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» Bourgogne, en Franche-Comté, is mes fautes de politique' ont fait » verfer des flots de leur fang, & » ont épuifé leurs tréfors; ils m'ont » tout pardonné, parce qu'ils fça»voient bien que je pleurois le pre»mier de leurs maux. O' nation' ai»mable & fidelle, dont le premier

besoin eft d'aimer tes Rois! Elr! »quelle feroit leur erreur d'aller cher» chèr ailleurs d'autres fujets! où en » trouveroient-ils qui te valuffent? » Mon fils, contentez-vous donc de » la France; votre partage eft affez » beau; mettez votre gloire à la ren>>dre heureuse & non pas à l'agran dir: ou, fi une noble émulation »vous anime tournez-la du côté » des arts. Eux feuls vous man»quent, & voici le fiècle où ils fem» blent s'élever à leur plus haute perfection.

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Ici le Roi mourant trace un tableau des découvertes des navigateurs & de la renaiffance des arts en Italie; & ce tableau eft peut-être un peu déplacé de la part d'un Prince agonifant. Il finit fouhaiter que

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le fiècle d'un Roi de fon fang efface le fiècle de Medicis. François I, qui dans toute cette fcène joue un perfonnage muet, ne répond aux difcours de Louis qu'en fondant en larmes; je conviens qu'il eût été difficile de faire parler ce jeune Prince d'une manière convenable à la fituation: mais on auroit mieux aimé que la tirade fur les beaux arts eût été dans la bouche de François I, que dans celle de Louis XII.

La confeffion du bon Roi eft à peine achevée, qu'une autre fcène commence. On entend retentir le palais de cris plaintifs, de gémiffemens, de mille voix confondues avec des fanglots, & ce trifte bruit vient tonjours croiffant, jufqu'à ce qu'enfin les portes de l'appartement s'ouvrent avec fracas, & un flot de peuple fe précipite & tombe à genoux devant Louis: » Pardonnez, s'écrient-ils. » ô le meilleur des Rois, pardonnez fi nous avons forcé vos Gardes, " fi nous avons brifé vos portes. Nous n'efpérons plus que le ciel vous rende à nos vœux, à nos

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»larmes, & nous voulons vous voir » encore, nous voulons contempler. » notre père, & ne pas perdre un »feul des inftants que nous allons »tant regretter. Ah! laiffez-nous, » laiffez-nous jouir du refte de notre

bonheur, laiffez-nous regarder & > entendre encore le bon Roi qui » nous aima fi bien ».

En difant ces mots tous fe preffent autour du lit, tous fe profternent & pouffent de longs gémiffemens. Quelques-uns relevent leur tête & effuient les larmes qui rempliffent leurs yeux pour mieux confidérer Louis, pour mieux faifir fur fon vifage la moindre lueur d'efpérance. Mais la pâleur de Louis ne leur laiffe plus d'efpoir, leurs larmes coulent avec plus d'abondance; & leur tête retombe fur leur poitrine. D'autres baifent les meubles qui lui ont fervi, les vêtemens qu'il a portés, les voiles qui couvrent fon lit. Tous rappellent fes bienfaits: il m'a rendu mes biens, difoit l'un; il garantit mon champ du pillage, difoit l'autre ; il m'a fauvé la vie à Agnadel, difoit en fan

glotant un vieux foldat; je fuis Génois, interrompoit un archer couvert de-bleffures, j'étois parmi les révoltés; il me donna ma grace & nourrit encore mes enfans. Alors tous crioient à la fois : Dieu tout puiffant, prenez nos jours & confervez à nos enfans notre bon Roi!

Ce fpectacle, ces larmes, ces cris achèvent d'épuifer les forces de Louis. Il fe foulève à peine, il veut parler, il ne peut que pleurer. Il regarde ce peuple en fouriant à travers fes larmes; fon ame prête à s'échaper s'ar rête pour jouir encore de l'amour de fes fujets. Mais il fent que le moment approche, & faifant un dernier effort, il faifit la main de François I, & lui dit d'une voix éteinte: regardez, mon fils, regardez, & jugez s'il eft doux d'être Roi d'un tel peuple. Mon fils aimez les comme vous voyez qu'ils favent aimer. Tout l'art de régner fur des françois confifte dans un feul mot, aimez - les. En difant ces paroles, il expire, & tout le peuple jette un cri lamentable. A ce cri fuccède un filence morne &

profond. Chacun fe relève, regarde long-temps le vifage pâle du bon Roi, & fortant du Palais les yeux baiffés & noyés de larmes, ils vont crier dans les rues & dans les places publiques: Le bon Roi Louis XII, le père du peuple eft mort.

Cette fituation dramatique eft encore moins vraisemblable la que longue converfation qui a précédé. Il n'eft pas naturel, il n'eft guères poffible que le peuple vienne enfoncer les portes de l'appartement d'un Roi qui va expirer, & trouble avec tant de fracas fes derniers momens. Il faut pourtant favoir gré à l'auteur de cette invention qui termine fon éloge d'une manière fi pathétique, de la feule manière qui put n'être pas froide après la fcène qui venoit de fe paffer; & cette péroraifon en action vaut mieux fans doute que toutes les phrafes d'un Rhéteur. Les dernières paroles de Louis XII, que nous avons abrégées, peignent mieux fa bonté que tout un difcours; le fentiment en eft admirable. C'eft ainfi qu'il faut dire la

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