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brigands, & affervir aux loix des guerriers féroces; qui eut l'art de tromper les hommes pour les rendre heureux. Avant d'avoir lu l'ouvrage de M. de Florian`, je m'imaginois fur le titre feul, qu'il s'étoit plu à nous tracer le tableau d'un gouvernement équitable, tableau qui devoit être d'autant plus intéressant pour la nation Françoife, qu'il n'auroit point excité les regrets, & que les vertus de fes auguftes Maîtres ne lui laiffent rien à envier aux fujets de Numa & d'Egerie. L'influence de la religion, des loix & des arts fur le bonheur d'une fociété naiffante, pouvoit fournir au génie de l'Auteur, des développemens trèsprofonds & très - philofophiques; & les Hiftoriens nous ayant laiffé fort peu de détails fur l'adminiftration de Numa, l'imagination de M, de Florian pouvoit raffembler dans un cadre intéreffant, tous les moyens que fournisfent la politique & la morale, pour affurer la félicité publique. La fiction n'eût pas été fi pcëtique, ou plutôt fi toman efque; ma's elle eût été plus philofophique, plus utile, plus digne à

tous égards, de notre fiècle, & plus conforme à fon goût. Quelle a été ma furprise, quand j'ai vu le grave & paifible Numa, travefti en Héros de roman, en Chevalier errant, qui court le pays, & cherche les aventures. Ce que l'Hiftoire nous apprend de la jeuneffe de Numa, auroit dû faire perdre à l'Auteur l'envie de défigurer par de vaines fables, des vérités fi touchantes. J'avoue que le fimple récit de l'éducation & des vertus du jeune Numa dans la retraite, me plaît & m'intéresse davantage que la brillante peinture de fes amours, de fes courses & de fes exploits.

Voici comment s'exprime Plutarque. dans fa vie de Numa (1): « Naturelle» ment porté à la vertu, il s'étoit en» core poli & perfectionné par l'édu»cation, par la patience & par la philofophie, & avoit purgé fon ame » non feulement de toutes les paffions » honteuses, mais de celles qui paf»foient pour des vertus parmi les » Barbares, comme de l'avarice & de

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(1) Traduction de Dacier.

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» la violence, estimant que la vérita» ble force confiftoit à réformer fes » defirs, & à les tenir toujours fous l'empire de la raifon. Avec ces fen» timens, il banniffoit de fa maison » toute forte de luxe & de magnifife livroit autant aux étran"gers qu'aux citoyens, pour être leur » confeil, leur arbitre & leur juge, & » employoit tout le loifir qui lui » reftoit, non pas à fe plonger dans

« cence,

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les voluptés, ou à amaffer des ri» cheffes, mais à fervir les Dieux & » à connoître par raison, leur nature » & leur puiffance; ce qui lui avoit acquis tant de réputation & de » gloire, que Tatius qui régnoit à » Rome avec Romulus, l'avoit choifi » pour fon gendre, & lui avoit donné » fa fille unique Tatia, Ce mariage » ne le rendit pas plus vain, ne le » porta pas même à aller trouver Son beau-père; il demeura toujours dans le pays des Sabins, pour avoir foin de la vieilleffe de fon père, avec Tatia, » qui, de fon côté, préféra une vie » tranquille & obfcure avec fon mari, » à tous les honneurs dont le Roi fon

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père l'auroit fait jouir à Rome. Elle » mourut treize ans après fon mariage; & Numa quittant le féjour » de la Ville, se retira à la campagne, » où il fe promenoit toujours feul, paffant fa vie dans les bois des Dieux, » dans les prairies facrées, & dans les » lieux les plus folitaires & les plus » déferts ».

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Comment après avoir lu ce paffage de Plutarque, M. de Florian n'a-t-il pas renoncé au deffein de faire de Numa, une efpèce de paladin qui a des maîtreffes, donne de grands coups de lance, & court par monts & par vaux ? Cela étoit bon du tems de Scuderi & de la Calprenede; encore le judicieux Boileau leur a-t-il reproché l'outrage qu'ils faifoient aux grands noms de l'antiquité :

Des fiècles, des pays étudiez les mœurs, vous de donner ainsi que dans

Gardez

Clelie,

L'air & l'efprit François à l'antique Italie; Et fous des noms Romains, faifant notre

portrait,

Peindre Caron galant, ou Brutus dameret.

Si l'Auteur vouloit faire un roman, il falloit choisir un personnage moins connu & moins vénérable. Pour vous mettre à portée de juger fi réellemeng M. de Florian a obfervé les mœurs & le costume, & s'il nous a peint Numa fous les véritables traits : voici une légère efquiffe de fa fable.

It fuppofe que Pompilius, Prince du fang des Rois Sabins, s'avifa de mener fa femme Pompilia, dans le neuvième mois de fa groffeffe, & prête d'accoucher, à des jeux que Romulus célébroit dans fa nouvelle Ville; il falloit bien avoir la fureur du fpectacle, & c'étoit une grande impru dence. Au fignal donné, les Romains fe jettèrent fur les fpectateurs, & enlevèrent leurs filles. Plutarque dit expreffément qu'ils ne touchèrent point aux femmes mariées, encore moins à celles qui paroiffoient prêtes d'accoucher. Cependant M. de Florian repréfente une cohorte Romaine, fans égard pour l'état où fe trouvoit Pompilia, étát tout-à-fait contraire aux vues des raviffeurs, arrachant cette femme des bras de fon époux, qui la défend

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