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que le capital arbitraire que vous leur offrez, c'est-à-dire que vous ferez payer au rentier modique et nécessiteux, la richesse du rentier agioteur et usuraire? Sera-ce là votre justice? »

M. de Lamartine, repoussant l'amendement de M. Salverte, qui consistait à dire que la Chambre ne doutait pas de l'utilité de la conversion, faisait comprendre que pour rembourser d'une main les 147 millions, le trésor serait tenu forcé de les emprunter de l'autre main. Selon lui, l'intérêt de la rente abaissé, la propriété territoriale, la seule stable, allait monter et n'être plus à la portée des classes moyennes. C'était donc la tyrannie de la terre contre l'argent. La Chambre, croyant être démocratique, agissait donc contre le petit rentier nécessiteux qui ne peut acheter de la terre, elle se déclarait donc contre les économies insuffisantes des caisses d'épargne et contre la propriété moralisante de la terre qu'elle arrachait aux fortunes modestes. Bien plus, la démocratie dela fortune étant la richesse mobilière, on amoindrissait l'existence du peuple en réduisaant l'intérêt de la rente.

Le ministre des finances, de son coté, ne reconnaissait pas le droit des rentiers, de n'être pas remboursés. En 1825 on avait garanti la rente 4 1/2 pour cent contre le remboursement, et en 1833 on avait déclaré dans la loi de l'amortissement que les fonds d'amortissement qui ne pourraient plus être employés à racheter, pourraient l'être à rembourser. Or, d'après le ministre, le Gouvernement avait le droit de rembourser, et il revendiquerait ce droit quand il croirait le moment opportun.

Sans appuyer l'amendement de M. Salverte, M. Gouin rappelait l'unanimité du Gouvernement, des Chambres et des commissions de finances sur la légalité de la mesure combattue avec tant de chaleur par M. de Lamartine. En 1831, M. Thiers, rapporteur général de l'ensemble du budget des dépenses, en 1833 et en 1836, M. Humann, ministre des finances, avaient fait espérer un projet de loi sur la conversion des rentes.

Ce qui semblait aux yeux de M. Gouin nécessiter cette loi financière, c'était les 100 millions d'amortissement devenus inutiles, stagnants et improductifs, par l'élévation de la rente au-dessus du pair, mais il laissait au Gouvernement le choix du moment de l'exécution.

Satisfait de cette déclaration de principes, M. Salverte retira son amendement.

Les mots: lois politiques, contenus dans le paragraphe 9, excitèrent quelques craintes dans l'esprit de MM. Lacrosse et Odillon-Barrot, craintes qui furent détruites par l'explication de M. St. Marc-Girardin, rapporteur, et M. le président du Conseil. Ces lois se rapportaient à l'article 69 de la Charte, à la responsabilité des ministres, à l'administration départementale.

Le paragraphe additionel de M. Salverte touchant l'amélioration du système pénitentiaire, n'ayant pas été appuyé, M. Legrand profita du paragraphe 9 pour présenter quelques considérations sur l'agriculture.

Suivant lui cette branche importante de la richesse nationale manquait d'encouragements efficaces. En France l'agriculture était en souffrance et demeurait stationnaire, et cependant c'est elle qui payait près des 1,100 millions de notre dépense. L'orateur se récriait contre les primes d'encouragement pour les pêcheurs maritimes, montant à 3 ou 4 millions, tandis que l'agriculture de toute la France recevait une aumône de 500,000 francs.

Descendant davantage dans la pratique, M. Lepelletier d'Aunay réclamait la création des chambres consultatives d'agriculture sur les bases admises par la loi du 22 germinal an 11. De cette manière les intérêts locaux représentés par les chambres consultatives seraient mieux appréciés par le Gouvernement et pourraient éclairer sa direction. L'augmentation sur la cote des contribuables lui paraissait une autre plaie de l'agriculture, en cela surtout qu'elle tombait sur le grand nombre, sur les petits cultivateurs, sur les huit millions 471,000 de cotes de 20. fr.

Il appartenait donc au Gouvernement de favoriser l'impulsion agricole, de multiplier les établissements d'instruction spéciale, comme celui de la ferme royale de Grignon.

Le ministre des travaux publics s'assosciait aux vues sages du préopinant; il avait déjà pris l'initiative. Plusieurs départements avaient approuvé cette mesure, d'autres s'appuyant sur la tenue annuelle des conseils généraux l'avaient regardée comme superflue. C'était au temps à mûrir ces améliorations et à les feconder. Quant à l'enseignement agricole, il existait un institut agronomique à Grignon; le Gouvernement y avait crée 40 bourses, et il travaillait en ce moment à rendre les cours de cette école publics et gratuits.

Cette promesse du ministre fournit à M. Demarçay l'occasion de parler à la Chambre d'agriculture, non en théoricien, mais en homme pratique. Il désapprouvait l'établissement des fermes - modèles, en ce qu'en général elles étaient confiées à la direction d'un homme sachant écrire et parler, ayant des connaissances générales, et rarement à un homme qui ait fait de l'agriculture. Parlant de la ferme-modèle de Grignon, il disait :

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Mais, Messieurs, il y a des fermes-modèles dans tous les pays, dans toutes les communes. La ferme - modèle de chaque commune existe dans l'administration rurale qui exerce avec le plus de succès, avec le plus de profits. Vous me direz: Mais elle n'a de succès que dans telle ou telle partie de l'agriculture, dans tel ou tel genre de culture. Eh bien! elle sera ferme-modèle pour ce genre-là. Une autre réussira dans un autre genre d'agriculture; elle sera ferme-modèle dans cet auire genre. Mais prendre une ferme-modèle dont tous les éléments sont nouveaux, une ferme qui ne peut pas perdre, soit qu'elle réussisse, soit qu'elle ne réussisse pas, c'est s'exposer à des pertes presque certaines.

Voulez-vous savoir l'opinion de M. de Dombasle? Quand on a établi la ferme de Grignon, M. de Dombasle, à qui la direction fut proposée, comme vous pouvez le savoir, répondit: «Mais on ne fait dans les environs de Paris qu'une agriculture exceptionnelle. Là, ce n'est pas d'élever du bétail qu'il s'agit! on y perdrait, on s'y ruinerait ; ce n'est pas non plus de cultiver des céréales, on y perdrait encore. Là, ce qu'il faut produire, c'est du lait, de la volaille; c'est de la paille et du fourrage pour les vendre à Paris, pour subvenir à la consommation de la grande ville. » Or, le premier objet d'une ferme, d'une exploitation rurale, c'est d'exploiter avec succès, c'est d'avoir

des profits. Si, dans notre ferme-modèle, on dépense deux, trois, quatre, cinq fois, je ne sais combien, plus qu'on ne récolte, que voulez-vous qu'ap prenne un jeune homme, je parle d'un jeune homme destiné à faire de l'agriculture? Quand il racontrá à son père, de retour à sa ferme, ce qu'il a vu, les dépenses et les produits; son père lui dira: «Mais, mon cher ami, dépêche-toi d'oublier ce que tu as appris, car tu nous ruinerais!

Une coutume que M. Demarçay s'étonnait de ne pas voir adoptée par les agriculteurs, c'était le tour de France du serrurier, du menuisier, etc., coutume qui apprenait à faire mieux, à perfectionner les instruments et la manière de s'en servir. C'était là, selon lui, des moyens réels pour améliorer l'agriculture et l'agriculteur.

Le président ayant mis aux voix le paragraphe, qui fut adopté, ainsi que le 12o et dernier, dans lequel la Chambre assurait le trône de son concours et de son désir de faire le bien de la France, on procèda par la voie du tirage au sort à la désignation des membres qui devaient composer la députation chargée de présenter l'Adresse au roi.

L'ensemble de l'Adresse, soumis à l'épreuve du scrutin, venait d'être adopté à une majorité de 100 voix (216 contre 116): cette majorité, bien que forte, prouvait, comme en 1837, que l'opposition avait déjà jeté dans la Chambre des germes de dissentiment que nous allons voir éclore et se traduire dans les faits.

Le président du 22 février avait tenté un dernier effort en faveur de l'Espagne; il avait échoué. Le cabinet du 6 septembre, bien qu'il eut par cela même dès lors une majorité, n'avait, aux yeux de l'opposition, ni l'autorité du talent, ni le prestige des circonstances qui auraient pu lui donner une allure décidée et une existence moins précaire.

La vivacité de ces premiers débats avait trahi les appréhensions du ministère déjà contraint à se défendre, et la hardiesse d'une opposition qui renfermait, il est vrai, plusieurs nuances d'opinions, mais beaucoup de capacités politiques et d'ambitions mécontentes.

27 Janvier.- La proposition de M. Mercier, relative à la

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révision du réglement, n'ayant pas été appuyée, la Chambre entendit la proposition de M. Jobart. Elle avait pour but d'assigner aux députés l'habit noir pour les cérémonies et une plaque émaillée, portée au côté gauche de l'habit, dont le modèle serait réglé par MM. les questeurs.

Sur la demande de cinq membres, le président fit évacuer les tribunes, et la Chambre se forma en comité secret.

Le rapport, sur la proposition de M. Jobart, fut présenté le 3 février par M. de Lamartine. La majorité de la commission avait pensé qu'un costume releverait aux yeux du peuple le respect dû à la représentation nationale; que l'influence d'un signe extérieur n'était pas aussi vaine et aussi futile qu'on pouvait se l'imaginer.

Le langage de la minorité était tout autre. Le député n'é- _ tant chargé d'aucune partie de la puissance exécutive, son mandat ne dépassait pas l'enceinte des délibérations; sorti du peuple, au sein duquel il rentrait incessamment, celte similitude extérieure jointe à la fermeté et au courage civil, devaient être son caractère essentiel.

« Il y a plus de vérité de représentation, plus de gravité réelle de mœurs, plus de conformité extérieure aux habitudes d'égalité civile, plus d'analogie avec notre origine et nos attributions essentiellement populaires, à conserver au député le costume libre et individuel des citoyens. »

Tels étaient les termes du rapporteur.

Il ajoutait que néanmoins, l'habit ayant été rejeté, les inconvénients de tout autre signe extérieur avaient frappé les esprits, et que dès-lors, bien que la commission eût en principe reconnu à la majorité de six voix contre quatre, la convenance d'un costume ou d'une marque distinctive; elle avait conclu au rejet de la proposition, rejet qui fut prononcé par la Chambre.

Quelques autres propositions excitèrent à peine l'intérêt de la Chambre élective. Cependant dans la séance du 27 janvier, plusieurs pétitions étaient venues réveiller son atten tion. Le sieur Boucher de Courson, maréchal-de-camp en

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