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De ce poifon charmant la jeuneffe eft avide;

Elle épuife à longs traits ce breuvage perfide,

Se confume d'amour, s'enivre de défir, Et vole avec fureur aux tourmens du plaifir.

Quand M. Ducis auroit voulu parler des amours du tigre, il n'auroit pas cherché de couleurs plus étonnantes. Qui a jamais vu un jeune homme, à l'afpećt d'une jeune beauté, épouvanté d'amour? Et qui eft-ce qui a jamais réuni deux expreffions fi oppofées: foupire épouvanté? Les tourmen s du plaifir font encore une exagération qui n'eft pas moins froide ; car rien n'eft plus froid que le ftyle forcé. Les vers fuivans ont le même défaut :

Amour, fous ton empire, Pourquoi les noirs foupçons, les dépirs

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Les dépits qui portent la foudre, ne préfentent qu'une image bourfouflée,

Cette autre peinture eft d'un meilleur ton de poëfie:

Voyez-vous ce Centaure emportant Dé janire?

Dans fes muscles tremblans la volupté refpire.

Comme à travers les flots, d'un cours précipité,

En regardant fa proie, il s'enfuit enchanté! Les yeux brûlans d'amour, les yeux tournés fur elle,

Il s'enivre, en nageant, d'une charge fi belle.

Sous ce pied délicat, qui cherche à s'affer

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Tu ne crains ni les Dieux, ni la flêche d'Alcide;

Mais la flèche d'Alcide eft déjà dans ton · flanc:

On voit bien que M. Ducis a peint après un tableau, & fa copie n'eft

pas indigne du modèle. Nos Poëtes ont grand befoin aujourd'hui que d'autres voient la nature pour eux, & leur préfentent des objets d'imitation. C'eft d'après le peintre', que notre Poëte a fait ces vers heureux : Dans fes mufcles tremblans la volupté refpire. En regardant ja proie, il s'enfuit enchanté. Son cou nerveux s'embrafe, & fléchir de plaifir. Je crois pourtant que s'embrafe eft outré; mais fléchit de plaifir eft admirable. C'eft d'après Racine, qu'il a fait ce beau vers: Il s'enivre en nageant d'une charge fi belte. Racine a dit, dans Andromaqué :

al s'enivre, en marchant, du plaifir de la voir.

M. Ducis n'a pas été auffi heureux imitateur, en changeant ce vers :

Ariane aux rochers contant ses injuftices, en celui ci :

Ariane au désert contant fon abandon.

Nous trouvons auffi qu'il eft refté bien au-deffous d'Hom ère, dans cette autre imitation:

qu'Achile jadis, emporté par fa rage, Achille, en apparence, oubliant la pitié, Par un excès plus noble, honora l'amitié ! De ce Lion fanglant que la fureur eft tendre!

Ce cri:

Patrocle eft mort » ce cri s'eft

fait entendre.

Achille oub ie alors qu'Achille est outragé. Il court. Patrocle est mort! Il faut qu'il foit vengé.

Hector, déjà trois fois, fous la main meur

trière,

Trois fois, derrière un char, a rougi la pouffières

Sur ce corps déchiré, sensible & furieux, Il s'écrie: & Patrocle! il le demande aux Dieux.

Il va bientôt enfin, vaincu par fa prière, Rendre un fils qui n'eft plus à fon malheureux père.

11 fe lève, il menace, il repouffe fes pleurs; Il promène, à grands pas, fes féroces douleurs ;

Il appelle Patrocle, & dans un te' délire, C'est encore, en tremblant, l'amitié que

j'admire.

t

Ces vers ont de la féchereffe, & fentent la gêne. Quand on nous rappelle un exemple d'Achille, nous favons bien qu'Achille exista jadis,& il est au moins inutile de le dire. En apparence oubliant la pitié. Il ne l'oublia point en apparence, mais bien réellement. La fureur de la vengeance ne fuppofe point qu'on foit impitoyable en apparence. Achille oublie qu'Achille; cette répétition eft affectée & froide. Trois fois fous fa main meurtrière, trois fois derrière un char. Image tronquée & obfcure. Bientôt enfin, ne peuvent guère aller ensemble. Bientot eft de trop. Vaincu par Ja prière, eft trop éloigné du malheureux père. On ne fait point d'abord à qui fe rapporte fa prière. Toutes ces petites taches marquent la -négligence avec laquelle ce tableau a été fait. Une des fituations les plus fortes & les plus pathétiques de l'Iliade méritoit bien que M. Ducis y apportât plus de foin, & y déployat tout ce qu'il peut avoir de talent. Delà, par une tranfition forcée, le Poëte paffe à l'accident qui lui arriva l'année dernière, dans un voyage, & qui fut

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