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THIBAUT, ou la Naissance d'un comte de Champagne ; poëme en quatre chants, sans préface et sans notes traduit de la langue romance sur l'original composé en 1250, par ROBERT DE SORBONNE, clerc du diocèse de Rheims. Un volume in-12. A Paris, chez Lenormant, imprimeur-libraire, rue de Seine, no 8.

Qui es-tu pour oser prendre la lyre, et mêler dans tes chants des noms consacrés par les respects de la terre? Je suis Robert; un berger me donna le jour; le hameau de Sorbonne m'a vu naître, et le ciseau d'un évêque arrondit sur ma tête la couronne des lévites. Mais demanda-t-on jamais à l'humble passereau pourquoi il ose saluer le lever du soleil et le retour du printems? Ce fut pour te plaire, ő sage Joinville, que je m'embarquai sur cette mer difficile.

C'est ainsi que le clerc du diocèse de Rheims, auteur du poëme de Thibaut, proclame, dès la première strophe, sa naissance et ses grands projets. Je dis dès la première strophe, car son ouvrage est un poëme, un véritable poëme en prose, divisé en alinéa numérotés que le lecteur est bien le maître d'appeler des strophes.

On chercherait en vain dans tous les Dictionnaires d'hommes illustres, dans toutes les Biographies, le nom de ce Robert de Sorbonne, clerc du diocèse de Rheims, en 1250. Voyez l'injustice! L'histoire a conservé les noms d'un évèque Robert qui n'eût guères d'autre mérite que de fonder Citeaux; d'un Robert d'Arbrissel qui pour se donner le mérite de résister aux plus vives tentations, partageait la couche des religieuses de Fon tevreau; enfin d'un Robert Grosse-Tête, lourd Anglais qui n'est connu que par de tristes écrits de controverse! et cette ingrate Histoire ne dit rien, absolument rien; de notre aimable et galant Champenois, docteur en science-gaie, qui, au milieu du treizième siècle, écrivait de si beaux poemes pour plaire à son noble patron, le sire de Joinville!

Mais comment le brave Thibaut, connaisseur en vrai mérite, poëte lui-même, n'a-t-il pas consacré dans ses

chansons le nom de Robert de Sorbonne; lui qui, si j'en crois de vieilles chroniques, se plaisait à chanter ses amours en s'accompagnant, non de la lyre, mais de la vielle; lui qui disputait le prix de la poésie à GacesBrulés, autre célèbre poëte de ce tems-là (1), dont le nom du moins est parvenu jusqu'à nous.

J'avoue que j'ai peine à reconnaître dans le Thibaut qu'a chanté Robert de Sorbonne, ce comte de Champagne, amant vrai ou prétendu, mais amant malheureux de la chaste Reine. Blanche. Ce dernier fut sansdoute un personnage justement célèbre; mais le Thibaut, de Robert de Sorbonne est bien un autre héros. Voyez comme son poëte le peint donnant des ordres à deux victoires à la fois, et leur commandant d'opérer des prodiges :

« Ce guerrier est de race divine et dans la force de l'âge; plusieurs diadêmes ceignent son casque, et l'éclair n'atteint pas la vivacité de ses regards. If demande son char; et deux femmes portant des ailes, et tenant des palmes dans la main, paraissent à sa voix : il leur donne ses ordres avec sérénité; elles se prosternent devant lui en l'assurant de leur obéissance, et s'élancent aussitôt, l'une vers le midi et l'autre vers le nord.

La première s'arrête à l'extrémité de la mer Adriatique dans cette ville fameuse qui semble nager sur les eaux; elle frappe de ses palmes les quatre chevaux d'or qui en gardent le temple, et que le fameux doge aveugle amena de l'hippodrome de Byzance. Ces coursiers honteux d'un long repos sans gloire, hennissent, battent d'un pied bruyant les frises du portail de Saint-Marc, et suivent la déesse dans les plaines de l'air. Ils ont le feu et la couleur de ces

(1) Terrasson (Antoine), dans une dissertation sur la vielle, cite le passage suivant de la Chronique de Saint-Denis, que l'on voyait alors manuscrite, dans la Bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés : Et pour ce que profondes pensées engendrent melancolie, Li (Thi baut fu il log d'aucuns sages homes, qu'il s'estudiașt en biaur sons de vielle et en doux chants de vielle délitable : si fist entra li et Gœees brulés, les plus belles chansons et les plus délitables et mélodieuses qui fussent ongue oyes. Voyez aussi Fauchet, De la poésie franFaise, chap. 16.

༡.

chevaux sacrés que le soleil nourrissait dans les îles Erythréennes.

La seconde plane sur les cinq villes que la Sprée a vues réunie en une seule. Elle détache de ses superbes portes quatre autres coursiers d'une origine moins antique, mais non sans illustration. Elle presse leur lenteur, elle dirige leur inexpérience. Quoique bien plus jeunes, ceux-ci n'ont pas l'ardeur et l'élégance du quadrige de Corinthe. Mais leur vigueur et leurs vastes flancs rappellent davantage l'animal belliqueux que le trident fit sortir autrefois des entrailles de

la terre.

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Les deux Victoires, filles de Mars, revenues au point de leur départ, attellent ensemble les huit coursiers. Le héros couronné monte sur son char..... Mais j'admire ma simplicité à vous raconter ces fables. De tels prodiges sont trop au-dessus de la force humaine pour trouver place ail leurs que dans les images fantastiques du sommeil; et je vous conseille de n'y croire que lorsque vous les aurez

vus."

Je gage qu'en lisant ces strophes, la plupart des lecteurs croiront lire l'histoire de certain héros de notre âge. Le poëte du treizième siècle a orné son Thibaut de qualités, de vertus, a supposé des événemens qui aideront encore à la comparaison, mais toutefois,

Si parva licet componere magnis.

Nous laisserons nos lecteurs deviner le sens caché de l'histoire que nous allons leur racconter, d'après notre poëte Robert de Sorbonne. Elle a pour titre: Avantures mémorables de la belle Perce-Neige; et c'est un Bohémien qui la raconte à la Reine Marguerite, noble épouse de Thibaut comte de Champagne; laquelle, comme on le verra, croit se reconnaître dans la belle Perce-Neige:

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Il y avait un roi et une réine dont le ciel bénissait l'union par une heureuse fécondité.

La reine mit au jour une princesse qu'on appela Perce-Neige, parce qu'elle naquit au mois de décembre, et qu'elle avait une blancheur éblouissante. Les fées ne mirent point de réserve dans les qualités dont elles la dotèrent. Dès ses plus jeunes années, la princesse Perce-Neige excellait dans les arts d'agrément qui font le charme de son sexe, et dans les solides vertus qui excitent l'admiration des sagés.

Un jour qu'elle allait dans la campagne cueillir des plantes salutaires que les médecins avaient demandées pour la santé de sa mère.... Oh! je m'en souviens, s'écria Marguerite, interrompant Gabalis avec vivacité, elle s'approcha d'un bosquet de lauriers où reposait un essaim d'abailles; aussitôt toutes les mouches viurent la couvrir de la tête aux pieds, et les femmes qui l'accompagnaient furent bien effrayées.

Mais Perce-Neige souriait et ne sentait aucun mal. Ces abeilles avaient une origine céleste, et loin de gâter la beauté de la princesse, elles laissèrent une douceur, pure et touchante dans ses regards, dans le son de sa voix et dans les penchans de son cœur. Le génie propriétaire de la ruche comprit le sens de ce prodige, et fit monter PerceNeige dans son char attelé de huit gazelles qui portaient sur leurs têtes des plumes de héron.

Ils entrèrent dans la capitale du génie, presque rebâtio à neuf. L'or et le marbre étincelaient sur les portiques, les palais et les arcs triomphaux. L'airain, chargé des annales, de la victoire, jaillissait en colonne du sein de la terre, et portait aux cieux la statue royale. Les ponts, ornés de trophées, mariaient les deux rives du fleuve ; et celui-ci, plongeant par mille canaux son onde curieuse, allait dans toutes les parties de la ville se répandre en nappes, en cascades et en fontaines. Le beau et l'utile étaient par-tout conciliés avec une suprême intelligence.

» Le char entra dans cette superbe cité à travers les flots d'un peuple ivre de joie et d'admiration. Or, le génie qu'on voyait assis à côté de Perce-Neige était fils du Soleil, qui voulut en bon père assister aux noces de son fils. Dès le matin, il écarta les nnages pluvieux qu'amenait la saison; et le soir il vint lui-même prendre part aux réjouissances. Plus d'un million de témoins virent ce phénomène qui ne sortira jamais de leur mémoire, et qu'ils peuvent attester.

» La ville parut enflammée; mais c'était une aimable clarté et comme une seconde aurore plus vive que la première, et au sein de laquelle on ne voyait que des jeux, on n'entendait que d'harmonieux concerts. Les astres et les comètes, qui sont les gens de la suite du Soleil, s'arrêtèrent sur les dômes et les clochers, en étalant leurs globes et leurs queues radieuses, que le peuple contemplait avec un agréable étonnement.

Pendant ce tems les astrologues accoutumés à épier les secrets du ciel, s'aperçurent du voyage du Soleil, et

prédirent à de certains indices qu'il reparaîtrait le printems suivant dans une égale solennité..........”

Peut-être nos lecteurs demanderont: mais quel est le but de ce poëme? quelle en est la catastrophe? le dénouement?... Il faut les contenter. Le poëme finit par le récit de la naissance d'un fils de Thibaut-le-Grand. C'est pour en venir là que le poëte conduit ses lecteurs du milieu d'une forêt où campe une troupe de Bohémiens, dans une prison, de-là dans les murs de Troyes; qu'il décrit les amours heureux de Gentil le-Frisé, page de Thibaut, avec la jeune Oliva, Bohémienne; qu'il raconte l'engloutissement du médecin Burlotte par le Géant du lac, la mort du géant, les perfidies et la punition du seigneur des Couleuvres, etc., etc.; qui pourrait redire tout ce que l'on trouve dans ce petit poëme de centtrente pages!

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Eh quoi dira-t-on ne pouvait-on sans tous ces détours en venir au principal événement du poëme? D'abord je remarquerai que si l'on défendait aux poëtes de s'écarter de leur sujet, nous n'aurions pas de poëmes: il n'eût pas fallu plus de cent vers pour peindre la colère d'Achille, et l'établissement d'Enée en Italie; mais de plus j'observerai que dans le poëme de Thibaut, le fils qui devait naître du héros était, si je ne me trompe, menacé de grands dangers; qu'il fallait trouver une autrevictime au sort: de-là une foule d'événemens plus ou moins bizarres, plus ou moins graves ou plaisans. Au reste, croyons-en le poëte lui-même lorsqu'il nous dit en finissant:

crois

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Ainsi furent accomplis le dessein de la Providence et celui de mes chants; car ne Joinville sage pas, que lorsque ma muse semblait folâtrer avec plus de liberté, elle s'écartât du noble but qu'elle s'était proposé. Tout fut nécessaire et enchaîné dans sa marche. Il fallait qu'un enfant étranger détournât sur lui-même le complot tramé contre l'héritier naissant de mon héros. De là vinrent les aventures, les amours et la faute du page, la piété filiale d'Oliva, la passion inconsidérée de Burlotte. »

Puisque le but réel du poëme était la naissance du fils

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