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Royal. Encore que fort délabré, cet édifice se recommandait aux nouveaux venus par son caractère spécial. C'était à Paris la seule salle de spectacle qui eût été construite à cette fin. Sauval (1) la situe à l'angle de la rue de Valois et en estime la contenance à 3 ou 4000 personnes. Mais l'espace dut sans doute être réduit, car jamais le nombre des spectateurs n'atteignit même la moitié ou le tiers de ces chiffres. Le parterre occupait le rez-de-chaussée, il comptait neuf toises sur dix; aux deux étages, régnaient deux balcons dorés de forme demi-circulaire qui venaient se terminer à la scène. Quelle apparence offrait la salle? Nous ne pouvons le savoir que par comparaison. Pour s'en faire une idée approximative, on peut se référer à la gravure de Coypel de 1726 (2) représentant la Comédie-Française au moment où le rideau allait se lever deux lustres de dix à douze bougies descendent du cintre et reposent à l'avant-scène à droite et à gauche de l'endroit où se trouve aujourd'hui le souffleur (3). Ces lustres allaient être levés dès le commencement du spectacle. Le parterre est sans bancs, naturellement, on s'y tient debout. Une grille le sépare de la scène et sert à contenir les spectateurs aux jours d'affluence. La scène, fort petite, a quinze pieds à la rampe et onze au fond. Une balustrade l'encercle; elle marque la place réservée aux

(1) Antiquités de Paris, t. II, p. 161, et t. III, p. 47.

(2) Bibl. nationale, Estampes, Db 7, fol. 77

(3) Qui n'était pas là, à cette époque; on soufflait de la coulisse.

privilégiés; cette balustrade n'existait certainement pas en 1666. Elle date probablement de 1692, car on en trouve alors la mention dans une pièce de Regnard et Dufresny, les Chinois. Au reste, avec ou sans balustrade, le public installé sur la scène empêchait les entrées et les sorties par les côtés : toutes devaient se faire par le fond, et la décoration, par ce fait même, se trouvait réduite à la toile de fond. Comme le dit fort justement M. Despois (1), « l'action théâtrale devait se borner à une conversation sous deux lustres ». On arrive à deviner ce que pouvait être l'installation de Molière au Palais-Royal en contemplant la pauvreté, l'inconfort, l'organisation rudimentaire et primitive du premier théâtre de France en 1726, c'est-à-dire soixante ans plus tard que la première du Misanthrope. Si l'on songe aux moyens modestes de Molière en ce temps-là, comparés à la richesse des comédiens du roi en 1726 et aux améliorations qu'ils avaient certainement dû apporter aux aménagements anciens (2), on n'a pas de peine à se représenter l'indigence et l'incommodité du local où Molière vécut ses dernières et ses plus glorieuses années.

(1) Le théâtre sous Louis XIV, Paris, Hachette, 1894, p. 128. (2) Perrault déclare déjà, en 1682, que le théâtre est arrivé au plus haut point de perfection et il ajoute avec candeur : « Les pièces dramatiques ont eu presque toujours quelque ressemblance et quelque proportion avec le théâtre sur lequel elles ont été représentées. » Or, on en était alors aux pièces de l'abbé Abeille et de Campistron! (Parallèle des anciens et des modernes, 1682, t. III, p. 191, sqq.)

Cette salle qu'on parvient à imaginer, bien qu'assez sommairement, est encore vide. Accompagnons le public qui y pénètre. Comment était-il informé que le 4 juin un spectacle nouveau l'attendait? D'abord, par l'annonce qu'on jouerait au double ». Les troupes avaient coutume, pour les ouvrages nouveaux, de doubler le prix des places et c'est ce qu'on traduisait par cette formule. Au titre de la pièce et au nom de l'auteur qui justifiaient cette augmentation, on joignait parfois une petite analyse imprimée, affichée ou distribuée, qui avait pour but d'engager le public à venir. Mais cette pratique semblait surtout répandue en province (1). Le jour venu (2), une affiche verte (3) indique qu'une pièce nouvelle de M. « de » Molière sera représentée : quelques éloges ont été, selon la formule habituelle, rédigés par « l'orateur » de la compagnie on y prête peu d'attention, car les termes en changent à peine, d'une pièce à l'autre. Ce 4 juin est un vendredi. Les premières avaient toujours lieu le vendredi, de façon que le public pût se porter en foule au théâtre le dimanche suivant. Le registre de Lagrange atteste

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(1) Voir le curieux programme-annonce de Don Juan reproduit dans le cinquième volume de l'édition de Molière des Grands Écrivains de la France. Paris, Hachette, 1880, p. 256.

(2) Il faut remarquer que c'est un jour d'été. L'hiver, saison des fructueuses recettes, était réservé à la tragédie, et l'été à la comédie, genre moins estimé. Toutefois, Molière, ne jouant presque que ses œuvres, n'observait cette règle qu'à moitié.

(3) Les affiches étaient vertes chez Molière et rouges à l'Hôtel de Bourgogne. Elles ne portent que le nom de l'auteur. Celui des acteurs n'apparaîtra qu'en 1789.

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