprement dite; mais leur commerce est inférieur : en 1857 il ne s'élevait qu'à 3,616 millions. Les événements qui ont brisé l'union et amené une guerre d'où sortira peut-être l'émancipation des noirs, mais qui n'a aujourd'hui que de désastreuses conséquences, ont arrêté le développement du Nouveau-Monde, et vont pour un temps amoindrir ce commerce.

C'est la France qui occupe le troisième rang; mais par son tonnage elle reste à une grande distance des deux autres: en 1858, l'effectif de sa marine marchande était de 15,187 bâtiments à voiles et de 324 bâtiments à vapeur, jaugeant en tout 1,116,431 tonneaux. Cependant elle possède relativement un imposant matériel de guerre : 379 bâtiments, dont 45 vaisseaux de ligne; ce sont à peu près les 2/3 de la marine militaire de la Grande-Bretagne, c'est presque cinq fois celle des ÉtatsUnis avant la rupture. Par son commerce général, qui était, en 1857, de 4,592 millions, elle laissait derrière elle les États-Unis ; mais un quart au moins des marchandises entrait ou sortait par terre, et elle ne faisait guère circuler sur les routes de mer que 3 milliards 200 millions.

Derrière la France viennent la Suède et Norwége, avec une marine de 709,000 tonnes et un commerce de 280 millions, les Pays-Bas avec 621,000 tonnes et 1,102 millions, la Prusse avec 528,000 tonnes et plus de 1,500 millions, l'Autriche avec 395,000 tonnes et 1,592 millions, l'Espagne avec 364,000 tonnes et 639 millions, la Grèce avec 325,000 tonnes et 62 millions, les Deux-Siciles avec 222,000 tonnes et 160 millions, la Sardaigne avec 197,000 tonnes et 460 millions. Hambourg a une marine de 192,000 tonnes, et Brême de 166,000. La Russie ne possède que 172,000 tonnes.

Le tonnage de la marine est loin de correspondre au chiffre total des importations et des exportations dans la plupart de ces pays qui ont, comme la France, un commerce de terre en même temps qu'un commerce de mer; d'ailleurs, la valeur ne se mesure pas exactement sur le poids et le volume des objets : les pays du Nord, par exemple, qui, tels que la Norwége, emploient un grand nombre de bâtiments à la pêche, peuvent avoir un tonnage considérable et un commerce peu développé. L'importance de chaque marine sur les routes de mer se mesure par la combinaison de ces divers éléments.

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TRADUIT ET PRÉCÉDÉ D'UNE INTRODUCTION PAR M. DUPONT-WHITE (1)

I

Ce livre, comme tous ceux que je connais de M. Mill, a un caractère très-remarquable qui explique facilement le succès de cet écrivain auprès des lecteurs sérieux de la Grande-Bretagne. C'est le plus heureux mélange de l'esprit positif et pratique qui distingue les hommes politiques de ce grand pays, avec d'autres qualités qui constituent proprement l'originalité de M. Mill, et dont les plus frappantes à mes yeux ont une largeur de conception et un mépris de tout préjugé traditionnel, qu'on découvrirait difficilement à un égal degré parmi ses compatriotes. On retrouve à chaque page l'homme qui, dans ce livre de la Liberté, a écrit en quelques pages le plus admirable panégyrique que je connaisse de la liberté de pensée et de discussion. Ce sera l'honneur de notre siècle d'avoir abordé avec une résolution, que rien ne faisait pressentir, le problème fondamental de la société future et d'avoir opposé énergiquement aux doctrines despotiques qui dominent encore la plupart des esprits, le dogme nouveau de la liberté individuelle. Mais parmi tous les publicistes convaincus et éloquents qui travaillent avec une unanimité si remarquable à ruiner la vieille métaphysique communiste des théories gouvernementales, il n'y en a pas un, que je sache, qui puisse réclamer dans l'œuvre commune une aussi large part que

(1) 1862. 1 vol. grand in-18. Guillaumin et Co.

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