aux pauures, & l'empressement aux riches, la desolation à l'oppresse, & l'insolence au fauorisé, la tristesse aux solitaires, & la dissolution à celuy qui est en compagnie : elle fert de feu en Hiuer, & de rosée en Esté: elle sçait abonder & fouffrir pauureté, elle rend également vtile l'honneur & le mépris : elle reçoit le plaisir & la douleur auec vn cœur presque tousiours semblable, & nous remplit d'vne fuauité merueilleuse. Contemplez l'eschelle de Iacob, (car c'est le vray portrait de la vie deuote) les deux costez entre lesquels on monte, & ausquels les eschellons se tiennent, representent l'oraison, qui impetre l'amour de Dieu, & les Sacremens, qui le conferent : les eschellons ne sont autre chose, que les diuers degrez de charité, par lesquels l'on va de vertu en vertu, ou descendant par l'ation au secours & fupport du prochain, ou montant par la contemplation en l'vnion amoureuse de Dieu. Or voyez, ie vous prie, ceux qui sont sur l'eschelle, ce sont des hommes qui ont des cœurs angeliques, ou des Anges qui ont des corps humains. Ils ne sont pas ieunes : mais ils le semblent estre, parce qu'ils font pleins de vigueur & agilité spirituelle. Ils ont des aifles pour voler, & s'élancent en Dieu par la saincte oraison: oraison : mais ils ont des pieds pour cheminer auec les hommes par vne saincte & amiable conuersation: leurs visages font beaux & gays, dautant qu'ils reçoiuent toutes choses auec douceur & fuauité: leurs iambes, leurs bras & leurs testes sont tout à descouuert, dautant que leurs pensées, leurs affections & leurs actions n'ont aucun dessein, ny motif que de plaire à Dieu : le reste de leurs corps est couuert, mais d'vne belle & legere robbe, par ce qu'ils vsent voirement de ce monde & des choses mondaines: mais d'vne façon toute pure & fincere, n'en prenant que legerement ce qui est requis pour leur condition, telles font les personnes deuotes. Croyez moy, chere Philothée, la deuotion est la douceur des douceurs, & la Royne des vertus, c'est la perfection de la charité. Si la charité est vn laict, la deuotion en est la cresme; si elle est vne plante, la deuotion en est la fleur; si elle est vne pierre precieuse, la deuotion en est l'esclat: si elle est vne bausme precieux, la deuotion en est l'odeur, & l'odeur de fuauité, qui conforte les hommes, & resiouït les Anges. B Que la deuotion est conuenable a toutes fortes de vacations & professions. D CHAPITRE III. IEV commanda en la creation aux plantes de de porter leurs fruicts chacune selon son genre, ainsi commande t'il aux Chreftiens, qui sont les plantes viuantes de son Eglise, qu'ils produisent des fruicts de deuotion, vn chacun selon sa qualité & vocation. La deuotion doit estre differemment exercée par le Gentil-homme,par l'artisan, par le valet, par le Prince, par la vefue, par la fille, par la mariée, & non seulement cela: mais il faut accommoder la pratique de la deuotion aux forces, aux affaires, & aux deuoirs de chaque particulier. Ie vous prie, Philothée, seroit-il à propos, que l'Euesque voulust estre solitaire comme les Chartreux? Et si les mariez ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit tout le iour à l'Eglise comme le Religieux, & le Religieux tousiours expose à toutes fortes de rencontres pour le seruice du prochain, comme l'Euesque; cette deuotion ne seroit-elle pas ridicule, déreglée & insupportable? Cette faute neantmoins arriue bien souuent, & le monde qui ne difcerne pas, ou ne veut pas difcerner entre la deuotion & l'indifcretion de ceux qui pensent estre deuots, murmure & blafme la deuotion, laquelle ne peut mais de ces defordres. Non Philothée, la deuotion ne gaste rien quand elle est vraye, ains elle perfectionne tout: & lors qu'elle se rend contraire à la legitime vocation de quelqu'vn, elle est sans doute fausse. L'abeille, dit Ariftote, tire son miel des fleurs, sans les interesser, les laissant entieres & fraisches, comme elle les a trouuées; mais la vraye deuotion fait encore mieux: car non seulement elle ne gaste nulle sorte de vocation ny d'affaires, ains au contraire elle les orne & embellit. Toutes sortes de pierreries iettées dedans le miel, en deuiennent plus esclattantes, chacune selon sa couleur ; & chacun deuient plus agreable en sa vocation la conioignant à la deuotion : le soin de la famille en est rendu paisible, l'amour du mary & de la femme plus fincere, le seruice du Prince plus fidele, & toutes fortes d'occupations plus fuaues & amiables. C'est vn erreur, ains vne heresie, de vouloir bannir la vie deuote de la compagnie des foldats, de la boutique des artisans, de la cour des Princes, du mesnage des gens mariez. Il est vray, Philothée, que la deuotion purement contemplatiue, monastique & religieuse, ne peut estre exercée en ces vacations là: mais aussi outre ces trois fortes de deuotion, il y en a plusieurs autres propres à perfectionner ceux qui viuent és estats seculiers. Abraham; Ifaac, & Iacob, Dauid, Iob, Tobie, Sara, Rebecca, & Iudith en font foy par l'ancien Testament : & quant au nouueau, sainct Iofeph, Lydia, & sainct Crespin furent parfaitement deuots en leurs boutiques : saincte Anne, saincte Marthe, saincte Monique, Aquila, Priscilla en leurs ménages: Cornelius, sainct Sebastien, sainct Maurice parmy les armes : Constantin, Helene, saint Louys, le B. Amé, sainct Edoüard, en leurs saincts thrones. Il est mesme arriué que plusieurs ont perdula perfection en la solitude, qui est neantmoins fi desirable pour la perfetion, & l'ont conferuée parmy la multitude, qui semble si peu fauorable à la perfection. Loth, dit sainct Gregoire, qui fut si chaste en la ville, se soüilla en la solitude : où que nous soyons, nous pouuons & deuons aspirer à la vie parfaite. |