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» cent fois, que je ne vous ai épousé que » pour écarter la gêne fous laquelle j'étois » avant de me marier? » Qui jamais a révélé fa turpitude & fes baffes manœu vres, comme le fait Madame d'Ortigni: « Quelle femme eft plus attentive que moi à déterrer les vieux malades qui » payent les complaifances? Mes foins » affidus auprès de ce moribond pen»dant trois femaines que je l'ai dor»loté, m'ont valu mes nouvelles boucles » d'oreilles............ elles font fuperbes, » quelqu'autre malade payera l'aigrette », Sur quoi le mari très-fatisfait, répond; « Ne les prenez que bien mourans, Ma» dame; qu'ils n'aillent point traîner ou » en revenir » J'en couche un en joue reprend Madame d'Ortigni, & je vous protefte que j'en attraperai un » bon legs; il n'ira pas plus de quatre mois.... que je trouve l'occafion d'être couchée fur un teftament, & je ne crain »drai pas d'appliquer de mes mains les flanelles fur les membres fouffrans du teftateur goutteux » Ces détails font plus dégoutans que comiques : d'ailleurs, cette manière de gagner de l'argent n'eft guère en ufage parmi les

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femmes d'un certain état. Le mari avoue de fon côté, fes friponneries, il fe complaît dans l'énumération de fes infamies, & dit naïvement: heureufement que rien ne me rebute, & que pour gagner un écu, je ne trouve rien de difficile.

La groffièreté & la dureté avec laquelle ils reçoivent leur cousin Vanglenne, eft abfolument éloignée de nos mœurs; il n'y a plus de Financiers faits fur ce modèle là; il eût été plus conforme à l'efprit actuel de la Nation, de donner au Financier & à fa femme, cette politeffe, cette apparence même de fenfibilité ftérile, que l'on fait fi bien concilier avec l'égoïsme; mais la marche de la pièce exigeoit quelque chofe de plus tranchant : d'ailleurs, c'eft un drame romanefque, où il s'agit moins de peindre les mœurs, que d'attacher par l'effet théâ tral. Vanglenne, que fon impitoyable coufin pouffe hors de chez lui, est reconnu par un Agent de change nommé Mulson, qui entre dans le méme moment, & celui-ci apprend à M. & à Mdme d'Ortigni que cet homme

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qu'ils mettent à la porte, eft un des plus riches particuliers du Royaume, Cet incident peu naturel par lui-même, ravit aux fpectateurs tout le plaifir de la furprise, & ôte la moitié de fon prix à la belle fcène où Vanglenne est fi bien accueilli par fa coufine; on fait déjà que Vanglenne eft riche, & payera bien l'hofpitalité qu'il reçoit. Le dér nouement eft abfolument prévu, & l'intérêt confidérablement affoibli; mais un trait d'humanité eft fi touchant par lui-même; on a tant de plaifir à voir la vertu récompenfée, le vice humilié & puni, qu'il femble que des objets fi intéreffans n'ayent pas befoin de l'artifice du théâtré. Je remarque que ces fujets fi beaux, ces fituations intéreffantes, qui portent leur fuccès avec elles, & difpenfent l'Auteur d'avoir du talent, ont communément été déterrés par des Poëtes médiocres; nos grands Ecrivains tragiques & comiques, fe font prefque toujours attachés à des fujets ingrats & difficiles, où il falloit tout créer, & qui ne pouvoient être traités que par un génie supérieur; ils semblent

n'avoir pas cherché ces bonnes fortunes dramatiques, qui ne fuppofent aucun mérite dans celui qui les obtient, & font la ruine de l'art.

C'eft particulièrement au troifième acte qu'on remarque combien la conduite de la pièce eft bifarre. Lorfque M. & Mdme d'Ortigni arrivent dans un hôtel magnifique, où le riche coufin a logé fa généreuse coufine il s'éloigne, fous prétexte que ce n'eft pas là fon domicile ; & fe jettant dans un fauteuil, il prend un livre qu'il lit négligemment : cette incivilité eft une platte vengeance; & d'autamt plus ridicule, que le lecteur éloigné du cercle, n'en continue pas moins la converfation: n'eût-il pas été plus piquant & plus délicat d'accabler de cérémonies & de politeffes, ceux qui f'avoient accueilli fi groffièrement : ce perfifflage eût mieux valu que les farcafmes amers de Vanglenne. On ne s'attendoit pas à trouver tant d'éru dition dans un être auffi brutal que le financier d'Ortigni, qui s'avise de rappeller au coufin l'aventure du Général Philopamen, à qui fur fa mau¬

vaise mine, une hôteffe, qui ne le connoiffoit pas, fit fendre du bois ; mais ce trait scientifique eft encore fort raisonnable en comparaifon de la differtation fur les Journaux & du commentaire fur l'Epître à mon Habit, de M. Sedaine. Quel Auteur dramatique s'eft jamais avifé au moment où les fpectateurs attendent le dénouement, de faire le fcholiafte, & d'expliquer vers par vers, une pièce très-connue, & qui n'a pas befoin d'explication: qu'ont de commun les Journaux avec Faventure de l'Habitant de la Guadeloupe? SiM. Merciera des raifons pour ne pas aimer les Journaux & les Journafiftes, il choifit très - mal fon tems pour leur faire une querelle; il y a d'ailleurs de l'injuftice & de la mauvaise foi à mettre dans la bouche du Financier, des éloges ridicules des Journaux, qui donnent trop d'avantage à Vanglenne; & M. Mercier triomphe trop aifément, puifque c'eft lui qui fait les objections & les réponses.

Il y a peu de naturel & de vérité dans le dialogue de cette pièce ; c'est toujours M. Mercier qui parle par la bouche de tous fes perfonnages, &

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