Images de page
PDF
ePub

LITTÉRAIRE

ANNÉE M. DCC. LXXXVI.

Parcere perfonis, dicere de vitiis. Mart.

TOME

QUATRE.

A PARIS,

Chez MERIGOT, le jeune, Libraire; Quai des Auguftins, au coin de la rue Pavée.

M. DCC. LXXXVI,

L'ANNÉE LITTÉRAIRE.

LETTRE I.

Satyres par M. C***. A Amfterdam, & fe trouvent à Paris, chez les Marchands de Nouveautés.

IL L faut avoir bien du courage, il faut être bien philofophe pour ofer publier des fatyres dans un fiècle où la vérité eft odieufe & la vertu méprifée: c'est lorfque le nombre des hommes fenfés & vertueux eft le plus grand, qu'un fatyrique peut fe flater d'être utile & même d'avoir les rieurs de fon côté. Mais lorsque la corruption eft parvenue à un tel point que N°. 19. 23 Mai 1786 Aij

les fots & les méchans forment la plus grande partie de la nation, le cenfeur des mœurs publiques n'eft pas alors le plus fort; & comme perfonne ne rit volontiers à fes dépens & n'aime à rougir de foi-même; la fatyre doit alors être un genre abhorré que chacun a intérêt de profcrire; ainfi, le fiècle qui offre le plus de matière à la fatyre eft toujours celui qui la fupporte le moins, Dans les républiques pauvres & vertueuses, la fimplicité & l'innocence des mœurs permettoient la fatyre même perfonnelle, & fembloient livrer les citoyens vicieux & pervers au glaive du poëte; c'eft ainfi que dans Athènes l'ancienne comédie défignoit les perfonnes, & faifoit juftice en plein théâ tre de plufieurs défordres que les loix ne puniffent pas, en livrant le coupable au ridicule & à l'infamie; les gens de bien qui fe trouvoient alors en force, applaudiffoient à des farcalmes qui vengeoient la fociété : mais lorfque le nombre des hommes dignes d'être bernés fur la fcène fe fut confidérablement augmenté, les loix

dont l'efprit eft toujours de favorifer le plus fort, ordonnèrent qu'on refpectât le vice puiffant & accrédité; à mesure que les mœurs fe dépravèrent, la fcène devint innocente; il fut alors permis d'être lâche, efféminé, prodigue

avare, avec une

forte d'honneur. Ce ne font point les vices & les défordres des particuliers qui forment la corruption publique, ce font les égards qu'on a pour le vice & pour les vicieux. Il ne faut pas toujours juger des mœurs d'un fiècle par les plaintes des auteurs contemporains; car dans les fiècles qui ne font point encore tout à-fait corrompus, il arrive quelquefois qu'on déclame avec plus de chaleur contre les vices que dans le temps où ils font tournés en habitude & ne blef fent plus les yeux des perfonnes.

Si, par exemple, la postérité s'avifoit de juger notre fiècle, d'après les éloges faftueux que lui donnent à l'envi les écrivains qui fe difent philofophes, ne croiroit-elle pas que ce fut le fiècle de la raifon, des lumières & de la vertu, C'eft dans l'hif

« PrécédentContinuer »