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Valère. Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie.

Élise. Mais on découvrira la feinte, si on appelle des médecins.

Valère. Vous moquez-vous? Y connaissent-ils quelque chose? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira; ils vous trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient.

SCENE IX.

HARPAGON, ÉLISE, VALÈRE.

Harpagon (à part, dans le fond du théâtre). Ce n'est rien, Dieu merci!

Valère (sans voir Harpagon). Enfin, notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout; et, si votre amour, belle Élise, est capable d'une fermeté... (apercevant Harpagon.) Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un mari est fait;1 et, lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne.

Harpagon. Bon; voilà bien parlé, cela!

Valère. Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.

Harpagon. Comment! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un pouvoir absolu. (A Élise.) Oui, tu as beau fuir; je lui donne l'autorité que le ciel me donne sur toi, et j'entends2 que tu fasses tout ce qu'il te dira.

1 the appearance of a husband: comme for comment, as frequently in

Molière; vide act iii. sc. 5, &c.
2 I mean.

Valère (à Élise). Après cela, résistez à mes remon

trances.

SCENE X.

HARPAGON, VALÈRE.

Valère. Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisais.

Harpagon. Oui; tu m'obligeras. Certes.

Valère. Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.1 Harpagon. Cela est vrai. Il faut...

Valère. Ne vous mettez pas en peine. Je crois que j'en viendrai à bout.2

Harpagon. Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l'heure.

Valère (adressant la parole à Élise, en s'en allant du côté par où elle est sortie). Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre grâce au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là dedans; et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probité.

Harpagon. Ah! le brave garçon! voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut avoir un domestique de la sorte! 3

1 to keep a tightish rein over her.

2 shall succeed. 3 such as he.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCÈNE I.

ARGUMENT.

La Flèche, who was treated so rudely by the miser in the last act, acquaints his master, Cléante, with the result of his negotiation for a loan. The money-broker to whom he has applied is very willing to oblige Cleante, but at an exorbitant interest, and on very severe conditions. However, the extreme avarice of the father compels the son to listen to any terms whatever.

CLEANTE, LA FLÈCHE.

Cléante. Ah! traître que tu es! où l'es-tu donc allé fourrer? Ne t'avais-je pas donné ordre...

La Flèche. Oui, monsieur; je m'étais rendu ici pour vous attendre, de pied ferme ;2 mais monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a chassé dehors malgré moi, et j'ai couru risque d'être battu.

Cléante. Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais; depuis que je t'ai vu j'ai découvert que mon père est mon rival.

La Flèche. Votre père amoureux ?

Cléante. Oui, et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où cette nouvelle m'a mis.

La Flèche. Lui, se mêler3 d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bátis comme lui ? 4

1 where on earth have you been?
2 resolutely.

3 meddle in.

4 of his stamp.

Cléante. Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête.

La Flèche. Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour?

Cléante. Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver, au besoin, des ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage.1 Quelle réponse t'a-t-on faite ?

La Flèche. Ma foi, monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux; et il faut essuyer d'étranges choses, lorsqu'on est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-mathieu.2

Cléante. L'affaire ne se fera point ?

La Flèche. Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier3 qu'on nous a donné, homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et il assure que votre seule physionomie lui a gagné le cœur.

4

Cléante. J'aurai les quinze mille francs que je demande ?

La Flèche. Oui, mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.

Cléante. T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent?

La Flèche. Ah! vraiment, cela ne va pas de la sorte.5 Il apporte encore plus de soin à se cacher que vous, et ce

1 to break off this match.

2 fesse-mathieu. A familiar and scornful name bestowed upon a usurer. "Avant sa conversion, St. Mathieu était banquier-sedebat in telonio. La malignité attribue aux banquiers des prêts usuraires; de là St. Mathieu est regardé comme le patron des usuriers. Fêter St. Mathieu' est donc synonyme de prêter à usure; mais, au lieu de fêter, on a d'abord écrit fester: entre st and ss, liés

ensemble, la différence est peu sensible; plus d'un lecteur, par conséquent, a dit, fesse-Mathieu pour feste-Mathieu; et de cette méprise est résulté un sobriquet. Nous n'ignorons pas que la plupart des étymologistes trouvent dans fesse-mathieu, face de Mathieu, mine d'usurier."De la Mésangère, Dict. de Prov.

3 broker.

4 that he has strained every nerve. 5 is not done in that way.

sont des mystères bien plus grands que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom; et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous1 dans une maison empruntée, pour être instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille; et je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses faciles.

Cléante. Et principalement ma mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le bien.

La Flèche. Voci quelques articles qu'il a dictés luimême à notre entremetteur, pour vous être montrés avant que de rien faire:

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Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que l'emprunteur soit majeur,3 et d'une famille où le bien soit ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras,* on fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire, le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui, pour cet effet, sera choisi par le prêteur, auquel il importe le plus que l'acte soit dûment dressé.” 5

Cléante. Il n'y a rien à dire à cela.

La Flèche. "Le prêteur, pour ne charger sa conscience d'aucun scrupule, prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit." &

Cléante. Au denier dix-huit ? Parbleu! voilà qui est honnête. Il n'y a pas lieu de se plaindre.

La Flèche. Cela est vrai.

"Mais comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il est question, et que, pour faire plaisir à l'emprunteur, il est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre sur le pied du denier cinq,' il conviendra que ledit premier emprunteur paye cet intérêt, sans préjudice du reste,

1 to introduce him to you.

2 for de qui; as in Mis. ii. 7; Mal. Im. ii. 1.

3 of age.

4 encumbrance.

5 drawn up.

6 but at five and a half per cent. 7 at the rate of twenty per cent.

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