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et m'envoie vous dire que si vous ne lui envoyez par moi, tout à l'heure, cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger.

Gér. Comment, diantre! cinq cents écus !

Sca. Oui, monsieur; et, de plus, il ne m'a donné pour cela que deux heures.

Gér. Ah! le pendard de Turc! m'assassiner de la façon !

Sca. C'est à vous, monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.

Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Sca. Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.

Gér. Va-t'en, Scapin, va-t'en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui.

Sca. La justice en pleine mer ! Vous moquez-vous des gens ?

Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère ? Sca. Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes,

Gér. Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l'action d'un serviteur fidèle.

Sca. Quoi, monsieur ?

Gér. Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place jusqu'à ce que j'aie amassé la somme qu'il demande.

Sca. Hé! monsieur, songez-vous à ce que vous dites? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens, que d'aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ?

Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère ? Sca. Il ne devinait pas ce malheur. Songez, monsieur, qu'il ne m'a donné que deux heures.

Gér. Tu dis qu'il demande...

Sca. Cinq cents écus.

Gér. Cinq cents écus ! N'a-t-il point de conscience? Sca. Vraiment oui, de la conscience à un Ture! Gér. Sait-il bien ce que c'est que cinq cents écus ? Sca. Oui, monsieur; il sait que c'est mille cinq cents livres.

Gér. Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d'un cheval?

Sca. Ce sont des gens qui n'entendent point de raison.

Gér. Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? Sca. Il est vrai. Mais quoi! on ne prévoyait pas les choses. De grâce, monsieur, dépêchez.

Gér. Tiens, voilà la clef de mon armoire.

Sca. Bon.

Gér. Tu l'ouvriras.

Sca. Fort bien.

Gér. Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier.

Sca. Oui.

Gér. Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour aller racheter mon fils.

Sca. [en lui rendant la clef.] Eh! monsieur, rêvez-vous? Je n'aurais pas cent francs de tout ce que vous dites; et, de plus, vous savez le peu de temps qu'on m'a donné.

Gér. Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?

Sca. Oh! que de paroles perdues! Laissez-là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre fils. Hélas! mon pauvre maître, peut-être que je ne te verrai de ma vie, et qu'à l'heure que je parle, on t'emmène esclave en Alger. Mais le ciel me sera témoin que j'ai fait pour toi tout ce que j'ai pu, et que, si tu manques à être racheté, il n'en faut accuser que le peu d'amitié d'un père.

Gér. Attends, Scapin, je m'en vais quérir cette

somme.

Sca. Dépêchez donc vite, monsieur ; je tremble que l'heure ne sonne.

Gér. N'est-ce pas quatre cents écus que tu dis?
Sca. Non. Cinq cents écus.

Gér. Cinq cents écus !

Sca. Oui.

Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère?

Sca. Vous avez raison: mais hâtez-vous.
Gér. N'y avait-il point d'autre promenade ?
Sca, Cela est vrai: mais faites promptement.
Gér. Ah! maudite galère !

Sca. [à part.] Cette galère lui tient au cœur. Gér. Tiens, Scapin, je ne me souvenais pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyais pas qu'elle dût m'être si tôt ravie. [Tirant sa bourse de sa poche, et la présentant à Scapin.] Tiens, va-t'en racheter mon fils.

Sca. [tendant la main.] Oui, monsieur.

Gér. [retenant sa bourse, qu'il fait semblant_de vouloir donner à Scapin.] Mais dis à ce Turc que c'est un scélérat.

Sca. [tendant encore la main.] Oui.

Gér. [recommençant la même action.] Un infâmé.
Sca. [tendant toujours la main.] Oui.

Ger. [de même.] Un homme sans foi, un voleur,
Sca. Laissez-moi faire.

Gér. [de même.] Qu'il me tire cinq cents écus contre toute sorte de droit.

Sca. Oui.

Gér. [de même.] Que je ne les lui donne ni à la mort ni à la vie.

Sca. Fort bien.

Gér. [de même.] Et que, si jamais je l'attrape, je saurai me venger de lui.

Sca. Oui.

Gér. [remettant sa bourse dans sa poche, et s'en allant.] Va, va, vite requérir mon fils.

Sca. [courant après Géronte.] Holà, monsieur!
Gér. Quoi ?

Sca. Où est donc cet argent?

Gér, Ne te l'ai-je pas donné ?

Sca. Non, vraiment, vous l'avez remis dans votre poche.

Gér. Ah! c'est la douleur qui me trouble l'esprit. [Il lui donne la bourse.]

Sca. Je le vois bien.

Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère ?

Ah! maudite galère! traître de Turc, à tous les diables!

Sca.. [seul.] Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache; mais il n'est pas quitte envers moi; et je veux qu'il me paie en une autre monnaie l'imposture qu'il m'a faite auprès de son fils.

MOLIÈRE.

SCÈNES TIRÉES DU 66 MALADE IMAGINAIRE," COMÉDIE. ARGAN, BÉLINE, ANGÉLIQUE, CLEANTE, M. DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, TOINETTE.

Arg. [mettant la main à son bonnet sans l'ôter, s'adressant à M. Diafoirus, qui entre avec son fils.] Monsieur Purgon, monsieur, m'a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier: vous savez les conséquences.

M. Diaf. Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l'incommodité.

[Argan et M. Diafoirus parlent en même temps.] Arg. Je reçois, monsieur,

M. Diaf. Nous venons ici, monsieur,

Arg. Avec beaucoup de joie,

M. Diaf. Mon fils Thomas et moi,

Arg. L'honneur que vous me faites,
M. Diaf. Vous témoigner, monsieur,

Arg. Et j'aurais souhaité....

M. Diaf. Le ravissement où nous sommes....
Arg. De pouvoir aller chez vous....

M. Diaf. De la grâce que vous nous faites....

Arg. Pour vous en assurer;

M. Diaf. De vouloir bien nous recevoir. . . .

Arg. Mais vous savez, monsieur,

M. Diaf. Dans l'honneur, monsieur,

Arg. Ce que c'est qu'un pauvre malade,

M. Diaf. De votre alliance;

Arg. Qui ne peut faire autre chose....

M. Diaf. Et vous assurer....

Arg. Que de vous dire ici....

M. Diaf. Que dans les choses qui dépendront de notre métier,

Arg. Qu'il cherchera toutes les occasions...

M. Diaf. De même qu'en toutre autre,
Arg. De vous faire connaître, monsieur,

M. Diaf. Nous serons toujours prêts, monsieur,
Arg. Qu'il est tout à votre service.

M. Diaf. A vous témoigner notre zèle. [A son fils.] Allons, Thomas, avancez. Faites vos compli

ments.

Thomas Diaf. [à M Diafoirus.] N'est-ce pas par le père qu'il convient de commencer ?

M. Diaf. Oui.

Thomas Diaf. [à Argan.] Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père, mais un second père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. D'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse, cette future filiation dont je viens aujourd'hui vous rendre, par avance, les très-humbles et très-respectueux hommages. Toin. Vivent les colléges, d'où l'on sort si habile homme !

Thomas Diaf. [M. Diafoirus.] Cela a-t-il bien été, mon père?

M. Diaf. "Optimè."

Arg. [à Angélique.] Allons, saluez monsieur.
Thomas Diaf. [à M. Diafoirus.] Baiserai-je ?
M. Diaf. Oui, oui.

Thomas Diaf. [à Angélique .] Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on. . . .

Arg. [à Thomas Diafoirus.] Ce n'est pas ma femme, c'est ma fille à qui vous parlez.

Thomas Diaf. Où donc est-elle ?

Arg. Elle va venir.

Thomas Diaf. Attendrai-je, mon père, qu'elle soit venue ?

M. Diaf. Faites toujours le compliment à made

moiselle.

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