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un pas la raifon. Si ce n'est pas du fanatifme le mieux conditionné, je ne m'y connois pas. Je fçais bien que cette pompeufe tirade n'eft qu'un commentaire de ce texte fameux la vérité a vaincu, le genre humain est fauvé mais je crois qu'un poëte comique, tel que M. Sedaine, ne devoit voir dans cette phrafe qu'une boutade très-plaifante d'un géomêtre qui croit pieusement que le falut du genre humain eft attaché à des for mules algébriques; il ne convenoit ni à fon âge, ni à fon caractère, d'entrer dans de pareilles convulfions & d'avoir de tels excès de ferveur; pour moi qui vois les chofes de feris froid, je fuis perfuadé que l'excès du luxe & de la molleffe, que les mauvaises mœurs nuifent plus à la raifon que les barbares, les Souverains & les élémens; que ce ne font ni les démonftrations, ni les calculs, ni les laboratoires, ni les machines. de phyfique, qui donnent un fens droit ; que tout cela ne fert qu'à faire la fortune de quelques prétendus favans, & à flater la vanité de quelques

riches amateurs; je crois, & je ne ferois pas embarraffé de prouver qu'il y avoit plus de bon fens dans les premiers fiècles de la république romaine, qu'il n'en exifte aujourd'hui parmi nous; il eft impoffible que des efprits dégradés par l'habitude des frivolités & par l'importance qu'ils leur donnent, que des ames fans reffort & fans vigueur, abbâtardies par le goût des fuperfluités, avilies par une foule de petites paffions, puiffent jamais avoir une raifon bien faine; & je ne ferois pas furpris qu'au milieu de nos mulées, de nos bibliothèques, de nos académies, de nos cabinets d'hiftoire naturelle, de nos fourneaux & de nos analyfes, nous n'en vinffions un jour au point de n'avoir plus le fens commun.

La fin du Difcours de M. Sedaine m'a un peu réconcilié avec lui, parce qu'elle offre un éloge auffi jufte que touchant des vertus de Louis XVI, & de fon augufte Compagne.

» Louis XIV a élévé l'efprit de » la Nation; mais la raifon nous a prouvé que cette grandeur qu'il

» avoit manifeftée dans toutes les opé » rations de fon règne, ne fuffifoit » pas pour le bonheur des Peuples, » & que leur félicité étoit l'ouvrage a de la première de toutes les vertus ≫ de la Bienfaifance: elle s'eft affife » fur le Trône; & le François, qui » fuit avec ardeur l'exemple de fon » Roi, doit à Louis XVI cette paf fron de bienfaifance qui s'eft répandue dans tous les Etats du » Royaume le plus fortuné.

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» Oui, le vieillard, en mourant, » relevera fa paupière affaiffée; & » jettant fur fes enfans & fur leurs rejettons, un coup d'œil fatisfait & » tranquille, il leur dira: Ne pleurez pas; regardez le Trône; contemplez le Monarque qui l'occupe; » voyez fon augufte Compagne : ils » nous aiment; ils font dans la force » de l'âge ; & vous ferez long-temps » heureux.

J'aurois volontiers pardonné à M. Sedaine d'avoir fait un Difcours trèsfimple & très-commun; un homme qui excelle dans un art, eft ordinairement celui qui réuffit le moins dans

ces bagatelles: le génie ne fçait point parler quand il n'a rien à dire ; plus un écrivain eft fupérieur dans fon genre, moins il a d'efprit dans de pareilles occafions; les grands hommes du fiècle de Louis XIV ont fort peu brillé dans leurs Difcours de réception qui nous paroiffent au-deffous du médiocre. Aujourd'hui des écrivains au-deffous du médiocre font des difcours applaudis comme des chefd'œuvres; le talent de notre fiècle, fon caractère diftin&tif eft de réuffir éminemment dans les petites chofes, & de dire très- ingénieufement des riens. Mais M. Sedaine, quoique dif penfé de bien écrire & d'être éloquent, ne l'étoit pas affurément d'être judicieux & raifonnable; il ne devoit pas emprunter le jargon du charlatanisme philofophique, & adop ter aveuglément des opinions & des principes que la raifon & l'expérience défavouent.

Le Difcours de M. Lemierre est mieux écrit & mieux penfé. Il parle de ce dont il doit parler, & il en parle bien, fans jamais laiffer rien

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transpirer des myftères de la fecte, qui ne font bons que pour les initiés ou pour les fots: il paffe d'abord en revue les divers ouvrages de M. Sedaine, qu'il caractèrife avec beaucoup de goût & de jufteffe ; il conclut que tous ces titres de gloire

font plus que fuffifans pour couvrir

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quelques négligences de ftyle; que M. Sedaine, en faifant l'aveu de fes fautes, s'honore plus qu'il ne s'humilie & que lui feul avoit droit pour ainfi dire, d'infulter à fon propre triomphe: cette idée a paru ingénieufe, mais elle le feroit davantage fi elle étoit plus jufte & plus nette; M. Sedaine n'eft pas le feul écrivain qui ait cru être affez grand pour faire l'aveu de fes fautes, il n'eft pas le feul qui ait eu le droit de fe les reprocher au milieu même de fes fuccès. Tout homme de goût a le droit de relever les défauts de l'ouvrage le mieux fait & le plus justement applaudi. Peut-être M. Lemierre a-t-il voulu dire que le nouvel Aca. démicien avoit feul le droit de, parler de fes défauts le jour même de

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