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à ses creanciers, iamais qu'àviue force de iustice, Tous ces gens là font vulgairement tenus pour deuots, & ne le sont pourtant nullement. Les gens de Saül cherchoient Dauid en sa maison ; Michol ayant mis vne statuë dedans vn lict, & l'ayant couuerte des habillemens de Dauid, leur fit accroire que c'estoit Dauid mesme qui dormoit malade. Ainsi beaucoup de personnes se couurent de certaines actions exterieures appartenantes à la saincte deuotion: & le monde croit que ce foient gens vrayement deuots & spirituels: mais en verité ce ne font que des statuës & fantosmes de deuotion.

La vraye & viuante deuotion, ô Philothée, presuppose l'amour de Dieu : ains elle n'est autre chose qu'vn vray amour de Dieu: mais non pas toutesfois vn amour tel quel: car en tant que l'amour diuin embellit nostre ame, il s'appelle grace, nous rendant agreables à sa diuine Maiesté; en tant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité: mais quand il est paruenu iusques au degré de perfection, auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, mais nous fait operer soigneusement, frequemment & promptement, alors il s'appelle deuotion. Les auftruches ne volent iamais, les poules volent pesamment, toutesfois bassement & rarement: mais les aigles, les colombes, les arondelles volent fouuent, vistement & hautement: ainsi les pecheurs ne volent point en Dieu, ains font toutes leurs courses en la terre, & pour la terre: les gens de bien, qui n'ont pas encores atteint la deuotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement & pesamment : les personnes deuotes volent en Dieu, frequemment, promptement & hautement. Bref la deuotion n'est autre chose qu'vne agilité & viuacité spirituelle, par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, ou nous par elle promptement & affectionnement ; & comme il appartient à la charité de nous faire generalement & vniuersellement pratiquer tous les

commandemens de Dieu, il appartient aussi à la deuotion de les nous faire promptement & diligemment. C'est pourquoy celuy qui n'obserue tous les commandemens de Dieu, ne peut estre estimé ny bon, ny deuot, puis que pour estre bon, il faut auoir la charité, & pour estre deuot, il faut auoir outre la charité, vne grande viuacité & promptitude aux actions charitables. Et d'autant que la deuotion gist en certain degré d'excellente charité, non seulement elle

nous rend prompts, actifs & diligens à l'obseruation de tous les commandemens de Dieu: mais outre cela, elle nous prouoque à faire promptement & affectionnement le plus de bonnes œuures que nous pouuons, encores qu'elles ne soient aucunement commandées, ains seulement conseillées ou inspirées. Car tout ainsi qu'vn homme qui est nouuellement guery de quelque maladie, chemine autant qu'il luy eft necessaire, mais lentement & pesamment: demesme le pecheur estant guery de son iniquité, il chemine autant que Dieu luy commande, pesamment neantmoins & lentement, iusques à tant qu'il ayt atteint la deuotion; car alors comme vn homme bien sain, non seulement il chemine, mais il court & faute en la voye des commandemens de Dieu, & de plus il paffe & court dans les sentiers des conseils & inspirations celestes. En fin la charité & la deuotion ne sont non plus differentes l'vne de l'autre, que la flamme l'est du feu, d'autant que la charité estant vn feu spirituel, quand elle est fort enflammée, elle fappelle deuotion: si que la deuotion n'adiouste rien au feu de la charité, sinon la flamme, qui rend la charité prompte, actiue & diligente, non seulement a l'obferuation des commande

mens de Dieu, mais à l'exercice des conseils & inspirations celestes.

Proprieté & excellence de la deuotion.
CHAPITRE II.

E V X qui décourageoient les Ifraelites ☑d'aller en la terre de promiffion, leur disoient que c'estoit vn pais qui deuoroit les habitans, c'est a dire, que l'air estoit si malin, qu'on n'y pouuoit viure longuement, & que reciproquement les habitans estoient des gens si prodigieux, qu'ils mangeoient les autres hommes comme des locustes. Ainsi le monde, ma chere Philothée, diffame tant qu'il peut la saincte deuotion, dépeignant les personnes deuotes auec vn visage fascheux, triste & chagrin : & publiant que la deuotion donne des humeurs melancholiques & insupportables. Mais comme Iofue & Caleb protestoient que non seulement la terre promise estoit bonne & belle, ains aussi que la possession en seroit douce & agreable : de mefme le sainct Esprit par la bouche de tous les Saincts, & noftre Seigneur par la sienne mesme, nous asseure que la vie deuote est vne vie • douce, heureuse & amiable.

P

Le monde voit que les deuots ieusnent,

prient & souffrent iniures, seruent les malades, donnent aux pauures, veillent, contraignent leur cholere, suffoquent & estouffent leurs pafsions, se priuent des plaisirs sensuels, & font telles & autres fortes d'actions, lesquelles en elles mesmes, & de leur propre substance & qualité, sont aspres & rigoureuses. Mais le monde ne voit pas la deuotion interieure & cordiale, laquelle rend toutes ces actions agreables, douces & faciles. Regardez les abeilles sur le thym, elles y treuuent vn suc fort amer: mais en le sucçant elles le conuertissent en miel, parce que telle est leur proprieté. O mondain! les ames deuotes treuuent beaucoup d'amertumes en leurs exercices de mortification; il est vray: mais en les faisant elles les conuertissent en douceur & fuauité; les feux, les flammes, les rouës, les espées sembloient des fleurs & des parfums aux Martyrs, par ce qu'ils estoient deuots. Que si la deuotion peut donner de la douceur aux plus cruels tourmens, & à la mort mesme; qu'est-ce qu'elle fera pour les actions de la vertu ? Le sucre adoucit les fruicts mal meurs, & corrige la crudité & nuisance de ceux qui sont bien meurs. Or la deuotion est le vray sucre spirituel, qui ofte l'amertume aux mortifications, & la nuisance

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