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LETTRE XVIII.

Les Bas-Reliefs du dix-huitième fiècle, avec des Notes ; à Londres, & fc. trouve à Paris, chez Buiffon, Libraire hotel de Mefgrigny, rue des Poitevins. Petite brochure de 160 p. Prix 30 fols. Avec cette épigraphe's

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Romanosque tuos

QUE

Hanc afpice gentem.

Virg.

UE fignifie ce titre, Monfieur? Quelle idée vous préfentent les BasReliefs du dix-huitième fiècle ? C'eft probablement ce que vous avez affez de peine à deviner. Mon deffein n'eft pas cependant de vous renvoyer à l'ordinaire prochain pour vous donner mystérieusement le mot de l'énigme.

L'auteur de cet ouvrage fe trouvoit dernièrement dans un de ces fou

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pers

délicieux où l'on rencontre la meil leure compagnie. Cette compagnie la meilleure de toutes, c'étoit des femmes élégantes qui s'entretenoient de leur parure, de jolis abbés qui leur répondoient par de petits vers, des Anglomanes qui parloient de courfes de chevaux, des gens fcientifiques, &c.; & pour completter le cercle, il y avoit un de ces hommes que l'on nomme frondeurs. Cet homme, que l'auteur traite de cynique, déclamoit fortement contre le fiècle, en foutenant que le génie y étoit fans force, les ames fans énergie, les cœurs fans amitié, & qu'au bout de quelques Juftres on ne fe fouviendroit pas plus du dix-huitième fiècle, que s'il n'avoit jamais exifté. Ces paradoxes don nent beaucoup d'humeur à l'homme aux bas-reliefs, qui regarde ce fiècle comme un des plus merveilleux qui aient jamais exifté. Il s'en retourne chez lui la tête pleine de tout ce qu'il vient d'entendre, & attend qu'il foit feul, & bien étendu dans fon lit , pour réfuter les opinions du frondeur.

Tandis qu'il recueille ainfi intérieurement les réponfes qu'il auroit dû faire en pleine compagnie & qu'il déclame à fon tour contre le frondeur qui ne l'entend pas, le fommeil vient par dégrés appéfantir fa paupière, & il s'endort en murmurant contre le myfanthrope dont le difcours l'avoit révolté.

A peine les yeux font-ils fermés, qu'il fait le plus beau rêve du monde, Il s'imagine entendre fonner la dernière heure du dix-huitième fiècle; la Gloire & la Folie s'offrent auffitôt à lui & le tranfportent en un moment aux bornes de la terre, vis-à-vis un édifice immenfe. Il entre & voit avec furprise que cet édifice étoit rempli de Bas-Reliefs, les uns Superbes, les autres burlesques, où l'on avoit configné tous les évènemens du dix-huitieme fiecle, Vous voyez maintenant ce que c'eft que les Bas-Reliefs du dix-huitieme fiecle,

Il n'eft pas douteux que ce fiècle, en le prenant précisément à l'année 1700, n'ait vu beaucoup de grands hommes dans tous les genres, Mais

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n'eft-ce pas faire un vol manifeste au fiècle dernier que de mettre fur le compte de celui ci une foule de héros, de philofophes, d'écrivains que l'autre à produits, & que a le dix-huitième fiècle a vu feulement mourir? Et remarquez qu'il ne s'agit pas feulement ici des grands perfonnages de notre pays; les rêves de l'auteur ont une toute autre étendue. I embraffe toutes les parties de l'univers. Vous jugez par-là du nombre & de l'état de fes Bas Reliefs. On voit d'un côté des tombeaux, de l'autre des berceaux ; ici Newton, Locke, Mallebranche, qu'on porte en terre; là, Jean-Jacques d'Alembert, Diderot qu'on porte en nourrice. L'auteur ne fe contente pas de mettre au rang des Princes qui ont fait & qui font encore le bonheur ou la gloire du monde, Louis XVI, Frédéric, Jofeph II, Guftave, Catherine; il gratifie généreufement ce fiècle de Guillaume III, mort en 1702, de Louis XIV, mort en 1715, du Czar Pierre I, mort en 1725. Avec cette manière de voir les chofes,

il doit y avoir réellement peu de de fiècles auffi brillans que le notre, Mais la gloire eft-elle bien juste dans cette diftribution de ces BasReliefs?

La plaifante réponse à faire à un homme qui fe plaindroit des mœurs & des talens actuels, que d'aller ainfi raffembler les hommes illuftres morts il y a cinquante, foixante & quatrevingt ans, & de les oppofer aux prétendus détracteurs de notre temps? Je doute que ce fut là un moyen bien puiffant pour les convaincre; & l'auteur me paroît prudent d'avoir réfervé ces beaux raifonnemens pour le moment où il feroit feul dans fon lit; s'il les eut faits à fon frondeur en pleine compagnie, il eût été expofé à ne pas voir les rieurs de fon côté.

Parmi les titres réels que l'auteur réunit pour en compofer la gloire de notre fiècle, il y en a fans doute beau coup qu'on ne fauroit contefter; telles font les vertus & les talens des fouverains affis fur les différens trônes de l'Univers, les vues fages & bienfaifantes des Miniftres, les établiffe

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