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croient le moment opportun de le supplanter; il était sûr en tout cas que la majeure partie et des conservateurs et des radicaux reculerait devant la perspective d'une crise ministérielle et abandonnerait ses chefs, si ceux-ci voulaient persister. Transportée sur ce terrain, la bataille était donc gagnée d'avance pour le cabinet; aussi la motion Stansfeld a-t-elle été rejetée par 367 voix contre 65. Mais est-ce à dire que le pays approuve complétement la politique financière du cabinet Russell-Palmerston? Ce serait une interprétation bien forcée. Le vote du 3 juin confirme seulement de nouveau que pour le moment la Chambre juge fort difficile, sinon impossible, toute autre combinaison ministérielle. La manière dont lord Palmerston lui a extorqué le vote de confiance, l'artifice qu'il a dû employer pour empêcher « l'avertissement parlementaire, tendraient, au contraire, à prouver que, si l'opposition avait pu conserver à la question sa portée exclusivement financière, l'opinion de la Chambre se serait prononcée sans équivoque aucune en faveur d'une administration moins dispendieuse des deniers publics.

Il faut l'avouer de quelque côté qu'on envisage la question, le temps semble bien mal choisi pour la thèse ou pour les faits que lord Palmeston se croit obligé de défendre. N'est-il pas étrange, tout au moins, d'entendre le premier ministre de la couronne d'Angleterre soutenir la nécessité pour son pays d'être armé jusqu'aux dents et au delà, dans le moment même où la nation anglaise convie au tournoi pacifique de l'industrie et des arts toutes les autres nations de l'Europe, qui, de leur côté, s'empressent de se rendre à cet appel? N'est-il pas plus qu'étrange, n'est-ce pas bien triste d'entendre le ministre de la reine réclamer des millions et des millions de livres sterling pour les arts destructifs quand languit si effroyablement le travail productif qui doit en faire les frais?... Les dernières statistiques commerciales, publiées il y a peu de jours fournissent des preuves nouvelles de l'opiniâtreté et même de la progression continue de la crise économique. Ainsi, l'exportation des produits anglais n'a été en avril que de 9.8 millions livres sterling contre 10.9 millions en 1861 et 11.4 millions en 1860; pour les quatre mois réunis, c'est 36.3 millions contre 38.6 et respectivement 41.8 millions. C'est naturellement sur les produits cotonniers que porte surtout la diminution; l'exportation des tissus de coton est descendue, de 12.5 millions livres sterling en 1860, à 11.8 millions 1861 et à 9.4 millions en 1862; celle des filés de coton, de 3.3 à 2.8 et à 1.9 millions. La diminution est assurément forte et sensible; elle est cependant bien inférieure à l'amoindrissement dans les arrivages de la matière première, qui sont tombés de 10.7 millions livres sterling en 1860 et de 9.3 millions en 1861, à 2.7 millions dans le premier trimestre de 1862; la décroissance est relativement bien plus forte encore en avril, où le marché anglais n'a retenu que 355,800 quintaux de coton, contre 1,513,958 quintaux en 1861. Cette forte différence entre l'amoindrissement des arrivages du coton brut et l'amoindrissement des ventes au dehors de cotonnades prouve d'une façon manifeste que la consommation à l'intérieur a diminué dans une proportion infiniment plus forte que les achats de l'étranger. Est-il besoin de relever la signification de ce fait? Il dit que la faculté d'acquérir les cotonnades renchéries a diminué plus fortement chez les consommateurs indigènes que chez les clients étrangers de la manufacture britannique. Cet amoindrissement dans la

faculté d'acquérir et de jouir ressort, au reste, de maint autre chiffre encore de la statistique commerciale; ainsi, comparativement à l'année précédente, la consommation du cacao est descendue de 353,208 quintaux à 335,864 quintaux dans le mois d'avril 1862; celle du café est descendue de 3,025,860 à 2,999,139 livres anglaises; celle du sucre brut, de 836,652 livres à 760,379; celle du vin, de 985,069 gallons à 927,308; le thé, cette boisson souverainement « nationale » de l'Angleterre, est presque le seul, parmi les grands articles de la consommation de luxe nécessaire, dont la consommation ait, malgré tout, grandi. De pareils faits se passent de commentaire; ils témoignent que les classes moyennes elles-mêmes sont arrivées au point de devoir s'imposer des privations sur leurs jouissances les plus favorites, qu'on peut dire les plus indispendables.

Si le gouvernement anglais maintient néanmoins, avec des réductions insignifiantes ou purement nominales, les forts budgets de ces dernières années, il ne paraît pas, heureusement, que les colonies anglaises se croient obligées de suivre le coûteux exemple de la mère-patrie. L'Inde notamment offre sous ce rapport un contraste bien flatteur pour son administration, et qui donne à réfléchir. Les dépenses militaires forcément et fortement enflées par suite de la dernière révolte des Cipayes, diminuent d'année en année; elles avaient encore été de 20.9 millions livres sterling dans l'exercice 1859-60; elles n'étaient plus que de 15.8 et respectivement de 12.8 millions dansles deux exercices suivants; M. Laing annonce les réduire à 12.2 millions dans l'exercice 1862-63. La marine et les services civils doivent également être réduits, et le budget de 1862-63 être en tout inférieur de 5 millions livres sterling au budget de 1860-61. Cette réduction continue des dépenses est d'autant plus méritoire qu'elle s'opère en face de l'accroissement continu des recettes. Depuis dix ans, les recettes de l'Inde se sont élevées de 29.2 à 43.8 millions livres sterling; dans les trois années qui précédèrent la révolte de 1857, les recettes n'avaient encore été en moyenne que de 32 millions, de sorte qu'il y a pour les cinq dernières années seulement un accroissement de 11 millions. Il en revient, c'est vrai, un million et demi à l'opium, 3 millions à l'impôt du revenu et à la surélévation de l'impôt du sel, du timbre et des douanes, un million enfin aux nouvelles extensions territoriales; il n'en reste pas moins encore une part fort large qui est due au progrès intrinsèque, c'est-à-dire au développement de la faculté contributive. Aussi, grâce à cette progression des recettes d'une part et cet amoindrissement des dépenses d'autre part, le digne successeur de M. James Wilson, de regrettable mémoire, se voit-il en mesure d'opérer des dégrèvements sérieux et de consacrer encore de forts excédants au fonds de l'éducation des sciences et des arts. » Le dernier budget de M. Laing réduit à 5 0/0 le droit d'importation sur les cotonnades et à 20 0/0 le droit sur le tabac? Il réduit de moitié le droit d'importation sur la bière et sur les vins de qualité inférieure; il abolit le droit d'importation sur le papier (10 0/0) et le droit d'exportation (3 0/0) sur la houille et le fer. Dans notre vieille Europe sur-avancée, un budget arrangé avec un esprit si parcimonieux semblerait un criant anachronisme; il paraît que les habitants arriérés de l'Inde sont capables d'applaudir à une gestion aussi primitive! N'a-t-on pas vu, à la présentation du budget de M. Laing, les fonds publics monter de 10 0/0 à Calcutta et à Bombay? Les gouvernements pré

voyants de l'Europe se gardent bien de provoquer de pareils soubresauts dus à de telles causes.

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Ce qui se passe aujourd'hui à Berlin prouve cependant que, si les représentants du pays s'y mettent sérieusement, ils peuvent bien faire plier jusqu'aux prétendues nécessités de salut public avec lesquelles les ministères aiment à excuser leurs trop fortes exigences budgétaires. On ne l'a pas oublié, la rẻcente dissolution de la Chambre prussienne, sortie des élections du 19 novembre 1861, avait été en dernière instance déterminée par le désaccord existant entre les pouvoirs législatif et exécutif sur d'importantes questions financières et notamment sur le budget militaire. Le pays a répondu à l'appel que lui adressait le gouvernement de la façon la moins équivoque : l'opposition est revenue à la Chambre avec un renfort considérable, et pas un seul ministre n'est sorti des urnes électorales. A moins de se retirer, ce que le cabinet Heydt-Hohenlohe ne semble guère empressé de faire, il ne lui reste pas d'autre ressource que d'accéder aux exigences si nettement formulées par la Chambre et si vigoureusement soutenues par le pays. C'est ce que M. von der Heydt vient effectivement d'accomplir. Dès l'ouverture de la nouvelle session, qui a eu lieu il y a quelques jours, M. le ministre des finances a présenté le budget de 1862 et le budget de 1863; la présentation préalable de ce dernier budget constitue par elle-même une importante concession faite à l'opinion publique, qui réclamait depuis de longues années la fin de cette criante anomalie, d'après laquelle le budget n'était jamais voté en Prusse que vers le milieu de l'exercice même auquel il se rapportait. Mais la concession sur le fond même, c'est-à-dire sur les chiffres du budget, n'est pas moins importante que la concession faite par M. von der Heydt sur le mode de présentation. On sait que, grâce surtout aux « réformes » militaires, le budget de 1861 (139.3 millions thalers de dépenses contre 135.3 millions de recettes) avait laissé un déficit de 4 millions thalers environ; le budget de 1862 s'annonçait avec un déficit de 5,037,385 thalers. Aujourd'hui, M. von der Heydt ramène le déficit à 3,385,000 thalers, en diminuant de 831,000 thalers les exigences du budget de la guerre et en abaissant de 500,000 thalers la subvention du fonds des chemins de fer. Ajoutons que le déficit ainsi réduit sera couvert et au delà par le disponible (3,867,000 thalers) qu'a laissé l'exercice 1860. Quant au budget de 1863, le ministre fait ressortir un accroissement de recettes de 937,000 thalers et une diminution de dépenses de 1,871,000 thalers, ce qui donnerait en faveur de 1863 une différence de 2,808,000 thalers. Mais en défalquant le rendement (évalué à 1,857,000 thalers) du sur-impôt de guerre (25 0/0), voté en 1859, et que le gouvernement consent enfin à abandonner, il en reste toujours encore une différence de 951,000 thalers. Ce disponible, accru de 300,000 thalers à économiser sur l'administration de la dette nationale, servirait à pourvoir aux dépenses imprévues, et à commencer avec 300,000 thalers l'amortissement de l'emprunt 5 0/0 de 1859. Il est à supposer que la Chambre ne s'arrêtera pas à ces concessions dites spontanées du ministère, qui laissent toujours encore le budget actuel de beaucoup supérieur à ce qu'il était il y a quelques années; il est à présumer surtout qu'elle s'appliquera à prendre de sérieuses garanties afin que les bonnes intentions aujourd'hui manifestées par le gouvernement soient réalisées aussi.

Le Reichsrath, à Vienne, ne se montre pas non plus de composition trop facile; le budget de M. de Plener est discuté très-sérieusement et subit de considérables réductions, après celles mêmes que la commission du budget avait déjà imposées à M. le ministre des finances. Le Reichsrath a pourtant cru ne pouvoir pas se dispenser, en attendant le vote définitif du budget, d'accorder au gouvernement l'autorisation sollicitée pour un emprunt de 50 millions de florins; l'emprunt est destiné à pourvoir au déficit de l'exercice courant qui, malgré tout, sera assez considérable. Toute latitude est laissée au ministre quant au mode et aux conditions de l'emprunt. M. de Plener s'est décidé pour l'émission de 50 millions de florins d'obligations prises dans les 123 millions non placés de l'emprunt de 1860 et engagés à la banque pour les 99 millions qui lui sont encore dus sur son avance spéciale de 1859. L'emprunt, à peine voté, a aussitôt été pris par la maison Rothschild, le crédit mobilier autrichien et MM. Goldschmidt, de Francfort, au prix relativement élevé de 88 florins versés pour chaque 100 florins d'obligations. Quand on pense que l'année dernière on n'avait pu écouler la moindre parcelle de l'emprunt autrichien sur le marché étranger, et qu'à l'intérieur même tous les moyens de persuasion et de douce pression n'avaient pu faire entrer qu'une somme de 75 millions dans les caisses du Trésor, il faudra bien avouer que le crédit de l'Autriche n'a point souffert, que même il a fortement gagné aux discussions publiques et approfondies dont les finances ont été depuis un an l'objet dans le Reichsrath et dans la presse de Vienne. Ce n'est point que ces disussions aient fait apparaître la situation meilleure qu'on ne l'avait cru; elles ont confirmé, au contraire, tout ce qui avait été dit ici et ailleurs sur l'immensité de la dette consolidée et flottante, sur la continuité des déficits et sur l'impossibilité de faire atteindre les ressources ordinaires aux proportions exagérées qui depuis dix ans avaient été données aux dépenses. Mais la publicité, tant redoutée par les financiers routiniers, a cet immense avantage, qu'elle signale, en même temps que les embarras, les moyens de les diminuer; qu'elle est par elle-même une garantie contre l'aggravation et la continuation des abus qu'elle révèle. Inutile d'ajouter que la tournure plus pacifique que prennent à l'intérieur et à l'extérieur les affaires de l'Autriche entre pour beaucoup dans cette amélioration de son crédit ou plutôt dans le retour de son crédit entièrement disparu; l'attitude de la Hongrie prête un certain poids aux bruits qui circulent d'un compromis prochain entre la cour de Vienne et la diète de Pesth; les discussions par lesquelles vient de se rouvrir le parlement d'Italie, prouvent, d'une façon bien autrement positive, qu'à Turin on ne croit pas pouvoir de sitôt entreprendre une lutte sérieuse pour l'affranchissement de la Vénétie. Le repos intérieur et la paix extérieure de l'Autriche paraissant ainsi assurés pour un temps plus ou moins long, il n'est pas étonnant que les capitaux commencent à reprendre confiance en elle.

Les mêmes circonstances profiteront à l'Italie aussi dans les appels que, pour différentes entreprises, elle doit incessamment adresser au crédit public. Une des premières et des plus urgentes, en tous cas, de ces entreprises, sera la concession des chemins de fer napolitains, faite à MM. Rothschild et Talabot. Il s'agit d'environ 1,000 kilomètres de chemin de fer qui devraient être achevés en six ans; on évalue le capital nécessaire à 360 millions. L'État ga

rantirait un produit brut de 29,000 fr. par kilomètre ; il accorderait en outre, quoique d'une façon indirecte, une subvention de 14 millions; la société concessionnaire s'obligerait encore de défricher une grande partie des biens domaniaux des provinces napolitaines restés jusqu'ici non-seulement stériles, mais onéreux pour le gouvernement. La discussion parlementaire qui doit précéder la ratification du traité, nous fera mieux connaître la nature et la portée de cette entreprise; elle nous permettra d'y revenir prochainement avec plus de détails.

Si le gouvernement italien s'applique à doter de chemins de fer celles de de ses provinces qui en étaient jusque-là entièrement déshéritées, celui des États du continent qui s'était le premier approprié ces voies de communication perfectionnées ne croit pas encore avoir dit son dernier mot. A peine une seule année se passe-t-elle sans que la Belgique, sillonnée en tout sens de rails, n'ajoute un tronçon plus ou moins long à son réseau de voies ferrées. Le chemin français de Dunkerque à la frontière belge, dans la direction de Furnes, entraîne une nouvelle concession, pour la partie belge de cette entreprise, de la part du gouvernement de Bruxelles; on ne doute pas qu'il ne se montre aussi coulant que possible pour faciliter l'exécution de cette nouvelle voie internationale. On compte aussi en Belgique sur un prochain règlement de l'affaire du chemin de fer de la jonction de l'Est; le minimum du bénéfice que l'État avait garanti en 1851 à cette entreprise et qu'il lui a payé depuis presque intégralement, imposait au Trésor une charge réelle, sans faire sortir cependant la compagnie de sa situation difficile. D'après le nouvel arrangement en voie de se conclure, l'État cesserait de garantir à la compagnie un produit net quelconque, mais il lui allouerait une somme annuelle égale à la moyenne des sommes payées jusqu'ici par l'État du chef de sa garantie d'intérêts. Cette allocation resterait invariable jusqu'à ce que la recette brute annuelle du chemin atteigne un chiffre déterminé; au delà de cette limite, la subvention diminuerait en proportion de l'accroissement des recettes. L'État y gagnerait à connaître d'avance, pour un certain espace de temps, l'étendue de sa charge, et la compagnie à profiter directement des améliorations dans sa recette, qui ne servent aujourd'hui qu'à déterminer le montant de l'indemnité de l'État. Nous relevons cet arrangement, peu important en lui-même, parce qu'il renferme une modification essentielle à la manière dont s'établissent jusqu'à présent les rapports entre l'État et les compagnies qu'il est obligé de subventionner; peut-être y a-t-il là le germe d'une réforme qui, en précisant mieux les charges de l'État et en stimulant mieux l'activité des compagnies, pourrait être rendu profitable aux deux parties contractantes.

Signalons, à propos des modifications possibles dans l'organisation des entreprises financières, une curieuse statistique qu'un journal spécial de Londres vient de publier sur les compagnies à responsabilité limitée, admises en Angleterre depuis le mois de juillet 1856; au moment où la Chambre et la presse s'occupent vivement de cette loi anglaise que le gouvernement veut implanter en France, quelques chiffres sur l'effet de cette loi ont un double intérêt d'actualité. Du 14 juillet 1856 au 31 décembre 1861, il n'a pas été fondé sur le principe de responsabilité limité moins de 2,099 compagnies, dont 1,911 en Angleterre, 107 en Irlande, et 81 en Écosse. Voici par années la répartition de

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