Images de page
PDF
ePub

1

C'eft de là que l'arbitre & l'appui des Beaux

Arts,

Quand tu charmois l'efprit, fut charmer nos regards,

Illuftra nos Héros par un nouvel hommage, Fit fleurir sur leur tête un laurier qu'il partage.

Que de nos Phydias l'empreffement ja

loux,

Dans des marbres vivans les plaça devant

nous;

[ocr errors]

Que fur leurs nobles fronts leur main-
plus exercée,
alluma l'éloquence, imprima la pensée;
Fit éclore d'un bloc, ces aigles vigoureux,
Dont tu peignis le vol, en planant auprès
d'eux.

Defcartes, Boffuet, vous re pirez encore !
Et roi, noble artifan, que ta hache décore,
Dont mon ami traça le port audacieux ;
Toi qui femblois t'accroître & grandir à fes
yeux;

Toi, le Héros chéri de fon plus cher ouvrage:
Roi, foldat, matelor, législateur fauvage,
pour tout entreprendre & pour tout
achever,

Géant

Géant qu'à ta hauteur il brûloit d'élever, Qui prenois fous les mains ta taille toute entiére ;

Que tu perds de lauriers, en perdant to Homère !

Voilà des mots bien magnifiques; mais fi rien n'eft beau que le vrai, que penfer de tout ceci? Sunt verba & voces, prætereaque nihil. De grands mots, de vains fons, & puis rien autre chofe. Comment s'imaginer que nos Héros étoient fans gloire & fans éclat, avant les Eloges de M. Thomas? Cependant c'est un vers très-brillant que celui-ci :

De nos aftres François rallumas la splendeur.

Mais c'en eft un bien mauvais que

cet autre :

Dans un bronze invisible, as fondu leurs images.

Quelle idée fe former d'un bronze invifible, où l'on fond des images qui fans doute font invifibles auffi ! Et comment un éloge académique eftil un bronze invisible? C'est abuser du galimathias. Nous foupçonnons

N°. 13. 11 Avril 1786 B

auffi quelque chofe d'outré dans l'éloge de cet arbitre des BeauxArts, qui partage le laurier des Héros dont il a fait exécuter les buftes & les ftatues. Combien tous ces détails de louanges répugnent à la douleur qui n'eft point fi louangeuse, ni filemphatique ! Dans ce dénombrement trop long & trop froid pour une Epitre élégiaque, il faut rendre juftice à çe trait, qui eft frappé fièrement & avec vigueur;

Fit éclore d'un bloc ces aigles vigoureux, Dont tu peignis le vol, en planant auprès

d'eux.

Ce que M. Ducis a le plus maltraité, c'est ce qui concerne le Héros de la Pétréide, Prefque tous les traits en font forcés, & d'un faux goût. Noble artifan ne dit rien, Prince artifan auroit dit quelque chofe, Eft-ce que dans un Poëme, on trace le port d'un Héros Dirot-on qu'Homere a tracé le port d'Achille? Toi qui femblois t'accroûre, n'eft pas François. Un Héros peut croître à mes yeux, à mefure que je le confidère; mais il ne s'accroît

pas. Accroître marque l'étendue, & non la hauteur. Une Ville s'accroît ; un temple croît & s'élève. Ce qui eft du ftyle le plus ampoulé & le plus ridicule, ce font ces deux vers:

Géant qu'à ta hauteur il brûloit d'élever, Qui prenois fous fes mains ta taille toute entière.

Je n'ai point de terme pour exprimer tout ce qu'il y a de choquant dans cet incompréhenfible langage. Un Poëte tâche de s'élever à la hauteur de fon fujet & de fon Héros; mais élever un Héros, & qui pis eft, un géant à toute fa hauteur, qu'eft-ce que cela fignifie ? Ce géant a la hauteur qui lui est propre. Ce n'eft point lui qu'on peut élever; mais on doit s'élever jusqu'à lui. Prendre fa taille toute entière fous les mains du Poëte eft burlefque. Au refte, fi ces expreffions avoient quel que fens, elles fignifieroient que M. Thomas vouloit traiter fon fujet d'une manière gigantefque, en faifantd'un grand homme un géant, & c'est là un fingulier éloge. Nous verrons par les fix premiers chants de la Pétréide

les feuls qui foient en état de parottre, fi nous aurons beaucoup perdu à ce que les dix-huit autres n'ayent pas été achevés; car M. Thomas vou. loit remplir une carrière'de 24 chants; mais nous doutons que Pierre-leGrand ait perdu un Homère dans la perfonne de M. Thomas; cet écrivain n'avoit pas affez de foupleffe dans le génie, pour se plier à tous les tons qu'exige le Poëme épique; il avoit une chaleur factice, plus fupportable dans une déclamation oratoire, que dans la Poëfie; & fa manière fentencieufe, qui paroît dans les vers qu'on a déjà vus de lui, eft le défaut le plus fatiguant pour un long Poëme, Un ami fincère de M. Thomas, auroit dû lui confeiller d'écrire fa Pétréide en profe; cet ouvrage auroit été davantage à la portée de fon talent; il auroit pu l'achever; il n'auroit point épuifé fes forces & la vie, par un travail contre nature; & la gloire n'auroit pas été médiocre d'être l'émule de Fenelon, fi la Pétréide avoit été cigne de figurer à côté de Télémaque, M. Ducis termine ainsi son Poëme funèbre ;

« PrécédentContinuer »