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en prison où il n'est pas à sa place. Les mendiants, les vagabonds et certaines catégories d'alcooliques pourraient avoir des quartiers spéciaux dans les prisons. Là, le règlement ferait ce que leur volonté n'a pu faire : il les forcerait à travailler. Au lieu de les abrutir par une discipline de fer qui n'a pas sa raison d'être avec eux, on les habituerait au travail, punissant et soumettant aux privations les plus dures ceux qui s'abandonneraient à leur paresse naturelle. Tout vagabond, tout alcoolique devrait fournir une somme de travail suffisante pour pourvoir à son entretien; ce qu'il gagnerait en plus lui serait versé et il pourrait en disposer comme il l'entendrait pour son plus grand bien-être. Lorsqu'un individu aurait ainsi donné, à la prison, des preuves de courage et d'amour du travail, il serait rendu à la liberté et un patronage ou toute autre institution similaire se chargerait de lui procurer du travail. Une nouvelle arrestation amènerait un séjour plus prolongé à l'atelier-prison jusqu'à ce qu'enfin il ait encouru un nombre suffisant de condamnations pour être déporté.

Appliquée avec discernement, notre loi de sursis a du bon. Elle permet aux individus qui ne sont pas foncièrement mauvais, de se reprendre et de s'amender. Quant aux crimes de violence, ils méritent peu de pitié. Il n'y a rien à espérer d'un individu qui par la récidive s'est engagé dans cette voie. Il est éminemment dangereux pour la société qui, à la deuxième condamnation, devrait impitoyablement l'éliminer et pour toujours, par la déportation ou la relégation. Au contraire, si elle le conserve dans son sein, il devient un agent de dissolution non moins dangereux.

Il faudrait aussi réprimer plus vigoureusement la criminalité infantile. L'enfant criminel est particulièrement dangereux. Mais, pour être efficace, il faudrait que la répression s'étende aux parents eux-mêmes. Aux États-Unis, onze États ont déjà adopté des lois rendant les parents négligents passibles non seulement de simples dommages-intérêts, mais aussi d'amende ou de prison. Il est certain que beaucoup de délits d'enfants sont dus à la négligence ou à la complicité des parents. Les nouvelles lois américaines frappent ces familles coupables. Dans le Colorado, on- applique notre loi

de sursis aux parents reconnus coupables de négligence : ils sont condamnés à une peine conditionnelle qui ne devient exécutoire que si l'enfant commet un nouveau délit. Si un enfant mal surveillé a commis un vol, ses parents sont condamnés à cent francs d'amende, dont dix francs seulement doivent être payés immédiatement; le solde ne sera réclamé que si l'enfant se rend de nouveau coupable (1).

La prison, sauf pour les faibles d'esprit et de volonté, devrait toujours être cellulaire. Seule la cellule est efficace : elle mate les criminels les plus violents et les plus redoutables.

Néanmoins j'ai vu quelques natures révoltées que la cellule ne suffisait pas à abattre. Le cachot même était impuissant. Et cependant le cachot est un supplice terrible. Passer de longues journées dans une cellule sans lumière, sans feu, presque sans air, où l'on reçoit pour toute nourriture une cruche d'eau et un pain grossier! Ceux qui se redressent invaincus et menaçants au milieu de ces ténèbres, sont généralement des fous moraux. Pour changer ces brutes, il faudrail tuer les instincts et les passions qui hurlent dans leurs entrailles. Chercher à les séduire par de bonnes paroles, c'est frapper un caillou stérile dont ne jaillira jamais la divine étincelle, c'est leur parler une langue inconnue et qu'ils ne comprendront jamais. On pourra peut-être apprendre à un aveugle à marcher seul ; mais jamais on ne pourra lui donner l'idée des couleurs, lui faire sentir la douceur des aurores, la splendeur des soleils couchants. On pourra peut-être apprendre à un sourd à articuler des sons, mais jamais on ne pourra lui donner la sensation de la mélodie et du rythme. Jamais non plus on ne pourra faire sentir le bien à un fou moral ou à un criminel-né. La nuit pèse sur ces consciences: aucune parole ne saurait y faire la lumière. La douleur physique seule les impressionne. Pour que le châtiment physique soit efficace, il faut qu'il les atteigne dans leurs organes physiques. La privation de l'alcool et du tabac sont déjà d'excellents agents de répression. Plus d'un criminel dangereux

(1) Voir E. JULHIET. Tribunaux spéciaux pour enfants.

m'a dit : « Je ne me ferai jamais repincer; j'ai trop souffert d'être privé de tabac. » Je crois cependant qu'il faudrait plus. La bastonnade, par exemple, est un supplice que redoutent les plus audacieux. Après, il ne reste plus que le gibet ou l'échafaud.

III. LA PEINE DE MORT.

On tuela bête féroce que l'on ne parvient pas à museler. C'est là ce qui légitime la peine de mort. On a proposé de la supprimer. Par quoi la remplacera-t-on? Il faudra bien trouver une pénalité plus rigoureuse que celle des travaux forcés. On a proposé l'internement perpétuel. Cet internement se décomposerait en deux périodes. Pendant une durée de six années, le condamné serait d'abord soumis à l'encellulement. Il serait ensuite enfermé à vie dans une maison de force spéciale où on l'astreindrait au travail de jour en commun avec les condamnés de la même catégorie et à l'encellulement la nuit. A quoi bon ce raffinement de cruauté qui n'aura que l'avantage de mettre pendant de longues années le condamné à la charge de la société ? La peine de mort est plus humanitaire et plus économique. Un exemple. On exécutait, il y a quelques années, à La Nouvelle, un forçat qui avait cinq ou six assassinats sur la conscience. Avant de monter sur l'échafaud, il s'adressa au bourreau : « Vous venez trop tard, lui dit-il. A quoi bon maintenant ? Il ne fallait pasme grâcier la première fois ; si vous m'aviez raccourci tout de suite, vous m'auriez guéri radicalement de mon vice et je n'aurais plus tué. »

La déportation, si sévère soit-elle, ne remplit pas non plus complètement le but. « Un homme ne peut être absolument privé de la vie sociale que par la mort, dit Garofalo; transporté sur une plage entièrement déserte, dans les sables du Sahara ou au milieu des glaces polaires, il y périra infailliblement; s'il y rencontre d'autres êtres humains, il jouira d'une vie sociale, si rudimentaire qu'elle soit. D'ailleurs, puisque le but de l'homme est la vie sociale, à quoi bon lui conserver l'existence physique, s'il ne doit jamais reprendre sa place dans la société ? » Rien de plus juste.

LE CRIMINEL

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Servin (1) a proposé de remplacer la peine de mort par la castration. La peine de mort, dit-il, supprime un individu dangereux et un reproducteur taré. On pourrait agir moins brutalement et obtenir un meilleur résultat en faisant des criminels des eunuques au lieu de les décapiter. Cruauté inu-tile et inefficace, à mon avis.

Non, la peine de mort vaut mieux. Quand votre chien que vous aimez devient enragé, vous le tuez, quoique cet actecruel vous coûte. Mais vous le tuez pour vous mettre à l'abri de ses morsures et lui épargner d'inutiles souffrances. Et puis, tout autour de vous, la nature, sur une immense échelle, en ses hécatombes de faibles et de vaincus, par ses intempéries, ses famines, par la griffe et la dent de ses carnassiers qui lui servent de bourreaux, applique la peine de mort. Tue-les! dit. la nature à la société. Tue-les! dit le passé de l'humanité au présent par les cent voix de l'histoire.

Mais si on les tue, qu'on les tue proprement.

Il faut absolument supprimer les scènes scandaleuses qui se produisent à toutes les exécutions. « Le spectacle de la foule grouillant autour de la guillotine, dit A. Bérard (2), est. triste et douloureux. C'est le refuge, en une orgie odieusement joyeuse, de tout ce qui, dans la cité où l'exécution s'accomplit, est vicieux, criminel, immonde, les filles publiques, les noceurs, les souteneurs, les viveurs portant le gardénia à la boutonnière et leurs dignes comparses, les pâles voyous portant sur la tête une sale et professionnelle casquette. » Tous les gens sérieux et raisonnables qui ont assisté à une exécution capitale ont été écœurés et leurs protestations sont unanimes.

« Il faut, dit A. Guillot (3), ou bien en revenir aux cérémonies du moyen âge qui ne manquaient pas de grandeur,au cortège du supplice avec les pénitents récitant les prières des morts, au costume rouge du bourreau, à une mise en scène

(1) Archives de l'Anthropologie criminelle, 1901.

(2) La publicité des exécutions capitales. Archives de l'Anthropologiecriminelle, 1894.

(3) Les prisons de Paris.

qui frappait les imaginations populaires, ou bien alors supprimer cette publicité moderne, mesquine, honteuse d'ellemême, qui ne sert qu'à satisfaire les mauvais instincts des foules. »

L'exécution à huis-clos, dans la cour de la prison, en présence d'une douzaine de témoins recrutés de la même manière que les jurés, serait plus digne et plus morale. Et puis il faudrait renoncer au système de la guillotine, à cette mutilation horrible de la personne humaine. Plusieurs fois, aux lueurs troubles d'un pâle matin, j'ai vu s'avancer, pâle et défait, décolleté comme une danseuse, ligoté et ficelé, le condamné s'en allant recevoir le baiser de la rouge fiancée. Oh! cette face pâle et exsangue sous l'œil blanc du matin'! Et, une minute après, en face de ce cadavre sans tête, aux artères béantes, et qui roule dans le panier, on est pris d'un immense dégoût, en même temps qu'une immense miséricorde vous vient pour le coupable. Si, comme au jour du cirque, il suffisait de lever un doigt pour le sauver de la mort, aucun ne serait exécuté. Quelque atroce que soit son crime, en cette minute solennelle, il n'y aurait plus place que pour la pitié.

La corde ou l'électrocution pourraient remplacer le couperet. Ce serait moins répugnant et tout aussi efficace.

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