Images de page
PDF
ePub
[graphic][subsumed][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][subsumed][merged small][merged small][ocr errors]

auquel Molière est nécessairement étranger (1). Voilà, en effet, l'argument dont les traditionnalistes font principalement état. On affecte de s'indigner que, sous couleur de fidélité à Molière, on entreprenne un travail qu'il n'eût pas approuvé. Qu'en sait-on? Pourquoi l'intention de transformer Alceste, Célimène, Tartuffe, en étres vivants et agissants auraitelle été blâmée par Molière? Puisqu'il est avéré que Molière ne peut être représenté aujourd'hui comme il le fut à l'origine, représentons-le en prenant pour guides les indications de l'histoire sur la société qu'il dépeint. Une si simple attitude ne recueillera guère que des railleries on conviendra de l'impossibilité ou de l'inutilité d'une reconstitution des spectacles du Petit-Bourbon ou du Palais-Royal. « Ce n'est pas une raison, ajoutera-t-on, pour imposer à Molière des règles nouvelles; elles n'eussent pas rencontré son approbation. Deux siècles et demi ont créé autour de ses œuvres un ensemble de traditions vénérables. On n'y peut toucher sans sacrilège L'ancienneté de ces traditions n'est pas contestée et personne ne leur marchande le respect. Mais ancienneté et authenticité font deux. Les décors où se jouent les grandes comédies classiques ne datent pas du dix-septième siècle. C'est un fait. On en pourrait rechercher l'origine : aucun ne remonterait au delà

[ocr errors]

(1) De même, les grands musiciens classiques ne pouvaient imaginer l'effet produit par leurs œuvres sur des pianos modernes au lieu des épinettes ou clavecins grinçants auxquels ils les destinaient.

de 1760 ou 1780. Notre déférence à leur endroit se trouve déjà diminuée. De plus, ils constituent un insurmontable obstacle à la juste réalisation scénique des chefs-d'œuvre, ils en contredisent parfois effrontément le texte (1) et, ne représentant rien d'autre que du bois peint et mal peint, ne procurent aucune illusion. Rien n'empêche de les respecter, comme on respecte une vieille curiosité; tout conseille de n'en plus faire usage. En fait de mise en scène des classiques, le temps qui s'est écoulé depuis 1666 jusqu'à nos jours ne nous a apporté pratiquement presque aucun enseignement on ne s'est jamais attaché à l'idée d'une reconstitution historique,

ce qui eût

été, sinon heureux, au moins logique; on a timidement essayé de créer un cadre vraisemblable au Misanthrope et le résultat a été plus piteux encore que l'effort n'avait été timide. Il en est sorti une sorte de vaste salon inhabité et froid (2); la comédie y est aussi mal à l'aise que devant le parterre du PalaisRoyal. Puisqu'on ne voulait plus du décor primitif, cette demi-transformation ne s'explique point: pourquoi s'affranchir des gênes du dix-septième siècle si c'est pour en imaginer de pires? Pourquoi chasser les marquis, souffler les chandelles, supprimer la

(1) Voir Tartuffe, édition du Théâtre, Paris, Ollendorff, 1909, p. 20. (2) On a voulu, en ces tout derniers temps, le remplacer par la pièce de réception de l'hôtel Lauzun. Cette modification fort intéressante, due à l'éminent moliériste qu'est M. Truffier, attestait le besoin de réforme qui agitait confusément les esprits. Il ne semble pas qu'elle ait été appliquée avec la vigueur et l'ampleur nécessaires.

toile de fond, si ce n'est pas pour sortir du convenu et pour entrer résolument dans le réel? Et c'est dans le réel, en effet, qu'était la simple, la limpide vérité : Alceste et Célimène appartiennent à une certaine classe informons-nous des manières de vivre de leurs semblables et reproduisons-les. « Mais rien,

[ocr errors]

dans le passé, ne vous autorise à une telle liberté. » — Peut-être; mais un tel passé, pour le but qui nous préoccupe, ne compte pas; on ne saurait trouver des indications relatives à la mise en scène, là où, par principe, on s'abstenait d'y songer. » Le théâtre classique, enfermé un jour par des sots dans les coffres de chêne où se conservent les trésors qu'on ne regarde jamais, devait y demeurer. Était hérétique qui parlait de lui ouvrir la porte; il était reçu, il était entendu que cette prison lui convenait. Le contester manquait de tact. On a cessé aujourd'hui de s'incliner devant de tels articles de foi; on a souri des anathèmes et perdu la crainte des geôles. Rendu à la liberté et au grand air, un chef-d'œuvre dramatique ne se préoccupera donc pas, pour continuer son existence, de se régler sur ses années de captivité. Il les oublie, il en fait table rase, et trouve en lui-même ses raisons de vivre. Le reste est sans intérêt ni importance.

La première autorité, celle qui doit faire plier toutes les résistances, c'est celle de Molière. Il semble qu'il soit à peine besoin d'énoncer un pareil truisme. L'examen du texte montre, hélas, que

« PrécédentContinuer »