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qu'on pourrait réduire le taux de la taxe sans diminuer le produit. Or, il est évident qu'une taxe, moitié moindre par exemple, nuirait beaucoup moins aux échanges que la taxe actuelle, dût-elle produire davantage. L'impôt foncier, comme l'a fort bien démontré M. Passy dans le Dictionnaire d'économie politique, n'a ni le caractère ni les effets des autres impôts; il ne fait que diminuer la rente et la valeur de la terre sans nuire, ni à la pro luc ion, ni aux transactions. Pourquoi ne pas le substituer nettement, franchement et complétement, à un impoi contraire au développement de la richesse publique, contraire à la morale, en ce qu'il provoque la fraude et la desobeissance aux lois. On a invoqué en sa faveur le service rendu par l'Etat, qui constate par un acte authentique la date de certains actes et la valeur de certaines propriétés. Si l'Etat ne demandait que le prix du service rendu, il n'y aurait rien à dire contre l'impo'; mais quel est le prix de ce service? c'est le salaire des agents de l'enregistrement, qui n'est peut-etre pas la centième partie du droit perçu. Réduit à ces proportions, l'impôt deviendrait insignifiant et ne mériterait pas qu'on s'en occupat.

M. Dupuit persiste donc à penser que la suppression complète et radicale des droits de mutation, ou plutôt leur remplacement par des centimes additionnels au principal de la contribution directe serait une grande amélioration dans notre système d'impôt.

M. LEON WALRAS vent faire observer que M. Dupuit, en faisant la critique du droit de mutation, n'en a pas présenté très-rigoureusement l'analyse. L'honorable membre a dit que plus d'une fois il avait été empeché d'acheter une maison pour s'y loger par la perspective de payer un droit de mutation. Il est bien vrai qu'en pareil cas M. Dupuit aurait pu etre exposé à payer l'impôt, moins toutefois comme acquéreur que comme locataire de sa maison. Mais lorsque l'immeuble imposé est une terre, les économistes s'accordent ensemble à reconnaître que le droit de mutation tombe à la charge du vendeur et non de l'acquéreur.

Cette observation, au surplus, est faite en faveur de la vérité scientifique et nullement à l'appui du droit de mutation. Que ce droit soit payé par le vendeur ou par l'acquéreur, il n'en est pas moins un obstacle réel et fàcheux à la libre transmission de la propriété, laquelle importe essentiellement au développement de la richesse et au progrès économique. En outre, l'impôt de mutation n'est pas seulement antiéconomique, il est aussi tout à fait injuste; car on ne voit pas en quoi les charges de l'État seront augmentées après qu'un immeuble aura passé des mains de l'ancien propriétaire vendeur à celles du nouveau propriétaire acquéreur. C'est un impôt purement fiscal et qui ne repose sur aucun autre principe que celui professé par le gouvernement turc,

et qui est de prendre la richesse là où elle se laisse apercevoir. Autant vaudrait arrêter tous les gens qui passent dans la journée par la rue de Richelieu et leur prendre sur eux une somme proportionnelle à la quantité d'argent dont ils seraient porteurs.

L'orateur est donc entièrement d'accord avec M. Dupuit pour condamner le droit de mutation. Il ne saurait d'ailleurs se laisser arrêter par cette considération qu'il entend émettre de plusieurs côtés, que tous les impôts, quels qu'ils soient, sont toujours plus ou moins mauvais en eux-mêmes et désagréables au contribuable. Que, d'une part, la société soit un fait naturel, l'État un type nécessaire, le gouvernement, en un mot, une bonne chose dans de certaines limites; et que, d'autre part, il ne puisse y avoir, théoriquement ni pratiquement, aucun système d'impôt qui ne soit à la fois inique et ruineux, cette assertion confond sa raison. Si l'on n'est pas encore parvenu à trouver la théorie rationnelle de l'impôt, il faut continuer à la chercher, et, en attendant, on ne doit pas hésiter à repousser absolument une taxe fiscale qui est, comme le droit de mutation, aussi contraire aux exigences de l'équité qu'à celles de la prospérité publique.

En proposant de substituer au droit de mutation des centimes additionnels à la contribution foncière, M. Dupuit a décrit très-fidèlement le rôle économique de l'impôt foncier. D'accord en cela avec tous les économistes les plus savants et les plus compétents, il constate que l'impôt foncier, lors de son établissement, équivaut de tout point à une appropriation d'une portion du sol au bénéfice de l'Etat et au détriment des propriétaires ; que, par conséquent, l'impôt foncier, si depuis son établissement toutes les terres ont changé de mains par vente, donation ou héritage, n'est plus payé par personne.

Dans ces conditions, l'impôt foncier n'est peut-être pas précisément un impôt; à coup sûr ce n'est ni un impôt injuste ni un impôt antiéconomique. Dès lors, pourquoi reculerait-on, en effet, devant l'idée de substituer au droit de mutation des centimes additionnels à la contribution foncière? Mais aussi pourquoi l'auteur de la proposition reculerait-il lui-même devant l'idée de transformer en impôt foncier tous les droits fiscaux défectueux?

Il y a à cela un obstacle très-sérieux, et M. Dupuit, qui professe cette opinion que la justice n'a rien à démêler avec l'économie politique, ne pourra pourtant méconnaître qu'il se présente ici une question d'équité bien grave et bien importante. En effet, si l'impôt foncier, lorsqu'il est anciennement établi, n'est plus payé par personne, c'est précisément parce que cet impôt, au moment de son établissement, équivaut purement et simplement à une confiscation partielle des terres. Par conséquent, remplacer toutes les taxes ou seulement le droit de mutation par des centimes additionnels à la contribution foncière, ce serait,

comme vient de le dire M. Joseph Garnier, une spoliation véritable exercée au mépris des droits de tous les propriétaires fonciers actuels.

M. Dupuit dit que les propriétaires gagneraient à la suppression du droit de mutation juste autant qu'ils perdraient à l'institution de l'impôt foncier. Il semble qu'il n'y a que quelques chiffres à produire pour établir le contraire. Substituer 100 millions de centimes additionnels à la contribution foncière à 100 millions de droits de mutation, ce serait, en vertu de la théorie de l'impôt foncier, remplacer une contribution annuelle de 100 millions exercée sur toutes les générations de propriétaires fonciers qui se succèdent, par une contribution unique d'environ 4 milliards exercée une fois pour toutes sur une seule génération de possesseurs de terres.

(L'opinion de M. Walrás donne lieu à diverses observations.)

M. LÉON WALRAS demande qu'on lui permette d'exposer lui-même très-brièvement les conclusions auxquelles il est arrivé en matière d'impôt. Dans les termes, très-exacts, du reste, quant au fond, où M. Joseph Garnier les a énoncées, ces conclusions risqueraient d'être mal interprétées.

M. Walras répugne autant que personne à mettre les terres entre les mains de l'Etat qui, par nature, est aussi peu fondé à les affermer qu'inapte à y exercer par lui-même l'industrie agricole. M. Walras a seulement rapproché, réuni et même confondu en une seule les deux questions de la propriété et de l'impôt. Au point de vue de la propriété, il admet en effet un droit abstrait, mais positif, de propriété de la communauté ou de l'Etat sur la terre. Au point de vue de l'impôt, il reconnaît l'impôt foncier pour l'impôt rationnel et normal. Ainsi la double et commune solution du problème de l'organisation sociale économique serait, à un point de vue purement théorique et idéal, un domaine éminent et collectif de la communauté ou de l'Etat sur la terre, et, au point de vue de la réalisation pratique, l'absorption systématique et lentement progressive de la rente foncière par l'impôt.

M. DUPUIT ne conçoit pas l'objection de M. Walras. L'accroissement par des centimes additionnels de l'impôt foncier équivaut, il est vrai, à l'expropriation d'une partie du capital ou à une dépréciation de sa valeur, et si la mesure se bornait là, elle serait souverainement injuste; mais le dégrèvement des droits de mutation aura un effet égal et contraire; de sorte que les propriétaires fonciers considérés collectivement jouiront des mêmes revenus à la place des cent millions de droits de mutation qu'ils payent aujourd'hui, ils paieraient cent millions d'impôt foncier; il n'y aurait donc aucune dépréciation de la propriété foncière. 2 SERIE. T. XXXIV. 15 juin 1862.

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Au contraire, elle acquerrait une plus-value par suite de la plus grande facilité des mutations et de la concurrence qu'elle provoquerait.

Sans doute la substitution brusque et immédiate d'un impôt à l'autre amènerait quelques inégalités partielles; la mesure serait plus avantageuse aux propriétés qui changent souvent de mains qu'aux autres; mais il serait encore facile de lever cette dernière objection, en rendant facultative la conversion des deux impôts. On pourrait dire aux propriétaires: Voulez-vous que votre champ, votre maison, etc., etc., soient exempts de droits de mutation? payez tant par an; et il est évident que, si le nouvel impôt était calculé de manière à représenter la même charge annuelle, la concession se ferait rapidement. Tout le monde s'empresserait de souscrire cette espèce d'abonnement qui donnerait à la propriété la faculté de pouvoir s'échanger plus facilement. La mesure est tellement avantageuse qu'elle n'a besoin d'aucun moyen coercitif pour s'exécuter.

BULLETIN FINANCIER

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Faiblesse des fonds français en mai. - Calme dans les affaires. - Hausse

des actions de chemins de fer. - Recettes du premier trimestre. - Année favorable aux produits de la terre. Stagnation du commerce et du travail manufacturier. Sociétés à responsabilité limitée. Associés d'agents de change. — Coupons détachés. Tableau des recettes trimestrielles des chemins de fer français. — Tableau des Bourses de Paris, Lyon et Marseille. Bilans de la Banque de France et du Comptoir d'escompte.

A part les événements politiques arrivés au Mexique, peu d'incidents ont agité le mois de mai; il semble que les incertitudes sur l'avenir, occasionnées par les actes de politique extérieure aient paralysé le monde spéculateur; cependant les fonds français, qui avaient progressé du 1" au 30 avril et du 1er au 5 mai, ont fléchi du 5 au 31 mai, et le cours de 71 francs sur l'ancien 3 0/0 n'a fait que paraître et disparaître sur la cote (nous ne parlons que des cours du comptant). Il n'en a pas été de même des autres valeurs qui ont généralement gagné en mai; cela est le résultat naturel du replacement dans les mêmes fonds des sommes provenant de dividendes excédant, en 1862, les chiffres de ceux de l'année dernière. Cela est aussi une conséquence de l'amélioration constante des recettes de divers chemins de fer. Le tableau du premier trimestre de 1862 comparé à la même période de 1861 en dira plus à cet égard que tous nos raisonnements.

La situation en dehors de la Bourse n'a éprouvé que peu de changements; quant aux produits de la terre, tous, excepté les arbres à fruits, sont dans d'excellentes conditions, et sous ce point de vue la richesse du pays augmentera considérablement, surtout par comparaison à ce qui s'est produit l'année dernière. Quant au commerce, quant aux manufactures, l'atonie la plus grande est à l'ordre du jour. Il n'y a que la consommation du moment qui fasse un peu travailler; pas d'entrain, pas d'initiative, que cela résulte de la situation extérieure du commerce ou des événements extérieurs, tels que la guerre civile américaine qui, malgré les espérances formulées à la suite des insuccès de l'armée du Sud, menace d'être encore d'une longue durée.

En attendant, si le gouvernement se tourne, en fait de matières commerciales, vers la liberté économique, il la méconnaît complétement quant à ce qui concerne l'organisation financière du pays. Ainsi, en matière de sociétés par actions, c'est toujours la réglementation qu'il propose. Il a présenté au Corps législatif un projet d'imitation de la société à responsabilité limitée de nos voisins d'outre-Manche. Seulement comme les Anglais n'avaient qu'une société anonyme très-peu accessible, on comprend qu'ils aient cherché à l'intro duire dans leur pays; mais chez nous où elle existe, où elle ne demande qu'à être mieux légiférée et plus facilement accordée, c'est la liberté de la commandite, et non sa restriction qu'il nous fallait. Nous disons que la société anonyme demande chez nous à être mieux légiférée; en effet, tant que la loi n'aura pas imposé à toute société anonyme:

1° Un comité de censeurs pris parmi les actionnaires;

2o La publicité des comptes imprimés ou manuscrits, dans la quinzaine qui précède l'assemblée annuelle ou semestrielle.

Tant, disons-nous, que la loi n'aura pas ainsi assuré à l'actionnaire de la société anonyme des garanties contre l'administration, nous ne cesserons de rappeler que cette nature de société est chez nous des plus imparfaites. Nous disons chez nous, car en Belgique l'usage a établi ce que nous réclamons pour notre pays, Cependant faisons remarquer que, à leur honneur, certaines compagnies se sont imposé à elles-mêmes les garanties que nous réclamons; la compagnie d'Orléans est en ce genre un vrai modèle à proposer. Nous sommes toujours heureux, nous qui ne sommes pas partisan des grandes compagnies par actions, de citer ce qu'elles font de bien et les progrès qu'elles font faire aux mœurs financières.

En matière d'organisation de la Bourse, on vient de renforcer le privilége des agents de change en leur donnant le droit formel d'avoir des associés. Nous trouvons dans cette nouvelle disposition une contradiction avec l'esprit de cette institution. Ce sont des mandataires du gouvernement, dit-on; comme teis ils échappent aux lois économiques et peuvent (ce sont les idées gouvernementales que nous traduisons) faire exception à la liberté commerciale; et puis on leur permet d'exploiter leurs charges, d'en tirer profit suffisant pour payer des intérêts et dividendes à des co-intéressés. Où est la garantie du public contre le privilége que le pouvoir est censé leur confier temporairement et qu'ils se cèdent successivement à titre onéreux? Si encore l'État répondait pour eux comme il répond pour ses subordonnés administratifs. Mais il n'en est malheureusement pas atnsi. Où donc est la logique ?

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