Images de page
PDF
ePub

Cléante. Nous n'entrons point dans vos affaires. Harpagon. Plût à Dieu que je les eusse-les dix mille

écus.

Cléante. Je ne crois pas...

Harpagon. Ce serait une bonne affaire

pour moi.

Élise. Ce sont des choses...

Harpagon. J'en aurais bon besoin.

Cléante. Je pense que...

Harpagon. Cela m'accommoderait fort.

Élise. Vous êtes...

Harpagon. Et je ne me plaindrais pas, comme je fais, que le temps est misérable.1

Cléante. Mon Dieu! mon père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre, et l'on sait que vous avez assez de bien. Harpagon. Comment! j'ai assez de bien? Ceux qui le disent en ont menti. Il n'y a rien de plus faux; et ce sont des coquins qui font courir2 tous ces bruits-là. Élise. Ne vous mettez point en colère.

Harpagon. Cela est étrange, que mes propres enfants me trahissent et deviennent mes ennemis !

Cléante. Est-ce être votre ennemi, que de dire que vous avez du bien ?

Harpagon. Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles.3

Cléante. Quelle grande dépense est-ce que je fais ?

Harpagon. Quelle? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que vous promenez1 par la ville? Je querellais hier votre sœur; mais c'est encore pis. Voilà qui crie vengeance au ciel; et, à vous prendre de

1 these are hard times. 2 spread 3 made of gold. This may remind us of the lines of the celebrated fabulist Gay:

"He look'd and saw the miser's breast,

A troubled ocean, ne'er at rest," &c.

4 parade.

C

puis les pieds jusqu'à la tête, il y aurait là de quoi faire une bonne constitution.1 Je vous l'ai dit vingt fois, mon fils, toutes vos manières me déplaisent fort; vous donnez furieusement dans le marquis; et, pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.3

Cléante. Hé! comment vous dérober?

Harpagon. Que sais-je, moi? Où pouvez-vous donc prendre de quoi1 entretenir l'état que vous portez ?5

Cléante. Moi, mon père? c'est que je joue; et comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l'argent que je gagne.

Harpagon. C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin de le trouver un jour. Je voudrais bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds jusqu'à la tête, et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas pour attacher un haut-de-chausses. Il est bien nécessaire d'employer de l'argent à des perruques, lors. que l'on peut porter des cheveux de son crû, qui ne coûtent rien! Je vais gager qu'en perruques et rubans, il y a du moins vingt pistoles; et vingt pistoles rapportent par année dix-huit livres six sous huit deniers, à ne les placer qu'au denier douze.1o

Cléante. Vous avez raison.

Harpagon. Laissons cela, et parlons d'autres affaires. (Apercevant Cléante et Élise, qui se font des signes.) Hé! (Bas, à part.) Je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre de me voler ma bourse. (Haut.) Que veulent dire11 ces gestes-là ?

1 a good annuity.

2 you extravagantly affect.

3 you must certainly be robbing me. 4 the money.

5 to keep up the style of life which your dress indicates.

6 I spend in clothes.

7 decorated.

8 tagged points.

9 hair of one's own growth.

10 to put them out at nine per cent. 11 mean.

only.

Élise. Nous marchandons,1 mon frère et moi, à qui parlera le premier; et nous avons tous deux quelque chose à vous dire.

Harpagon. Et moi j'ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux.

Cléante. C'est de mariage, mon père, que nous désirons vous parler.

Harpagon. Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir.

Élise. Ah! mon père!

Harpagon. Pourquoi ce cri? Est-ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait peur ?

Cléante. Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous pouvez l'entendre, et nous craignons que nos sentiments ne soient pas d'accord avec votre choix.

Harpagon. Un peu de patience; ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à tous deux, et vous n'aurez, ni l'un ni l'autre, aucun lieu de vous plaindre de tout ce que je prétends faire; et, pour commencer par un bout,2 (à Cléante) avez-vous vu, dites moi, une jeune personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d'ici?

Cléante. Oui, mon père.

Harpagon. Et vous?

Élise. J'en ai ouï parler.

Harpagon. Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille? Cléante. Une fort charmante personne.

Harpagon. Sa physionomie?

Cléante. Toute honnête et pleine d'esprit.

Harpagon. Son air et sa manière ?

Cléante. Admirables, sans doute.

Harpagon. Ne croyez-vous pas qu'une fille comme cela mériterait assez que l'on songeât à elle?

we are hesitating.

2 begin at the right end.

Cléante. Oui, mon père.

Harpagon. Que ce serait un parti souhaitable ?1

Cléante. Très-souhaitable.

Harpagon. Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage ?2

Cléante. Sans doute.

Harpagon. Et qu'un mari aurait satisfaction avec elle ? Cléante. Assurément.

Harpagon. Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas avec elle tout le bien qu'on pourrait prétendre.

Cléante. Ah! mon père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question d'épouser une honnête personne. Harpagon. Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a dire, c'est que, si l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tâcher de regagner cela1 sur autre chose.

Cléante. Cela s'entend.

Harpagon. Enfin, je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments; car son maintien honnête et sa douceur m'ont gagné l'âme, et je suis résolu de l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien.5

Cléante. Euh?

Harpagon. Comment ?

Cléante. Vous êtes résolu, dites-vous...

Harpagon. D'épouser Mariane.

Cléante. Qui? vous, vous ?

Harpagon. Oui, moi, moi, moi.

Que veut dire cela ?

6

Cléante. Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je

me retire d'ici.

1 a desirable match.

2 of making a good housewife. 3 worth taking into consideration. Considérable is not used with this meaning now.

4 to make up for that.

5 provided I can get some money with her.

6 dizziness.

3

Harpagon. Cela ne sera rien. Allez vite, boire dans la cuisine un grand verre d'eau claire.

SCENE VI.

ARGUMENT TO SCENES VI. & VII.

Harpagon acquaints his daughter with his intention of marrying her brother to a widow, and herself to a wealthy gentleman just turned fifty. The young lady, not liking his choice, says she does not wish to marry. This pertness gives rise to a ludicrous dispute between the old miser and his daughter, till at last they agree to refer the matter to Valère, who is seen advancing. He, whose settled plan it is to humour Harpagon in everything, applauds his conduct before he has heard a word; but when he knows the fact that his Elise is to be the bride of Anselme, he changes his tone, and not wishing to make a direct opposition to the miser, he shrewdly questions the propriety of the match; but the miser's unanswerable argument is, "Without a dowry!" and Valère, thinking it impossible to get the better of it, with laughable irony admits its powerful ascendancy. The barking of a dog brings the question to an issue; for the miser, alarmed for his treasure, scampers away to assure himself of its safety.

HARPAGON, ÉLISE.

Harpagon. Voilà de mes damoiseaux fluets,1 qui n'ont non2 plus de vigueur que des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à ton frère, je lui destine une certaine veuve dont, ce matin,.on m'est venu parler; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme. Élise. Au seigneur Anselme ?

Harpagon. Oui; un homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans, et dont on vante les grands biens.

1 delicate fops.

2 This use of non is obsolete.

« PrécédentContinuer »