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perçois en effet tous les préparatifs de ce qu'on avoit annoncé. Un gros ballon, retenu par des cordages, fembloit n'attendre pour partir que la liberté. Fort bien. Mais je ne voyois point d'homme attaché à ce ballon: l'homme feul m'occupoit. Que m'importe un ballon qui s'élève en l'air? Nai-je pas moi-même, cent fois dans mon enfance, fait élever aufli des boules de favon? Tout en difant cela, je m'approche, je m'approche: mais que vois-je ? Une efpèce de petit bateau attaché en bas, au bal, lon, chargé de left, fourni de toutes fortes de provifions, & un homme dedans; oui, un homme; je frémis. je frémis plutôt que je n'admirai, Quoi, c'est bien un homme qui rifque ainfi fes jours pour mériter les louanges d'une foule de fpectateurs! Quel facrifice! j'ai lu, il eft vrai, dans l'hif toire romaine, qu'un Curtius, que les Decius fe font dévoués pour la patrie. Mais ils étoient fûrs de l'intrépidité invincible que leur mort inf pireroit à leurs concitoyens. La vic toire & l'empire du monde étoient

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le fruit de leur trépas. Mais ici je ne vois rien de femblable. Que fait à la patrie la hardieffe de ces navigateurs aériens. Qu'ont-ils fait tous tant qu'ils font? Car enfin il paroît que l'on m'a dit la vérité; & cet homme va partir. Quel Journal a rendu compte de leurs découvertes : quelles expériences, quelles machines devons-nous à ces effais? Aucunes. Des hommes font montés dans les airs, ils ont été ballottés par tous les vents, puis ils font defcendus de plus ou moins haut, ou ils en font tombés: voilà tout? Pendant que je faifois ces triftes réflexions, Monfieur, le jeune voyageur s'agitoit dans fa nacelle, impatient de s'élancer. Il le faut avouer, fa jeuneffe, fon ar deur m'intércfsèrent. Il n'a que vingt ans, dit-on; mais il n'en paroifloit pas plus de quinze; & fi l'on ne m'avoit prévenu que c'étoit un jeune favant, l'efpoir des aftronomes 8; des académiciens, j'aurois cru que c'étoit un jeune écolier qui fe jouoit dans le bâteau, ou l'enfant du navigateur qui préludoit avant le départ de fon

père. Mais c'étoit bien lui-même qui devoit partir. Deux coups de canon s'étoient déjà fait entendre. Un petit ballon fut lancé, c'étoit le précur feur de l'autre. Le jeune homme sembloit envier le fort de ce petit ballon. Mais fon tour ne tarda pas à arriver. Un troifième coup de canon annonça fon départ : je tremblois de. tous mes membres. Partira-t-il, difois jè; ofera-t-il partir? Il partit. Le ballon s'élève fort lentement, trop lentement au gré du navigateur, qui, plein de joie, faluoit tous les fpectateurs de la main, du chapeau. Il refta long-temps affez près de nous: & c'eft alors qu'il avoit tout l'air d'un enfant enlevé par accident comme autrefois Ganimède par l'oifeau. Pour moi, Monfieur, l'ail fixe, le col tendu, j'obfervois fans dire un mot: à peine j'en pouvois croire mes yeux. Je fuis refté long-temps dans cette attitude; on ne pouvoit plus le voir, & je regardois encore. Enfin, j'apperçus plufieurs perfonnes autour de moi; il eft donc parti, leur dis je, la larme à l'œil. Pauvre

jeune homme ? Où est-il à présent? Que va-t-il devenir? Hélas! errant au gré des vents, fur quels rochers va-t-il être jetté! On fe mit à rire. On voit bien que Monfieur n'avoit pas encore vu de ballon, dit quel qu'un de la compagnie, Non, Monfieur. Oh! je l'aurois parié. Raffurez-vous. Nous favons ce que c'est, Ce n'eft pas le premier qui s'eft élevé ainfi, Cela n'eft plus pour nous qu'un fpectacle fort divertissant,- Mais s'il périffoit? - Il n'y a pas Il n'y a pas d'apparence, Il eft vrai que Pilatre du Rofier a péri: mais c'étoit fa faute. Il compte aller en Angleterre, dit un autre. Il a déclaré qu'il ne defcendroit pas de vingt-quatre heures. La conversation continua de la forte, & ... vous le dirai-je, Monfieur? Ils ne paroiffoient pas plus émus de cet évènement que d'une courfe de chevaux, ou d'une danfe de corde, Apparemment l'on s'accoutume à tout. Pour moi, qui me fuis pas affez aguerri à ce fpectacle, je m'en retournai chez moi tout plein de ce que j'avois vu, op. preffé, le cœur ferré, admirant l'in

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venteur de cette rare découverte mais gémissant fur les fuites qu'elle avoit eues & fur celles qu'elle pourroit encore avoir étonné de la gééreule intrépidité du jeune M. le Tetu, j'aurois mieux aimé pourtant le voir monter ainfi à une efcalade; & je ne ceffois de redire tout bas, en regagnant ma demeure: pauvre jeune homme! pauvre jeune homme! qué va-t-il devenir?

Je fuis, &c,

P.-S. Une lettre datée de Clermont en Beauvoifis, du Lundi dixneuf, marque que M. Tetu eft defcendu le Dimanche, à fept heures & demie du foir, à un village nommé Verville, à deux lieues de Clermont; qu'il y a féjourné, & qu'il eft remonté prefqu'auflitôt. Depuis on n'en a point eu de nouvelles. Je m'étonne que l'on ait pu monter une fois dans un ballon, mais que l'on y remonte, cela m'étonne davantage.

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