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CCLXXV. LETTRE.

Du Comte de Buffy à Monfieur de Benferade.

J'A

A Chafeu, ce 3. Août 1677.

"A reçu ici ce que vous m'aviez envoyé, Monfieur. Il n'y a rival qui tienne, fi fautil que je vous en remercie. Ce n'eft pas que je ne voye bien que vous vous fervez des plaifirs que vous me faites, pour effayer à me faire un méchant tour; mais à tout hazard je veux être reconnoiffant & content de vous, quand je devrois être le cocu, battu, & content. Mais n'admirez-vous point la chaleur avec laquelle toute l'Europe fe déchire? Il femble que ce foit plûtôt la laffitude de vivre qui fait agir ainfi tout le monde , que l'ambition & que l'amour de la gloire. Si j'étois à la tête des armées où je pourrois être auffi bien que tant d'autres, je ne ferois pas ces réflexions; mais maintenant que je n'ai autre chofe à faire je vous avoue que je trouve les gens de guer re bien fous, de faire tout ce qu'ils peuvent pour accourcir une vie qui n'est déja que trop

courte.

CCLXXVI.

CCLXXVI. LETTRE.

*Réponse du Comte de Buffy à Madame de Sevigny.

A Chafen, ce 20. Août 1677.

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E ne fais que d'arriver du Comté de Bourgogne avec que Madame; & c'est pourquoi je ne fais que de recevoir votre Lettre du 30. Juillet, parce que comme il y a affez loin d'ici à Creffia, & que je ne croyois pas y être fi long-tems que j'y ai été j'avois laiffé ordre qu'on me gardât les Lettres qu'on recevroit pour moi. Pour vous rendre raifon maintenant de ce que je ne fis point de replique à votre réponse du mois de Mai, c'eft que je partis auffi tôt que je l'eus reçue, pour le voyage dont je viens de vous parler. Mon fils m'écrit de Lifle, que le Maréchal d'Humieres n'en fortant point, il lui a demandé congé pour aller trouver Monfieur de Luxembourg à Ath, qui marchoit aux ennemis pour faire lever le fiége de Charleroy, ou pour les combattre. Dieu le conduife.

Je fuis fort aife que Monfieur de Sevigny foit Soulieutenant des Gendarmes Dauphins. La Charge eft jolie, & très-jolie pour un homme de fon âge. Vous voyez qu'avec de la patience il n'y a gueres d'affaires au monde dont on ne vienne à bout. Je vous écris fort chagrin de ne pouvoir vous aller trouver à Epoiffes. Ma fille de Chafeu eft affez mal depuis quinze jours; ce

A la Lett, CCLXXIV.

qui m'a obligé de la ramener de Comté en litiere; & le Cocher de ma fille s'eft caffé le bras. Mais fi vous vouliez entendre raifon, tout cela n'empêcheroit pas que nous ne nous viffions. Le chemin d'Epoiffes à Vichi par Nevers eft beaucoup plus méchant, & auffi long pour le moins que par ce païs-ci. Nous vous donnerons des relais, Toulonjon, Jannin, & moi. Venez, Madame: je fuis affuré que le bon Abbé fera de mon avis. Vous féjournerez ici un jour ; fi vous êtes preffée, vous n'y coucherez qu'une huit, & le lendemain nous irons à Monjeu. De là vous vous embarquerez pour Vichy. Si vous ne connoiffiez la fituation de Monjeu, je me ferois fervi d'un autre mot que d'embarquer, de peur que vous ne le priffiez pour un port de mer: mais vous entendez les figures. Mandezmoi le jour que vous vous trouverez à Lucenay; car nous irons au devant de vous jufqueslà. Ma foi, vous ne fauriez mieux faire. Et ne vous allez pas mettre dans la tête, que ce feroit une legereté de changer de réfolution: le Sage change felon les occurrences.

Depuis ma Lettré écrite, je viens d'apprendre la levée du fiége de Charleroy. Il faut dire la vérité, voici de longues profperitez: mais je remarque que Dieu n'a pas feulement fait le Roi le plus grand Roi du monde par fa conduite; il l'a encore fait tel par fon étoile.

A Monfieur de Corbinelly.

Vous avez raifon de dire, Monfieur, qu'on · ne fait prefque rien de tout ce qu'on veut faire, c'est-à-dire, de confidérable. Le Deftin a pris cela pour fon partage; il n'y a que le Roi d'ex

cepté

cepté de la regle générale. La Fortune qui depuis la naiffance du monde avoit toûjours été indifferente, a pris enfin parti pour Sa Majesté. Jamais Prince n'a été fi long tems heureux : il y a trente-cinq ans que fes profperitez durent. Je voudrois bien favoir ce que lui diroit Voiture, qui étoit, difoit-il à Monfieur le Prince, épuifé fur les louanges, pour quatre ou cinq campagnes heureufes. Il faut ou redire les mêmes chofes, ou fe taire fur les belles actions du Roi. Il en fait plus de nouvelles tous les jours qu'il n'y a de tours differens dans notre Langue pour le louer dignement. Ce que vous me dites pourtant de lui me paroît nouveau & admirable: mais vous avez beau avoir de l'efprit, il vous mettra à fec fur ma parole. Quand je priai le Duc de Saint-Aignan en 1664. de lui dire qu'en attendant que je puffe recommencer à la fervir dans la guerre, je fuppliois Sa Majefté de trouver bon que j'écriviffe fon Hiftoire, il me fit répondre qu'il n'avoit pas encore affez fait pour cela, mais qu'il efperoit me donner un jour de la matiére. Il m'a bien tenu parole; & je voudrois lui pouvoir tenir auffi bien la mienne: mais j'y ferai toûjours de mon mieux; & j'efpere enfin l'obliger de fe croire fur ce qui meregarde. Car j'ai dans la tête, heureufement pour ma confolation, que naturellement il me feroit du bien & du mal fur les mauvais offices qu'on me rend auprès de lui.

Je vous envoye une traduction de la Matrone d'Ephese. Legrand nombre des traductions qui en ont paru, ne m'ont point rebuté.

FRAG

E

FRAGMENT

DE PETRONE.

UMOLPE qui venoit de mettre la paix parmi nous, voulut entretenir notre gayeté par des contes agréables. Il dit beaucoup de chofes fur la legereté des femmes; combien elles. aimoient facilement, & combien promptement elles oublioient les gens qu'elles avoient le plus aimez: Qu'il ne vouloit pas pour preuve de cela nous citer de vieilles hiftoires, mais que fi nous voulions, il nous conteroit une chofe arrivée, de fon temps. Et ayant par fes difcours attiré les regards & l'attention de tous tant que nous étions, il commença de parler ainfi:

HISTOIRE

de la Matrône d'Ephefe

IL y avoit autrefois à Ephefe une Matrône. d'une fi grande reputation de chafteté & d'a mour conjugal, que la plupart des Dames des Provinces voifines avoient pris foin de la connoître. Celle-ci ayant perdu fon mari, ne fe contenta pas de fuivre la biere les cheveux épars, de fe les arracher, & de fe frapper la gorge nue; elle fuivit encore le corps jufqu'au lieu où, à la coûtume des Grecs, on les laiffoit; & là elle fe mit à le regarder, & le pleurer nuit & jour. Il y en avoit déja cinq que cette femme étoit auprès du corps de fon mari Tome III. O

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