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Les

La scène représente la terrasse dont la description a été donnée précédemment. C'est le matin. La lumière est vive et claire. choses ont l'apparence éclatante de l'été.

Au moment où le rideau se lève, Alceste vient d'apprendre du valet qui est en service à la porte, sous la voûte, et dont l'emploi pourrait être tenu par

Basque, que Célimène est absente. On voit Basque rentrer dans la maison et Alceste expliquer d'un geste qu'il attendra sur la terrasse. En même temps, il avance vers l'avant-scène. Philinte, qui était demeuré en arrière, a rejoint Alceste à l'instant précis où celui-ci a marqué son intention de se diriger vers le dehors. Il le suit de près, essayant de le gagner de vitesse. Alceste entre en scène, pousse la grille, sans paraître se soucier de la poursuite de son ami. Arrivés tous deux auprès de la table de pierre, Philinte, qui se trouve maintenant assez près d'Alceste pour lui parler avec la chaleur qui convient, s'écrie:

SCÈNE PREMIÈRE

PHILINTE, ALCESTE

PHILINTE

Qu'est-ce donc? Qu'avez-vous?

ALCESTE

Laissez-moi, je vous prie.

PHILINTE

Mais encor, dites-moi quelle bizarrerie...

ALCESTE

Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.

PHILINTE

Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher.

ALCESTE

5. Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.

PHILINTE

Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre,
Et quoique amis, enfin, je suis tout des premiers...

ALCESTE

Moi, votre ami? Rayez cela de vos papiers.
J'ai fait jusques ici profession de l'être;

10. Mais après ce qu'en vous je viens de voir paroître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

PHILINTE

Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte?

ALCESTE

Allez, vous devriez mourir de pure honte; 15. Une telle action ne sauroit s'excuser,

Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser. Je vous vois accabler un homme de caresses, Et témoigner pour lui les dernières tendresses; De protestations, d'offres et de serments, 20. Vous chargez la fureur de vos embrassements; Et quand je vous demande après quel est cet homme, A peine pouvez-vous dire comme il se nomme; Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant, Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent. 25. Morbleu! c'est une chose indigne, lâche, infâme, De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son âme; Et si, par un malheur, j'en avois fait autant, Je m'irois, de regret, pendre tout à l'instant.

PHILINTE

Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable, 30. Et je vous supplierai d'avoir pour agréable

Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt,
Et ne me pende pas pour cela, s'il vous plaît.

ALCESTE

Que la plaisanterie est de mauvaise grâce!

PHILINTE

Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse?

ALCESTE

35. Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

PHILINTE

Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie,
Il faut bien le payer de la même monnoie,

Répondre, comme on peut, à ses empressements, 40. Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.

ALCESTE

Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
45. Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,

Qui de civilités avec tous font combat,

Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.
Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
50. Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,

Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant?
Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée;

55. Et la plus glorieuse a des régals peu chers,

Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers :

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