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point comportant des additions, des changements considérables de la forme et de la pensée ».

Dans son introduction, M. Christian Maréchal établit cette comparaison des « deux leçons », d'après les six albums déposés à la Bibliothèque Nationale, qui représentent le manuscrit original du Voyage, et il fait ressortir les différences essentielles qui existent entre les deux textes, au point de vue non seulement du style et de la composition, mais aussi du fond et de la portée des idées. Puis, à la faveur d'une ingénieuse disposition typographique, il nous donne le texte primitif du Voyage avec les variantes introduites dans l'édition définitive.

C'est là, comme je le disais en commençant, un travail dont tous les lettrés apprécieront l'utilité et le grand intérêt. De plus, il vient à son heure, parmi d'autres travaux du même genre, qui sont l'honneur de toute une nouvelle génération d'érudits. Ce qui a été fait pour Pascal, pour Montaigne, pour le théâtre de Victor Hugo, pour Chénier, se fera peu à peu pour tous nos grands écrivains modernes. Etablir le véritable texte de leurs œuvres et retrouver, à travers leurs variantes d'expression, le travail de leur pensée avec ses hésitations, ses progrès ou ses revirements, est une tâche digne de jeunes hommes de talent, parmi lesquels M. Christian Maréchal est en train de prendre une place des plus honorables.

GUSTAVE ALLAIS,

Professeur à l'Université de Rennes.

Les Contes de Canterbury, de GEOFFROY CHAUCER. Traduction française avec une introduction et des notes, 1 fort vol. gr. in-8°, 12 fr. (Félix Alcan, éditeur).

Ce livre a été traduit par un groupe de professeurs de l'Université, agrégés d'anglais, sous la direction de M. Legouis, professeur à la Sorbonne, qui a écrit l'introduction de l'ouvrage. L'œuvre s'adresse également à l'historien et au lecteur désintéressé. C'est le Décaméron anglais. Presque aussi riche en scènes de mœurs que celui de Boccace, il pousse beaucoup plus avant l'étude des caractères. Nul livre ne nous fait mieux entrer dans les esprits du quatorzième siècle. Sous la conduite de l'aubergiste du Tabard, trente pèlerins, dont le poète Chaucer, s'acheminent de Londres vers Canterbury. Ce sont les représentants de toutes les classes de la société qui, momentanément, se coudoient.

Chemin faisant, ils discutent et disputent; surtout ils disent les histoires les plus variées: légendes pieuses ou chevaleresques, contes sentimentaux ou satiriques, fabliaux gaillards. Chacun parle selon sa condition et révèle sa propre nature par son récit. Chaucer admet et aime toutes les manifestations de la vie, des plus pures aux plus grossières; il les enveloppe toutes de sa bonne humeur indulgente et narquoise.

Depuis longtemps Taine et M. Jusserand avaient signalé ce chef-d'œuvre au lecteur français; mais c'est la première fois qu'une traduction complète le rend accessible chez nous. Cette traduction, faite par un groupe de spécialistes, donne les meilleures garanties de soin et d'exactitude. Elle vise à la fidélité et atteint en plus la saveur. Les nombreux collaborateurs ont bien mérité du public. L'Académie française, sans attendre l'achèvement de l'ouvrage, en avait déjà couronné le premier fascicule.

Précis de géométrie descriptive et de géométrie cotée, par M. JOSEPH GIROD, professeur au lycée Charlemagne, Paris, Alcan, 1908, 2 vol. br., 6 fr.

Histoire nationale, par Mlle J. COLANI et M. E. DRIAULT, professeurs aux lycées de Versailles, Paris, Alcan, 1908, 1 vol. br., 3 fr.

Le gérant E. FROMANTIN.

POITIERS.

SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE

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Poètes français du XIXe siècle qui continuent la tradition du XVIIIe

Cours de M. ÉMILE FAGUET,

Professeur à l'Université de Paris.

Charles Nodier; ses poésies.

Je vous ai rapidement esquissé, dans ma dernière leçon, les traits essentiels de la biographie de Charles Nodier, cet écrivail qui est demeuré aussi sympathique à la postérité qu'il l'avait été, de son vivant, aux gens de son entourage. Nous avons vu revivre sa physionomie douce et souriante, à la lumière des documents contemporains; nous l'avons vu, dans ce fameux salon de l'Arsenal, présidant avec bienveillance la petite académie romantique, dont un des membres les plus illustres parviendra à franchir les portes de l'autre Académie, quatre ans avant la mort de Nodier. Aujourd'hui, nous allons nous occuper exclusivement de Nodier poète.

Dans ses vers, Charles Nodier

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et cela ne saurait nous éton

nous apparaît comme un classique, comme un poète à la Chênedollé ou à la Millevoye. Il ne faut donc pas vous attendre à faire connaissance, aujourd'hui, avec un Nodier poète romantique, tel qu'il se révèle à nous, semble-t-il, si nous nous en tenons à sa biographie. De sa vie à ses vers, la différence est sensible, et vous allez vous en apercevoir.

Alors, dira-t-on, c'est dans ses œuvres en prose que nous devons chercher le Nodier romantique. De même que Chateaubriand, romantique en prose, est bien loin de l'être dans ses vers, qui pourraient tout aussi bien avoir été écrits par Millevoye ou par Chênedollé; de même, il se pourrait que Nodier, classique dans ses vers, fût romantique dans ses œuvres en prose.

Voilà ce que vous avez pu entendre dire bien souvent, et même par d'assez bons juges. Eh! bien, je crois que c'est là une illusion. Qu'est-ce, au juste, qu'un romantique? Je vous le disais en commençant ces leçons: un romantique est un homme qui apporte dans la littérature un nouveau degré d'imagination et un nouveau degré de sensibilité. Charles Nodier apporte-t-il vraiment quelque chose de cela? - Non; il est plein de fantaisie; il séduit par sa grâce souriante, par son culte raisonné et judicieux de l'archaïsme, par son éternelle fraîcheur. Mais n'avait-on rien vu de tout cela avant le romantisme? Y a-t-il là un degré nouveau d'imagination ou de sensibilité? En vérité, je ne le crois pas. Lisez des contes de Nodier: vous avez affaire à un homme du XVIIIe siècle, dont la sensibilité serait un peu plus rêveuse que celle de Sedaine ou celle de Diderot; voilà tout.

Mais je crois voir d'où vient l'illusion que je signalais tout à l'heure. C'est que Nodier est fortement pénétré d'exotisme; c'est qu'il connaît les littératures étrangères; c'est qu'il a lu Goethe et Schiller, et qu'on peut rapprocher ses Proscrits des Brigands de Schiller; de même que, si l'on veut, on peut chercher des analogies entre son Peintre de Salzbourg et les Affinités électives de Goethe.

De plus, Nodier a écrit des Contes et des Nouvelles où le merveilleux tient une place considérable; où s'agitent en foule fées, péris, lutins et gnomes; où domine, en un mot, toute cette petite mythologie populaire, alors en faveur auprès des poètes allemands, par exemple, mais qu'on trouve déjà dans la littérature du Moyen Age. Par là, Charles Nodier se rapproche des romantiques fées et péris figurent dans les premières Ballades de Victor Hugo, et il en restera quelque chose encore dans les Orientales.

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Cependant, ces remarques prouvent-elles que Nodier soit un véritable romantique ? Je ne le pense pas. Faire valoir en Nodier l'auteur de contes de fées, c'est, au contraire, le replonger en plein xvIIe siècle, c'est le rattacher à Perrault. Être moins naïf que Perrault (et cela, en vérité, est un défaut) et être en même temps moins sec que lui (ce qui, assurément, est une qualité), ce n'est pas forcément être romantique. — Quant à ceux des contes

de Nodier qui ne nous font point songer à Perrault, il ne serait pas difficile de montrer qu'ils ressemblent terriblement à ceux de La Fontaine (moins le libertinage), ou à ceux de Noël du Fail, le joyeux conteur du xvre siècle, à la différence de langue près, bien entendu.

Pour en finir avec Nodier prosateur, disons seulement que cet agréable conteur a eu une véritable originalité, et qu'elle réside, d'abord, dans sa propre nature, dont la crédulité (plus ou moins jouée) mérite d'être appelée délicieuse; ensuite, dans la saveur de sa langue composite, puisée aux meilleures sources du xvie siècle, dans les ouvrages de conteurs comme Rabelais ou d'essayistes comme Montaigne. Dans ce travail de rajeunissement des termes les plus antiques de notre langue classique, Nodier a déployé une dextérité ingénieuse et sagace. Voilà en quoi il est Nodier, à proprement parler; mais avouez que tous ces traits, caractéristiques de sa manière, n'ont rien de spécialement romantique.

Cela dit, arrivons à ses vers, qui, comme je vous l'ai dit, sont un peu trop classiques, à mon avis, et font trop souvent songer à La Harpe.

Nodier avait donné ses vers de jeunesse dans les Chants d'un jeune Barde (1804). La plupart ont passé dans ses Poésies complètes (1828), — lesquelles sont d'ailleurs très loin d'être complètes. Voici, pour vous donner une idée des débuts de Nodier en poésie, voici un fragment de l'Aigle céleste, pièce imitée de Pindare:

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Vois cet aigle sacré, fier monarque des airs,
Sur un nuage d'or reposant immobile.
Au sein de Jupiter il marque son asile,
Et son vaste regard embrasse l'univers.

Il n'essaye jamais sa superbe paupière

Aux douteuses clartés d'un astre à son réveil.
Contemporain du jour créé pour la lumière,

Il se baigne à son gré dans les feux du soleil...

Ces vers ne manquent pas de largeur. Ils ne sont ni meilleurs ni plus mauvais que certains vers de la jeunesse de Lamartine, dont tout le mérite réside dans l'ampleur et dans l'envergure du geste.

Il faut bien que je vous cite aussi quelque chose de la Napoléone (1802), cet acte de fronde et d'hostilité contre le gouvernement consulaire. Ici, Nodier nous fait songer aux Messéniennes de Casimir Delavigne le mouvement sent un peu l'artifice; il est pris, si je puis dire, au métronome de Lebrun, mais il n'y a pas là-dessous de véritables pulsations. Le prologue est quelconque, et je

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