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Mais vous trouverez bon que j'en puisse avoir d'autres, 420. Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres.

ORONTE

Il me suffit de voir

que

d'autres en font cas.

ALCESTE

C'est qu'ils ont l'art de feindre; et moi, je ne l'ai pas.

ORONTE

Croyez-vous donc avoir tant d'esprit en partage?

ALCESTE

Si je louois vos vers, j'en aurois davantage.

ORONTE

425. Je me passerai bien que vous les approuviez.

ALCESTE

Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en

passiez.

ORONTE

Je voudrois bien, pour voir, que, de votre manière,
Vous en composassiez sur la même matière.

ALCESTE

J'en pourrois, par malheur, faire d'aussi méchants; 430. Mais je me garderois de les montrer aux gens.

ORONTE

Vous me parlez bien ferme, et cette suffisance...

ALCESTE

Autre part que chez moi cherchez qui vous encense.

ORONTE

Mais, mon petit Monsieur, prenez-le un peu moins haut.

ALCESTE

Ma foi! mon grand Monsieur, je le prends comme il faut.

PHILINTE, se mettant entre-deux.

435. Eh! Messieurs, c'en est trop laissez cela, de grâce.

ORONTE

Ah! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place.
Je suis votre valet, Monsieur, de tout mon cœur.

ALCESTE

Et moi, je suis, Monsieur, votre humble serviteur.

Cette scène, plus accessible au public, moins sérieuse que la première, n'exige pas des interprètes un moindre effort. Les rires, les applaudissements soutiennent sans doute et échauffent le jeu. Mais le danger est précisément qu'ils ne fassent perdre aux acteurs le sens de la sobriété et de la mesure. On leur impose en effet une tâche difficile à chacun de ces vers sont accrochés une tradition, une intonation, un geste de Baron, de Bellecourt, de Grandval, de Molé, de Lafon, de Geffroy, de Delaunay, de beaucoup d'autres; chaque tirade éveille mille souvenirs d'école ; et c'est avec un tel texte, qu'on pourrait croire usé par les générations qui l'ont récité et entendu, qu'on demande aux artistes de s'abstraire du passé, de jouer avec originalité et fraîcheur comme si leur mémoire venait à peine de recevoir le dépôt de ce chef-d'œuvre! L'entreprise n'est point aisée, surtout dans ces passages brillants que, depuis tant d'années, on a l'habitude de lancer au public sans aucun souci des autres personnages. Alceste parle à peine à Oronte dans la mise en scène actuelle. C'est à la salle qu'il s'adresse, principalement dans la seconde déclamation de la chanson, et la salle lui répond en général par des applaudissements. On saisit ici sur le vif le vice de la représentation classique : elle dégénère en une récitation, elle apparaît comme un assemblage de morceaux à effet. L'œuvre dramatique a disparu.

Les mouvements des personnages demeureront,

ici encore, abandonnés à l'ingéniosité du metteur en scène, pourvu que la recherche en soit conditionnée par le souci du vrai. Il s'y doit mêler une autre préoccupation à peine analysable et presque trop subtile pour être exprimée : l'incident du sonnet recouvre et symbolise d'autres révoltes, d'autres indignations auxquelles l'auteur a sans doute pensé sans les exprimer et qu'un public affiné doit sentir courir mystérieusement sous le texte. Un certain accent de mélancolie, dans la chanson, mélancolie qui n'en amoindrirait pas l'enthousiasme, suggérerait peutêtre au spectateur qu'Alceste, en critiquant le sonnet, pense à cent choses qui

pourraient mieux aller prenant un autre cours.

pos

L'interprétation d'Oronte risque fréquemment de tomber dans la charge; pour s'en préserver, le plus simple est sans doute de demeurer invariablement obsédé par le désir de représenter, non ce que la térité a arbitrairement surajouté au texte, mais ce que Molière a écrit, à savoir la scène suivante : Sur un perron attenant à une demeure somptueuse, au milieu du dix-septième siècle, deux jeunes seigneurs attendent l'arrivée d'une jeune femme; un bel esprit, qui les rejoint, soumet un sonnet de sa composition à l'approbation de l'un d'eux. Cette aride donnée, qui est devenue la merveille que l'on sait, mérite de n'être point perdue de vue pour que l'interprétation soit constamment maintenue dans le réel, évite de

verser dans la fantaisie et de tirer hors de l'action un épisode qui n'en doit pas être distrait. Jusqu'à la querelle de la fin, on imaginerait volontiers, après les salutations et les réticences d'Alceste, un groupement des personnages assis. N'oublions pas que deux d'entre eux attendent et que la lecture du sonnet vient simplement interrompre leur attente: il ne faut donc pas, parce qu'un fâcheux vient les importuner, qu'ils modifient leurs attitudes, une fois les devoirs de courtoisie rendus. Ce n'est qu'après la dispute des vers 417-438 qu'Alceste, égaré par la colère, oublie qu'il est là pour attendre Célimène et paraît changer de dessein, ou perdre patience. Oronte se retire par où il est venu, la grille, la voûte et la cour.

SCÈNE III

PHILINTE, ALCESTE

PHILINTE

Hé bien! vous le voyez pour être trop sincère, 440. Vous voilà sur les bras une fâcheuse affaire; Et j'ai bien vu qu'Oronte, afin d'être flatté......

Ne me parlez pas.

ALCESTE

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