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vre de fes flots les Barbares, » les Souverains, les élémens conjurés ne feront pas à préfent reculer d'un pas la raifon elle s'ar» rêtera; mais l'orage paffé, elle reprendra fon cours; & fes pas, gui » dés par les Lettres, la porteront » auffi loin qu'elle peut aller.

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Il réfulte de cette merveilleufe déclamation que dans le fiècle de Louis XIV, dans ce fameux fiècle du génie & des arts, le pouvoir des fciences & les armes de la raison n'exiftoient point encore; que les ouvrages de nos modernes philosophes ont répandu la vérité fur toute la furperficie du globe; enfin, que la raison dans notre fiècle eft fi avancée qu'elle ne peut plus reculer.

Voilà des affertions qui fembleroient prouver que la raifon au contraire recule prodigieufement aujourd'hui. Lorsqu'au Louvre, en pleine Académie, on avance de pareilles abfurdités, & que l'affemblée n'en fait pas juftice par des huées; c'eft une preuve que la philofophie moderne à préparé & prefque confommé la

décadence des efprits. En effet, ne faut-il pas étrangement compter fur l'ignorance & l'imbécillité des auditeurs, pour entreprendre de leur perfuader que, dans le fiècle le plus fécond en Savans du premier ordre, on ne connoiffoit pas le pouvoir des fciences; que les armes de la raifon n'étoient pas encore fabriquées dans un fiècle dont tous les Ecrivains, ceuxmêmes qui fe font voués aux genres les plus frivoles,fe diftinguent par un fond de folidité & de raison exquife. En effet, les Boffuet, les Bourdaloue, l'es Fenelon, les la Rochefoucault, les la Bruyere n'avoient pas tant de raifon que l'Abbé Raynal, Diderot, Boulanger, Maillet,Helvetius, Lamettrie, &c. Vous, Mr., qui trouvez plus de raifon & de vraie philofophie dans Moliere & dans la Fontaine que dans toute l'Encyclopédie, vous ne vous doutiez pas que nous étions dans le fiècle de la raifon : il eft vrai que notre enthoufiafme ftupide pour des bagatelles & des fottifes, notre fanatifme pour les Mufées, la Chymie & les Ballons, nos niaiferies fentimentales, nos ca

lembourgs, nos livres, nos fpectacles, notre corruption & notre luxe annoncent plutôt le fiècle des Triffotins, des charlatans, des bouffons & des intrigans de toute espèce: mais je vais vous dire le mot de l'é nigme. La raifon, dans les écrits des philofophes, ne défigne plus cet ef prit droit & jufte qui règle nos ac tions, ce flambeau qui éclaire nos démarches, le ta&t du beau & des convenances; ce mot raifon ne fignifie chez eux qu'indifférence pour la religion avec cette clef vous enten drez du moins ce qu'ils veulent dire; Pourquoi n'y avoit-il point de raifon fous Louis XIV; c'eft qu'on y difputoit fur la grace, & qu'on vouloit que tous les citoyens fuffent foumis aux décifions du chef de l'églife fur cet article. Pourquoi y a-t-il aujourd'hui tant de raifon, c'eft que les difputes du janfénifme font éteintes. Vous me direz; fi on ne difpute pas aujourd'hui fur la religion, ce n'est pas qu'on ait plus de raifon c'eft qu'on a moins de religion, & que mulle part on ne difpute fur ce qui

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n'intéreffe perfonne. Dans le fiècle précédent on regardoit généralement: la religion comme l'objet le plus im portant pour tous les hommes, & pour chacun en particulier; il n'y avoit point d'expérience de phyfique. ni d'opération de chynie qui offrît un auffi grand intérêt: il étoit trèsconféquent qu'on s'en occupât effentiellement, & qu'aucune opinion fur un article aufli intéreflant ne parût frivole ni indifférente. Aujourd'hui que nous croyons le bonheur du genre humain attaché aux ballons, au gaz, à l'électricité, au magnétifme, &c. on écrit, on difpute, on s'échauffe, on le tourmente pour ces graves objets; & il y auroit perfécution fi l'un des deux partis avoit affez de pouvoir pour accabler l'autre.

Remarquez que les Auteurs de ces fubtils déraifonnements, de ces difputes frivoles & interminables au bruit defquelles la raifon s'eft réveillée étoient les efprits les plus vigoureux & les plus folides, les hommes du plus grand fens, les meilleures têtes c'étoient les Arnaud, les Nicole, les

Pafcal, &c., & les autres écrivains du Port-Royal qui ont formé la langue, & dont plufieurs font connus par des chef-d'œuvres de raifon & de logique; affurément les épigrammes & les fophifmes de d'Alembert, l'obfcur galimathias & les déclamations de Diderot, quoiqu'écrites fous la dictée de la philofophie, font infiniment au-deffous de la grammaire générale & raifonnée, de la perpétuité de la foi, des effais de morale, des penfées, &c. La feule vérité que les écrits des modernes philofophes aient répandu fur la fuperficie du globe, c'eft que la religion eft ce qu'il y a de plus indifférent au bien de la fociété; ce qui, aux yeux même d'un philofophe profane, eft un des plus groffiers menfonges qu'on ait jamais écrits ; & s'il y a une erreur nuifible au bonheur du genre humain, c'eft celle là.

J'admire l'intrépidité & la roideur de la foi philofophique de M. Sedaine, lorfqu'il affure que ni les barbares, ni les Souverains, ni les élémens conjurés ne feront point à préfent reculer

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