Images de page
PDF
ePub

M. Maréchal proposait ensuite un amendement à l'effet de diminuer l'impôt foncier, en raison de l'économie de la conversion et du remboursement; il voulait que cette diminution portât sur l'impôt du sel et dégrevât les fermiers, les cultivateurs et tous ceux qui travaillaient à féconder le sol. Cette proposition n'eut pas de suite et l'on passa à l'amendement de M. Benjamin Delessert, qui demandait que les propriétaires d'une ou plusieurs inscriptions de rentes de 5 pour cent, dont la réunion n'excéderait pas une rente de 500 fr. et qui seraient inscrites avant le 1er mai, continuassent à recevoir pendant leur vie l'intérêt intégral de 5 pour cent; mais qu'en cas de vente ou après leur mort, elles fussent converties en inscriptions de rentes de 4 1/2 pour cent au pair; l'opposition de M. Monier de la Sizeranne, qui trouvait les malheurs des rentiers bien inférieurs à ceux des pauvres cuvriers chargés de contributions mobilières et personnelles, fit rejeter cet amendement.

La Chambre ayant enfin procédé au scrutin sur l'ensemble de la loi, elle fut adoptée par 251 contre 145 voix sur 396 votants.

20 Juin.

-

Chambre des pairs. Ce projet de loi fut porté au Luxembourg, où il devait être assez longuement combattu.

M. le marquis d'Audiffret ouvrit la discussion générale et renouvela contre la loi une grande partie des objections de ses adversaires de l'autre Chambre.

Après quelques hautes considérations sur la nature et la puissance du crédit, le comte d'Argout, en lui répondant, examinait la question de droit et la résolvait en faveur de la conversion, qui mettait le créancier de l'État sous le poids légitime de la détérioration naturelle et progressive du numéraire comme tous les autres propriétaires. Quant à l'usage du droit, il regardait comme nécessaire la réduction de la dette annuelle non-seulement sur les fonds au-dessous du pair par l'amortissement, mais encore sur ceux qui sont au-dessus du pair par le remboursement et la

conversion des rentes inscrites, en de nouvelles rentes d'un moindre intérêt. L'honorable pair admettait ensuite l'opportunité financière d'une telle mesure en alléguant la prospérité de la France et l'accroissement des capitaux du trésor. Loin de partager les opinions de la commission à cet égard, il concluait à la baisse de l'intérêt de l'argent, qui ferait refluer les capitaux vers l'agriculture et l'industrie, et les ferait participer à la conversion, sans accepter l'article 8 du projet, qui était impératif.

A ces raisons de M. le comte d'Argout, M. le vicomte de Villiers du Terrage, niant les bienfaits de la réduction, répondait :

• Quand même il me serait permis de considérer comme opportun ce que je crois injuste, jamais, dans la question dont il s'agit, je n'appuierai de mon suffrage un projet qui enlèverait à la France 400 millions au profit des fonds étrangers; un projet qui me deviendrait suspect par cela seul que tour à tour il a été vanté comme devant, en tout état de cause et en tout temps, suffire aux besoins de l'Etat, soit que nos finances se trouvent dans un état prospère, soit qu'une gêne momentanée appauvrisse pendant quelque temps les sources du crédit.

Pour l'homme consciencieux et prévoyant, ce serait assez sans doute que ce projet manquât de justice et d'à-propos pour qu'il le repoussât sous quelque forme que l'on cherchât à le faire prévaloir. A défaut de cet appui, et dans un temps où les intérêts matériels ont acquis tant de puissance, aurait-on du moins, la prétention d'essayer de nous séduire par son utilité?

. Mais les auteurs de ce projet, quelque épris que naguère ils fussent de leur ouvrage, n'ont-ils pas publiquement eux-mêmes détruit le charme, fait évanouir le prestige de ces illusions funestes par lesquelles ils ont si long-temps, si cruellement égaré la crédulité publique?

Il n'est que trop bien reconnu aujourd'hui, votre savant rapporteur vous l'a démontré, que la perte subie par les rentiers sera pour le pays tout entier sans compensation, que loin d'améliorer leur position, vous l'aggravez. »

Prenant parti pour le rentier, l'orateur rappelait qu'il avait deux fois donné son argent pour sauver le territoire envahi, et garanti l'État des emprunts forcés. Il n'y avait selon lui qu'un moyen conforme à la sagesse et à l'intégrité : c'était de racheter la rente par l'extinction graduelie de l'amortissement et non par la fiction des emprunts, quand elle

etait au-dessous du pair, et de la rembourser de gré à gré par des conditions équitables, quand elle était au-dessus. Enfin l'article 8 violait la prérogative royale, et il rejetait cette résolution.

Après quatorze ans de lutte, M. Humann venait déclarer qu'il ne comprenait pas qu'on discutât encore sur le droit de la conversion, conforme à la plus simple idée de la justice, car le droit de libération appartenait à tout créancier.

Sully et Colbert, ces deux ministres célèbres, avaient abaissé l'intérêt de la dette publique; de nos jours M. de Villèle avait réussi à faire la réduction d'une partie des rentes 5 pour cent. M. de Chabrol avait dû la compléter.

A l'impossibilité pour le Gouvernement de rembourser, M. Humann opposait ces arguments.

L'offre du remboursement, vous a dit votre commission est un artifice; si elle était acceptée, le Gouvernement ne pourrait pas la réaliser. Votre commission s'abuse. Dans le système du projet, des propositions dictées par l'esprit de conciliation seraient faites aux rentiers; les accepteraient-ils ? Je n'en doute pas. Mais supposons le contraire, supposons une résistance aveugle, le Gouvernement en serait-il embarrassé ? Nullement. Au lieu de donner en échange les valeurs nouvelles à bas prix, il les négocierait à de meilleures conditions; il emprunterait à 4 pour rembourser ceux qui exigeraient 5, et avec la facnlté d'opérer par série, il n'aurait que faire d'amasser des milliards. Le crédit suffirait aisément à tout; l'épargne lui viendrait en aide. N'est-ce pas l'épargne qui a absorbé tous les emprunts contractés depuis 1814; et si telle a été sa force daus les circonstances les plus difficiles, jugez quelle serait sa puissance dans nos temps prospères. A mes yeux, l'opération soumise à notre examen présente tous les caractères de loyauté et de bonne foi.

Enfin, il voyait dans la division facultative de l'opération en séries, une garantie suffisante contre les éventualités politiques et financières qui pourraient survenir, et il engageait la Chambre, au nom du crédit et de la fortune publics, à adopter le système du projet.

Cette question paraissait au contraire désastreuse à M. Mérilhou, en attaquant le patrimoine de 150,000 rentiers, et en enlevant au plus grand nombre d'entre eux une partie de leur nécessaire. L'Etat, selon lui, n'avait pas le droit

de modifier le contrat passé avec les rentiers, car s'il pouvait modifier le contrat, il pouvait aussi le briser.

L'orateur ajoutait que les auteurs de la loi de floréal an x n'avaient jamais pensé qu'on eût le droit de rembourser les rentiers malgré eux, qu'autrement toute la législation de cette époque, à commencer par la loi même. de floréal, serait en contradiction avec elle-même.

28 Juin. Le baron de Morogues considérait la réduction de la rente comme indispensable; il ne sentait pas la nécessité pour l'État de se lier les mains pendant douze années, pour s'ôter la faculté de rembourser les rentes. nouvelles émises au pair. De plus, le remboursement des rentes à 5 pour cent ne serait point demandé, et à son avis l'on n'aurait pas besoin de recourir au remboursement par série, dont on avait signalé les inconvénients. Avec de telles modifications le noble pair acceptait le projet de loi.

Quant au Général Baudrand, il ne croyait nullement à l'utilité ni à l'opportunité de la mesure, tandis que le comte d'Alton-Shée concluait à son adoption pure et simple, tant à cause de la confiance dans le pays, qu'à cause de son désir de voir la réalité du Gouvernement constitutionnel.

Aux yeux de M. Poisson, le principe qui dominait la question était la nécessité absolue pour un Gouvernement, à une époque de prospérité, de diminuer la dette publique autant qu'il le pouvait; principe qui résultait invinciblement de l'obligation, également indispensable, d'augmenter les charges du pays, dans des temps moins heureux, par de nouveaux emprunts.

Examinant si le droit public de la France autorisait la conversion de la rente, le duc de Bassano citait l'opinion de Mirabeau s'opposant, avec l'Assemblée constituante, à toute réduction dans la dette publique, et proposait de faire une conversion toute simple qui ne blesserait pas les intérêts privés, qui ne violerait aucun principe, aucun engagement; de réduire, par exemple, à 3 ou à 2 112 pour cent les rentes qui constituent aujourd'hui les bénéfices de

la caisse d'amortissement; mais il ne voyait pas la nécessité d'en venir à cette ressource.

M. le comte Roy, rapporteur, après avoir suivi avec soin la discussion, déclarait n'avoir rien trouvé qui dût déterminer la commission à changer sa proposition.

M. Villemain, ayant obtenu la parole sur l'art. 1", soutenait que c'était à l'État à soulever le fardeau inaccessible du 5 pour cent par la conversion, puisque l'amortissement ne le délivrait pas du 5 pour cent qu'il ne pouvait plus racheter; enfin, l'orateur accusait l'incertitude de M. le président du Conseil, en fait d'opportunité et d'inopportunité.

M. le comte Molé repoussait ce reproche d'irrésolution : il s'était toujours déclaré contre l'opportunité de la conversion. De plus, l'opération vantée dans des circonstances intempestives pouvait amener une catastrophe, et l'initiative du Gouvernement était par là moins utile.

M. le marquis d'Audiffret se reposait sur le Gouvernement du soin de retarder ou de hâter la grande mesure du remboursement.

Selon M. le comte d'Argout, bien que la loi ne dût pas être adoptée cette année, il importait d'admettre au moins le principe du remboursement; principe admis en 1833 à l'unanimité, moins une voix; néanmoins. de tous les plans proposés, celui de la commission était encore le plus désastreux pour le pays.

Le chancelier mit aux voix l'art. 1o, qui fut rejeté à la presque unanimité.

26 Juin. La Chambre, ayant procédé au vote par la voie du scrutin, repoussa la loi par 124 boules noires, sur 158 votants.

Cette loi financière organique devait donc encore être arrêtée par l'esprit de prudence et l'examen sévère de la Chambre des pairs; c'est qu'il y a certaines questions soulevées par des crises antérieures, et dont on ne peut abdiquer sans danger les inévitables conséquences; aussi une

« PrécédentContinuer »