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d'Apollon et des Muses; et le paysage entier, baigné par la mer, ressemble au beau tableau d'Apelles, consacré à Neptune, et suspendu à ses rivages.

CHATEAUBRIAND.

Génie du Christianisme.

LE SPECTACLE D'UNE BELLE NUIT DANS LES DÉSERTS DU NOUVEAU MONDE.

UNE heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres; à l'horizon opposé, une brise embaumée qu'elle amenait de l'orient avec elle, semblait la préceder, comme sa fraîche haleine, dans les forêts. La reine des nuits monta peu à peu dans le ciel : tantôt elle suivait paisiblement sa course azurée, tantôt reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime des hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons d'écume, ou formaient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'œil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité.

La scène, sur la terre, n'était pas moins ravissante ; le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumière jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds, tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu'elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés çà et là dans la savane, formaient des îles d'ombres flottantes, sur une mer immobile de lumière. Auprès, tout était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissements rares et interrompus de la hulotte ;

mais au loin, par intervalles, on entendait les roulements solennels de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines ; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes; mais, dans ces pays déserts, l'âme se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à errer aux bords des lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu. CHATEAUBRIAND.

Génie du Christianisme.

LA CHUTE DU RHIN.

La nature a pourvu à la célébrité de Schaffausen par cette chute du Rhin, la première et la plus durable cause de sa prospérité, et l'éternel objet de la curiosité et de l'admiration des hommes. Je n'ai pas besoin de vous dire avec quel empressement, à peine arrivés à Schaffouse, nous avons pris la route de cette cataracte fameuse. Je remarquerai seulement que, de tous les chemins qui y conduisent, celui qui la présente sous l'aspect le plus frappant, le plus inattendu, est le sentier que nous suivîmes, à partir de Schaffouse, le long du fleuve lui-même, dont le cours, embarrassé d'une multitude de petits écueils, prélude en quelque sorte, par une longue suite de cataractes, à la plus magnifique, à la plus étonnante de toutes. Dans ce trajet d'une lieue et demie, on peut ainsi se familiariser d'avance avec quelques-uns de ses effets, mais sans craindre que la succession des images agréables qui se développent à chaque pas diminue rien du nombre, de la véhémence des sensations qui vous attendent. On arrive au haut de l'éminence escarpée qui porte le château de Laufen,

sans que ni l'œil ni l'oreille soient encore avertis de la scène prodigieuse dont on n'est plus éloigné que de quelques pas. C'est que la violence avec laquelle les eaux sont emportées en emporte aussi le bruit dans une direction contraire à celle où l'on se trouve. Du pied même du château de Laufen part une rampe très-roide et taillée dans le roc, par où l'on descend au bord du fleuve. Rien encore ne vous annonce sa présence: seulement, au frémissement de l'air, aux vagues secousses de la montagne ébranlée, et surtout à cette agitation intérieure qu'excite en vous l'attente d'un grand phénomène, vous pressentez quelque mouvement extraordinaire. Votre émotion redouble à chaque pas qui vous entraîne dans l'atmosphere du fleuve. Vous arrivez au dernier degré, et déjà, livré au trouble le plus violent, vous ne pouvez plus rien voir ni rien entendre la cataracte entière est devant vous !

Un échafaudage ou balcon en bois a été suspendu contre le rocher, et, au-dessus de l'endroit où la plus grande masse des eaux se précipite, on court s'y placer: heureux quand on peut s'y trouver seul pour s'abandonner sans réserve au délire des sensations tumultueuses dont on est de toute part assailli, comme de ces ondes mêmes, de toute part déchaînées autour de vous. Figurez-vous un fleuve immense, qui, tout à coup tombé de soixante pieds de haut, entre d'énormes rocs fracassés, tonne, éclate, tourbillonne avec un bruit, avec une fougue inexprimable. Mais d'abord, absorbé, comme le fleuve lui-même, dans le choc imprévu de tant d'émotions violentes, couvert en un moment de l'écume de mille cascades qui jaillissent contre les rochers, enveloppé dans les tourbillons du vent affreux qui s'en élève, on reste éperdu, bouleversé, anéanti; et les exclamations mêmes, par lesquelles l'âme voudrait alléger le poids des émotions qui l'oppressent, expirent sur vos lèvres, ou se perdent dans l'effroyable bruit des

cataractes.

RAOUL-ROCHETTE.

LA CAMPAGNE DE NAPLES.

OSWALD et Corinne, après le passage inquiétant des marais Pontins, arrivèrent enfin à Terracine sur le bord de la mer, aux confins du royaume de Naples. C'est là que commence véritablement le Midi; c'est là qu'il accueille les voyageurs avec toute sa magnificence. Cette terre de Naples, cette campagne heureuse est comme séparée du reste de l'Europe, et par la mer qui l'entoure, et par cette contrée dangereuse qu'il faut traverser pour y arriver. On dirait que la nature s'est réservé le secret de ce séjour de délices, et qu'elle a voulu que les abords eu fussent périlleux. Rome n'est point encore le Midi : on en pressent les douceurs, mais son enchantement ne commence véritablement que sur le territoire de Naples. Non loin de Terracine est le promontoire choisi par les poëtes comme la demeure de Circé, et derrière Terracine s'élève le mont d'Auscur, où Théodoric, roi des Goths, avait placé l'un des châteaux forts dont les guerriers du Nord couvrirent la terre. Il y a très-peu de traces de l'invasion des barbares en Italie; ou du moins là où ces traces consistent en destructions, elles se confondent avec l'effet du temps. Les nations septentrionales n'ont point donné à l'Italie l'aspect guerrier que l'Allemagne a conservé. Il semble que la faible terre de l'Ausonie n'ait pu garder les fortifications et les citadelles dont les pays du Nord sont hérissés. Rarement un édifice gothique, un château féodal s'y rencontre encore, et les souvenirs des antiques Romains règnent seuls à travers les siècles, malgré les peuples qui les ont vaincus.

Toute la montagne qui domine Terracine est couverte d'orangers et de citronniers qui embaument l'air d'une manière délicieuse. Rien ne ressemble, dans nos climats, au parfum méridional des citronniers en pleine terre. Il produit sur l'imagination presque le même effet qu'une musique mélodieuse; il donne une disposition poétique, excite le talent et l'énivre de la nature. Les aloès, les cactus à larges feuilles que vous rencontrez à

chaque pas, ont une physionomie particulière; tout l'aspect du pays est étranger, on se sent dans un autre monde, dans un monde qu'on n'a connu que par les descriptions des poëtes de l'antiquité, qui ont tout à la fois dans leurs peintures tant d'imagination et d'exactitude.

En entrant à Terracine, les enfants jetèrent dans la voiture de Corinne une immense quantité de fleurs qu'ils allaient chercher sur la montagne et qu'ils répandaient au hasard, tant ils se confiaient dans la prodigalité de la nature! Les chariots qui rapportaient la moisson des champs étaient ornés tous les jours avec des guirlandes de roses, et quelquefois les enfants entouraient leur coupe de fleurs; car l'imagination du peuple même devient poétique sous un beau ciel; on voyait, on entendait, à côté de ces riants tableaux, la mer dont les vagues se brisaient avec fureur.

Vers le soir, Corinne et lord Nevill se promenèrent lentement et avec délices dans la campagne. Chaque pas, en pressant les fleurs, faisait sortir les parfums de leur sein. Les rossignols venaient se reposer plus volontiers sur les arbustes qui portaient les roses. Ainsi, les chants les plus purs se réunissaient aux odeurs les plus suaves; tous les charmes de la nature s'attiraient naturellement; mais ce qui est surtout ravissant et inexprimable, c'est la douceur de l'air que l'on respire. Quand on rencontre un beau site dans le Nord, le climat qui se fait sentir trouble toujours un peu le plaisir qu'on pourait goûter. C'est comme un son faux dans un concert, que ces petites sensations de froid et d'humidité qui détournent plus ou moins votre attention de ce que vous voyez; mais en approchant de Naples, vous éprouvez un bien-être si parfait, une si grande amitié de la nature pour vous, que rien n'altère les sensations agréables qu'elle vous cause.

Pendant la nuit, des mouches luisantes se montraient dans les airs; on eût dit que la montagne étincelait, et que la terre brûlante laissait échapper quelques-unes de ses flammes; ces mouches volaient à travers les arbres, se reposaient quelquefois sur les feuilles, et le vent

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