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absolument nécessaires. Le Conservatoire de musique. est très-bien choisi. L'École de médecine est un bon centre également. Je n'ai pas à discuter ces détails, mais le choix des lieux est de toute importance. Les directeurs des établissements publics mettent souvent peu de bonne volonté à accueillir les Lectures; c'est au Gouvernement, de qui ils dépendent, de vaincre ces résistances peu libérales (1).

Il y a un symptôme général à constater, et dont on serait coupable de ne pas tenir compte: l'esprit de la classe ouvrière à Paris s'améliore. Si l'on me demande ce que j'entends par ce mot, je répondrai que j'entends cette amélioration dans un sens qui ne saurait être contesté par les honnêtes gens d'aucun parti et d'aucune nuance d'opinion. S'améliorer, pour la classe laborieuse, ce n'est pas, selon moi, avoir telle ou telle idée politique, incliner vers tel ou tel point de vue social (j'admets à cet égard bien des dissidences), c'est tout simplement comprendre qu'on s'est trompé en comptant sur d'autres voies que celle du travail régulier; c'est rentrer dans cette voie en désirant tout ce qui peut la raffermir et la féconder. Quand la majeure partie d'une population en est là, et que les violents sont avertis peu à peu de s'isoler de la masse et de s'en séparer, je dis que la masse s'améliore, et c'est le moment pour les politiques prévoyants d'agir sur elle par des moyens honnêtes, moraux, sympathiques. Les Lectures du soir, dans leur cadre modeste, sont tout cela. Les hommes

(1) La convenance des heures n'est pas moins importante que le choix des lieux. Ainsi, il est regrettable qu'au lycée Charlemagne M. Just Olivier soit réduit à commencer à sept heures du soir, c'est-à-dire à une heure où les ouvriers ont à peine fini leur journée. La meilleure heure est le soir, de huit à neuf heures un quart.

distingués qui se sont dévoués jusqu'ici, par goût et par zèle, à ces fonctions tout à fait gratuites, font certainement une œuvre bien estimable; mais il y a quelque chose qui l'est encore plus (ils m'excuseront de le penser, et ils l'ont pensé avant moi), c'est de voir, comme cela a lieu au Conservatoire, des ouvriers, leur journée finie, s'en venir de Pássy ou de Neuilly pour assister, à huit heures du soir, à une lecture littéraire. Il y a là une disposition morale digne d'estime et presque de respect, et qu'on serait coupable de ne pas favoriser et servir, quand elle vient s'offrir d'elle-même.

J'ai vu un temps où nous étions loin de songer à ces choses; c'était le beau temps des Athénées, des Cénacles, des réunions littéraires choisies, entre soi, à huis clos. On lisait pour inscription sur la porte du sanctuaire Odi profanum vulgus! Loin d'ici les profanes! Le règne de ces théories délicieuses, de ces jouissances raffinées de l'esprit et de l'amour-propre, est passé. Il faut aborder franchement l'œuvre nouvelle, pénible, compter dorénavant avec tous, tirer du bon sens de tous ce qu'il renferme de mieux, de plus applicable aux nobles sujets, vulgàriser les belles choses, sembler même les rabaisser un peu, pour mieux élever jusqu'à elles le niveau commun. C'est à ce prix seulement qu'on se montrera tout à fait digne de les aimer en ellesmêmes et de les comprendre; car c'est le seul moyen de les sauver désormais et d'en assurer à quelque degré la tradition, que d'y faire entrer plus ou moins chacun et de les placer sous la sauvegarde universelle.

Lundi 28 janvier 1850.

POÉSIES NOUVELLES

DE

M. ALFRED DE MUSSET.

(Bibliothèque Charpentier, 1850. )

Il doit paraître dans très-peu de jours un Recueil des poésies nouvelles que M. Alfred de Musset a écrites depuis 1840 jusqu'en 1849; son précédent Recueil, si charmant, ne comprenait que les poésies faites jusqu'en 1840. Bon nombre de pièces lyriques ou autres (chansons, sonnets, épîtres) ont été publiées depuis dans la Revue des Deux Mondes et ailleurs ce sont celles qu'on vient de recueillir, en y ajoutant quelques morceaux inédits. J'y trouve un prétexte dont, après tout, je n'aurais pas besoin pour venir parler de M. Alfred de Musset, et pour apprécier, non plus en détail, mais dans son ensemble et dans ses traits généraux, le caractère de son talent, le rang qu'il tient dans notre poésie, et l'influence qu'il y a exercée.

Il y a dix ans environ, M. de Musset adressait à M. de Lamartine une Lettre en vers, dans laquelle il se tournait pour la première fois vers ce prince des poëtes du temps, et lui faisait, à son tour, cette sorte de déclaration publique et directe que le chantre d'Elvire était accoutumé dès longtemps à recevoir de quiconque entrait dans la carrière, mais que M. de Musset, narguant l'é

tiquette, avait tardé plus qu'un autre à lui apporter. Le poëte de Namouna et de Rolla lui disait donc en fort beaux vers qu'après avoir cru douter, après avoir nié et blasphémé, un éclair soudain s'était fait en lui :

Poëte, je t'écris pour te dire que j'aime,

Qu'un rayon du soleil est tombé jusqu'à moi,
Et qu'en un jour de deuil et de douleur suprême,
Les pleurs que je versais m'ont fait penser à toi.

Au milieu de sa flamme et de sa souffrance, un sentiment d'élévation céleste, une idée d'immortalité, disait-il, s'était éveillée en son âme; les anges de douleur lui avaient parlé, et il avait naturellement songé à celui qui, le premier, avait ouvert ces sources sacrées d'inspiration en notre poésie. M. de Musset rappelait, à ce propos, les vers que M. de Lamartine, jeune, avait adressés à lord Byron prêt à partir pour la Grèce; et, sans aspirer à une comparaison ambitieuse, il lui demandait de l'accueillir aujourd'hui avec son offrande comme lui-même avait été reçu autrefois du grand Byron.

Un journal vient de publier la réponse en vers que fit M. de Lamartine à M. de Musset, réponse qui date de 1840, et qui, en paraissant aujourd'hui, a presque un air d'injustice; car M. de Musset n'est plus, il y a beau jour, sur ce pied de débutant en poésie où l'a voulu voir M. de Lamartine. Évidemment, ce dernier a pris M. de Musset trop au mot dans sa modestie; il avait oublié qu'à cette date de 1840, cet enfant aux blonds cheveux, ce jeune homme au cœur de cire, comme il l'appelle, avait écrit la Nuit de Mai et la Nuit d'Octobre, ces pièces qui resteront autant que le Lac, qui sont plus ardentes, et qui sont presque aussi pures. M. de Lamartine a le premier jugement superficiel en poésie; je me rappelle ses

premiers jugements sur Pétrarque, sur André Chénier. Dans la pièce à M. de Musset, il en est resté au Musset des chansons de la Marquise et de l'Andalouse. Il lui dit de ces choses qui sont assez peu agréables à entendre, quand c'est un autre que soi qui les dit. Dans la Confession d'un Enfant du siècle, et ailleurs en maint endroit, M. de Musset avait fait de ces aveux que la poésie en notre siècle autorise et dont elle se pare. M. de Lamartine les lui tourne en leçon; il se cite luimême pour exemple, et il finit, selon l'usage, par se proposer insensiblement pour modèle. Voilà à quoi l'on s'expose dans ces hommages adressés aux illustres dont on presse les traces. M. de Lamartine lui-même n'avait pas été si bien accueilli de lord Byron que M. de Musset semble le croire: Byron, dans ses Mémoires, ne parle de cette belle épître sur l'Homme, des premières Méditations, que très à la légère et comme de l'œuvre d'un quidam qui a jugé à propos de le comparer au démon et de l'appeler chantre d'enfer. En somme, ce n'est point à ces illustres devanciers qu'il faut demander d'être tout à fait justes et attentifs quand on est soi-même de leur race; ils sont trop pleins d'euxmêmes. Comment lord Byron eût-il accueilli, je vous prie, une avance du poëte Keats, de ce jeune aigle blessé qui tomba sitôt, et qu'il traite partout si cavalièrement, du haut de son dédain ou de sa pitié? Comment M. de Chateaubriand lui-même, qui garda si bien les dehors, jugeait-il dans le principe M. de Lamartine poëte, sinon comme un homme de grand talent et de mélodie, qui avait eu un succès de femmes et de salons? Poëtes, allez donc tout droit au public pour avoir votre brevet, et dans ce public à ceux qui sentent, dont l'esprit et le cœur sont disponibles, à la jeunesse, ou aux hommes qui étaient jeunes hier et qui sont mûrs au

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