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d'osier pleine de ratafiat de cerise pour se réconforter le matin. Ce respectable citadin alla prendre place dans la diligence, après avoir reçu les derniers embrassemens de sa femme, qui s'éloigna en sanglotant.

Je rentrai dans le bureau, curieux de savoir quel pouvait être le motif de la fureur concentrée d'un homme que j'avais laissé assis sur des malles, pestant contre le conducteur, et prétendant le rendre responsable de tous les malheurs qui pouvaient résulter pour lui d'un retard de cinq minutes. J'avais peine à me rendre compte des angoisses qu'il paraissait éprouver; mais tout fut éclairci par l'arrivée de quatre recors, lesquels, munis d'une contrainte en bonne forme, le prièrent honnêtement de les suivre. En vain prouva-t-il qu'il avait payé sa place à la diligence: on lui démontra que la sienne était à Sainte-Pélagie, où ses créanciers l'attendaient. Il fallut bien se rendre à leurs sollicitations; mais ce ne fut pas sans avoir répandu à pleine voix ses malédictions sur la diligence, le conducteur, les voyageurs, les postillons, les chevaux, et en masse sur toutes les Messageries du monde.

De tous les personnages au milieu desquels je me trouvais, le plus grotesque, sans contredit, était un trèsgros homme, à triple menton, assis dans la cour sur le timon d'une voiture, et faisant avec beaucoup d'avidité l'inventaire d'un panier rempli d'excellens comestibles, tandis qu'une jeune gouvernante qui l'avait accompagné lui ôtait sa perruque et lui frottait la tête avec un morceau de flanelle. Je m'étais approché pour le voir à mon aise; il me frappa familièrement sur l'épaule en me demandant où l'on déjeûnerait, et parut ravi d'apprendre que c'était à Meaux. "Pays célèbre," continua-t-il "Oui vraiment," ajoutai-je en me méprenant sur le sens de son exclamation!" vous passerez devant la maison qu'habitait l'Aigle de Meaux." "C'est de quoi je m'inquiète fort peu," reprit-il, "je fais moins de cas de tous les aigles du monde que d'un bon poulet gras, et ceux de la Brie sont en grande réputation."

L'heure avançait ; j'entrai dans la salle des voyageurs, où nous étions convenus avec Charles de nous retrouver

après son déjeûner. C'est le lieu des plus tristes rendezvous. Plusieurs personnes étaient assises deux à deux sur un banc de bois qui fait le tour de cette salle. Près de la fenêtre, une jeune fille et un jeune homme, tous deux de la figure la plus intéressante, pleuraient en se pressant les mains, et en levant de tems en tems les yeux l'un sur l'autre, avec l'expression de la plus profonde douleur; un peu plus loin, une mère au moment de se séparer de son fils, appelé sous les drapeaux du plus puissant des monarques, du plus grand des capitaines, lui prodiguait les témoignages de la plus vive tendresse : le jeune homme y répondait avec amour; mais tout fier de ses premières épaulettes, tout entier au nobles émotions de l'honneur, aux brillantes espérances de la gloire, il avait peine à contenir la joie qui perçait à travers ses larmes. Ces tableaux touchans, plusieurs autres semblables, avaient singulièrement rembruni mes idées, et je me disais, en m'abandonnant aux sentimens douloureux dont je voyais autour de moi l'image: "Il n'y a qu'une légère différence entre un cimetière et la cour des Messageries; l'un et l'autre sont des lieux de séparation." L'arrivée de Charles, le signal du départ que vint donner le conducteur avaient encore accru cette disposition mélancolique, et je me sentais prêt à pleurer sans en avoir de véritable motif, lorsqu'une circonstance assez frivole en elle-même dissipa tout-à-coup ce nuage de tristesse.

Ceux des voyageurs qui étaient montés les premiers dans la voiture, avaient pris les meilleures places, et prétendaient les conserver, quelques réclamations que les autres pussent faire: jamais on ne serait parvenu à s'entendre, si le conducteur, muni de sa feuille, ne fût venu interposer son autorité en assignant à chacun sa véritable place, d'après l'ordre des inscriptions. Il résulta de cet arrangement définitif que Charles se trouva placé sur le devant, entre un vieil ecclésiastique qui marmotait son bréviaire, et une petite comédienne qui fredonnait un couplet; qu'une des portières était occupée par le marchand bonnetier, et l'autre par un jeune médecin qui venait de soutenir une thèse de cir

constance sur l'anévrisme; que le gros amateur de poulets gras et une dame étaient placés dans le fond de la voiture, qu'ils remplissaient presque, mais où il manquait une troisième personne, sans laquelle ils se flattaient de partir. Les derniers adieux étaient faits, le conducteur allait fermer la portière; mais voilà qu'une dame du poids de cent cinquante kilogrammes environ, s'élance dans la voiture avec le secours de trois personnes qui l'accompagnaient, et va, tout d'un tems, s'intercaler entre ses deux voisins du fond, qui poussent un long gémissement auquel tous les autres répondent par un grand éclat de rire. Un surcroît de malheur voulut que la dame, qui a conservé l'usage des poches, eût rempli les siennes d'une quantité d'ustensiles, dont le gros homme se plaignait de la manière la plus comique. Ce fut bien pis lorsque le fils de cette dame jeta sur les genoux de sa mère un chien-loup très-hargneux, et que son domestique lui remit une cage, renfermant un gros perroquet gris qui salua la compagnie d'un Bonjour, Jaco très-distinct. Pour ne gêner personne, la bonne dame s'empressa de mettre la cage sous ses pieds; mais l'oiseau gris, que l'obscurité contrariait, sans doute, s'en prit à la jambe du gros homme, qu'il pinça de manière à lui faire jeter un cri épouvantable; les ris, le vacarme allaient en augmentant; il fallut encore avoir recours au conducteur, qui, sur la requête du plaignant et l'exhibition de sa jambe entamée dans le vif, prononça le renvoi du perroquet malencontreux. L'arrêt exécuté, le conducteur monta dans son cabriolet; et après que les postillons eurent bu le coup de l'étrier et fait claquer leur fouet en jurant après leurs chevaux, l'énorme voiture se mit en marche, en ébranlant le pavé à vingt toises à la ronde. JOUY.

...

LE PROVINCIAL À PARIS.

SANS le provincial, nous ne nous douterions pas, nous autres Parisiens de toutes les curiosités qui nous entourent, et nous passerions notre vie à Paris

sans visiter la moitié des établissements dignes de remarque et d'attention que possède la capitale. C'est là le bon côté du provincial, de vous amener à voir ce dont il est curieux. Du matin au soir il vous met en campagne avec lui, et, ce qu'il y a de bon, c'est qu'il se figure que vous lui montrez ce qu'il vous fait voir.

Le plan de Paris ne le quitte pas; il l'a en feuille, en volume, en mouchoir de poche; sans cesse il le consulte et rien ne lui échappe : églises, casernes, palais, jardins publics, rien n'est oublié. Pour lui les distances sont vaines; il les franchit à l'heure ou à la course; il use du cabriolet, fatigue le fiacre et ne dédaigne pas l'omnibus; il traverse Paris en tous sens et sans reprendre haleine; il va des Gobelins au PèreLachaise, du Musée d'Artillerie à Saint-Roch, de la Manufacture des Glaces à la Madeleine, de la Bourse à la Morgue, de la Bibliothèque aux Invalides, des Sourds-muets aux Aveugles; puis, prenant son essor, voilà qu'il plane au sommet des tours Nôtre-Dame, du Panthéon, de la colonne Vendôme; car le provincial est un infatigable grimpeur, et il affectionne particulièrement les régions élevées. Aussi le voit-on sans cesse flotter au faîte de nos monuments: c'est le panache de Paris.

Avare dans son département, le provincial est prodigue à Paris; rien ne lui coûte: il sème l'or; sa seule crainte est d'être dupé; s'il marchande, c'est amourpropre et non lésinerie; il souffrirait cruellement si son ignorance et sa bonne foi tombaient dans quelque surprise, se laissaient prendre à quelque piége; aussi est-il toujours en garde contre la rouerie parisienne, toujours prêt à la parade contre les bottes secrètes de notre charlatanisme pipeur; mais, malgré sa précaution et sa défiance, le provincial ne peut échapper aux hallucinations de nos décevantes industries. C'est la ressource la plus positive de notre commerce et de notre littérature en plein vent, la pratique obligée du débitant de billets de spectacle à moitié prix, la providence du marchand de cannes, la fortune du Messager des Chambres. L'industriel des trottoirs flaire le provincial à

cinquante pas; le plus médiocre observateur le reconnaît au premier coup d'œil et à des signes certains.

A son costume d'abord, qui tranche d'une façon marquée sur nos modes parisiennes. Le provincial ne se fait faire des habits à Paris que huit jours avant son départ, et il les conserve soigneusement pour faire de l'effet dans son endroit, et y consolider sa réputation de dandy; pendant son séjour à Paris, il use ses toilettes de province, et on ne peut manquer de le reconnaître à son habit dont la forme accuse une coup départementale, à son chapeau à larges ailes, à son pantalon privé de sous-pieds, et à ses bottes outrageusement carrées. S'il parle, son accent le trahit; s'il n'a pas d'accent, ce sont ses paroles qui le révèlent. Puis, ce sont mille façons particulières, mille détails qui lui sont propres et qui vous font crier au provincial. . . .

Au spectacle, vous reconnaîtrez aisément le provincial à sa pose, à sa manière d'écouter, à son cure-dents qu'il a gardé, à l'abandon avec lequel ses impressions se trahissent. Dans l'entr'acte il achète tout ce qui se vend sous le lustre de programmes, de biographies, de musées dramatiques et de magasins pittoresques. Le pittoresque a été créé exprès pour lui: le provincial est un amateur passionné du pittoresque, un chaland forcené de la littérature à deux sous.

Quand le provincial a visité nos monuments, nos lieux publics, nos promenades, nos théâtres, il s'élance vers nos environs montrez-lui le parc de Saint-Cloud, les coteaux de Meudon, la manufacture de Sèvres, le château de Vincennes, la forêt de Saint-Germain, les eaux de Versailles ! Et puis, après avoir parcouru cette verte et riante ceinture de Paris, il reprendra le chemin de sa province, plus pauvre de mille écus et de quelques illusions, mais riche de satisfaction, mais vêtu, coiffé, tourné, accommodé à la parisienne; important dans sa province les manières, l'élégance, l'opinion, le langage, les calembours parisiens, et ayant de quoi charmer longtemps ses compatriotes avec les impressions de voyage qu'il a soigneusement écrites.

VERMOND.

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