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COMEDIE FRANÇOISE.

ON a donné Mardi neuf Mai là

première, & probablement la dernière représentation d'une tragédie nouvelle, intitulée Scanderberg. Il n'y a d'hiftorique dans cette pièce que le fiège de Croïa & le retabliffement de Scanderberg fur le trône d'Albanie. Le refte appartient à l'auteur qui n'a pas lieu de fe féliciter beaucoup de la richeffe de fon imagination.

Il fuppofe que pendant le fiège de Croïa, le Sultan Amurat deux, à la follicitation de fon fils Mahomet a fait arrêter Scanderberg: mais l'amour brife les fers de ce héros ; la fille du Sultan fe rend dans le le camp de fon père, uniquement pour demander la liberté de fon amant & l'obtient; fur ces entrefaites, un vieillard albanois vient propofer à Amurat de remettre la deftinée de la ville au fuccès d'un combat fingu

lier: Amurat y confent & confie tous, fes droits à l'épée de Scanderberg. Arrivé fur le champ de bataille, au lieu d'un combat à livrer, ce guerrier n'a qu'un fecret à écouter, & ce fecret, c'eft qu'il eft Roi d'Albanie, comme le dernier des quatre fils d'Ivan. Il entre donc fans façon dans fa ville capitale, & de là envoye porter un défi plus férieux à Mahomet fon ennemi particulier. Amurat nẹ veut pas expofer fon cher fils aux accidens d'un duel. A plus forte rai fon rejete-t-il la ridicule propofition de fa fille qui veut aller fe préfenter à Scanderberg à la place de fon frère. Mais elle eft fi entêtée de fon projet, qu'elle échappe miraculeusement à la vigilance des Eunuques, paffe au travers des fentinelles & arrive aux portes de Croïa où elle caufe fort à fon aife avec fon amant. Il eft queftion de mariage; la différence des religions forme un obftacle; cependant quoique la Princeffe ne paroiffe pas très- zélée mufulmane & femble, en difant que fa mère étois chrétienne, chercher un prétexte pour

épouser un chrétien, on se sépare fans rien conclure. Mahomet, ce fils d'Amurat, à qui fon père a défendu de te battre en duel; après avoir tenté inutilement de faire affaffiner Scanderberg, après avoir voulu ôter la vie à fa propre fœur, s'enfuit avec une partie de Farmée de fon père qu'il a foulevée: Scanderberg profite de ce défordre pour tomber fur le refte des troupes d'Amurat. Le Sultan eft pris & conduit devant Scanderberg qui lui fait un affez bon accueil; la fille d'Amurat arrive & menace de fe tuer, fi on ne rend la liberté à son père; le généreux Scanderberg ordonne auffi - tôt qu'on lui ôte fes fers. mais Amurat n'a pas plutôt les mains libres qu'il fe baiffe pour ramaffer un poignard que fa fille a laiffé tomber, & s'en fert pour fe

tuer.

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Cette efquiffe fuffit pour faire juger du plan & de la marche de la pièce, du caractère des perfonnages & des incidens qui forment le nœud & le dénouement quoiqu'il y ait allez de fracas, de pantomime & de

coups de théâtre, quoique la fcène foit fouvent embarraffée de foldats ces grands moyens qui font la for tune de tant de pièces, n'ont pư foutenir Scanderberg, ni même le conduire jufqu'à la fin. Pour avoir le droit d'être extravagant & abfurde, il faut du moins intéreffer les fpecta teurs; on ne pardonne le défaut de vrai femblance qu'en faveur de quelques fituations qui attachent. Quand on eft froid & ennuyeux, en obfervant toutes les règles, on n'en tombe pas moins. Que fera-ce quand on ennuie en les violant toutes, & qu'il ne rés fulte pas le moindre intérêt des fo lies & des horreurs qu'on entafle. Scanderberg n'a cependant pas ennuyé, car il a fait beaucoup rire; & c'eft à tort qu'on dit que la gaieté fe perd fur la fcène françoife, car au défaut des poëtes comiques, les poëtes tragiques fe chargent depuis quel que temps d'égayer l'affemblée & y réuffiffent fort bien : il y a même aujourd'hui certaines pantomimes de certaines tragédies vantées autrefois qui paroiffent plus réjouif

fantes qu'aucune fcène de comédies modernes, tel eft l'efcamotage du poignard au dénouement d'Hyperme neftre, qui eft maintenant en poffeffion de mettre le parterre en belle humeur. On fe fouvient encore des éclats de rire qu'a excités Ceramis qu'on s'obftine à reproduire, & dont l'affiche nous menace dans le moment où j'écris, pour le Samedi fuivant; fans doute, afin de le faire paffer à l'appui du Portrait dont la nouveauté fuffit pour garnir la falle.

Je doute qu'on entreprenne de faire reparoître Scanderberg avec des changements, Quelques jeunes gens d'un goût peu formé difoient pen-. dant la représentation que pour faire réuffir la pièce, il fuffiroit de retrancher quelques longueurs; mais un vieillard, plus verfé dans l'art du théâtre, a répondu froidement, que pour éviter une feconde chûte il falloit retrancher les cinq actes.

On a été de la plus grande indulpour les vers, puisqu'on a applaudi celui-ci.

Le jour commence heureux, il s'achève fatal.

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