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avoir fait une bonne affaire. Mais tous les soirs je te trouve grise et sans argent. Je vas te donner un coup.

<< Pour travaille le soirà la Pépiniere, pour vingt sous je t'achète un petit panier; je t'apprends comment on peut dévaliser un imbécile. Je te mène où on trouve des hommes. Pendant ce temps-là,- faut-il que je sois bonnasse! -comptant sur toi, je quitte mon travail: tu me fais attendre, il ne me reste plus qu'une chemise.

Quelques poètes ont recueilli l'argot et l'ont mis en vers. Témoin Villon et Mathurin Régnier parmi les vieux, A. Gill, J. Richepin, A. Bruant et autres parmi les contemporains. C'est une tendance littéraire curieuse à étudier (1). Voici une étrange poésie recueillie dans un cabaret de Mont

martre.

SCÈNE DE MÉNAGE

Enfin ! te v'là, toi, p'tit'salope!
Tu m'fais poiroter d'puis minuit...
Rouspett'pas! ou sinon t'écoppe!
Tu viens d'vadrouiller, sale outil !

Défring'-toi, pass'-moi la galette (1)!
T'as dû faire des michés sérieux (2).........
Tu voudrais pas t'offrir ma tête (3)
Rien qu'pour l'amour de tes beaux yeux.

Eh bien! qué qu't'as à faire la gueule?
Tu m'connais..... faut pas m'emmerder!
Si tu prends des airs de bégueule,
Gare à ta peau!..... J'te vas bomber (4)!

A la bonne heure, tu t'déshabilles.....
T'es bath! va. J'te gobe (5), mon trognon,
C'est cor toi qu'es la pus gentille;
Aboule un p'tit peu c'beau poignon (6).

(1) Voir ÉMILE LAURENT. La poésie décadente devant la science psychiatrique.

(1) Déshabille-toi. Passe-moi l'argent. (2) Tu as dû aller avec des hommes payant bien. (3) Tu ne voudrais pas te moquer de moi. (4) Je vais te frapper. (5) Tu es gentille. Je t'aime. (6) Donne un peu l'ar

Quarant' ronds (7)! mais tu t'fous d'ma fiole (8);
Tu t'as fait poser un lapin (9) ?
Réponds donc, eh! boîte à vérole;
Tu t'auras offert un béguin (10) !

Tu sais, Nini, faut pas m'la faire (11);
Moi, j'suis pas comme mon p'tit frangin (12),
Tu n'te payeras pas ma caf'tière (13).....
J'veux pas d'un' feignant', qui fout rien.

Mais réponds donc, eh! sal' punaise!
Ah! chiall' pas (14)! ou j'te crève la peau...........
A qui qu't'as r'passé c'te bell' braise (15) ?
Tiens (*)..... Mais réponds-moi donc, chameau!

Réponds-moi, t'entends, ou j't'assomme!
- Alphonse, j't'en prie, écout'-moi!

<< Tu m'as mouchée (16), tu sais, p'tit homme;
« J'vais t'dir' le fin mot du pourquoi :

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Avant la découverte du papyrus et des roseaux, les peuples très anciens écrivaient leur histoire sur les murailles de leurs édifices. Les obélisques se constellaient d'hiéroglyphes mystérieux, où les savants ont pu découvrir les secrets de l'antiquité. On écrivait sur les murailles du temple les hymnes en

gent. (7) Quarante sous. (8) Tu te moques de moi. (9) Tu es allée avec un homme qui ne t'a rien donné. (10) Tu es allée pour rien avec un homme qui te plaisait. (11) On ne me trompe pas. (12) Mon frère. (13) Tu ne te moqueras pas de moi." (14) Ne crie pas. (15) A qui as-tudonné l'argent? (16) Tu m'as battue.

(*) Il lui fout un pain (Note du poète

l'honneur de la divinité qu'il renfermait. Au fronton, on gravait le nom d'un grand homme qui avait sauvé la patrie; audessous on disait ses vertus et les services qu'il avait rendus; sur le fût de la colonne rostrale, sur les architraves des arcs de triomphe, on inscrivait les dates des grandes batailles avec les noms de ceux qui étaient morts pour la patrie. Et ainsi l'histoire d'un peuple restait gravée sur ces pierres jusqu'à ce qu'un jour un savant vienne les exhumer de la poussière des ruines et les mettre au jour en les expliquant.

Cette espèce de littérature murale existe aussi chez les criminels (1). On n'a qu'à examiner les murs d'une prison. Les bergers de Virgile et de Florian gravaient des noms entrelacés sur l'écorce des bouleaux. Le criminel qui passe en prison, éprouve, lui aussi, le besoin de dire son chagrin ou sa haine; le mur de sa cellule alors lui servira de tablettes et il y gravera une pensée triste ou cruelle, cynique ou haineuse. Celui qui viendra après saura qu'un autre y a souffert déjà. Ce sera un peu de la vie d'un homme gravée là. Et la vanité du criminel y trouvera aussi une satisfaction d'autres, pense-t-il, liront mon nom et le répéteront.

J'ai visité les cellules et les quartiers communs de la Santé; mais on badigeonne souvent les murailles, et d'autre part les détenus qui écrivent leurs noms sont sévèrement punis et paient les dégradations. Néanmoins dans les cellules et les préaux d'attente, où la surveillance ne peut guère se faire, parce que chaque détenu n'y passe que quelques instants, j'ai relevé des multitudes d'inscriptions. Les murailles en sont tellement couvertes qu'on pourrait presque les comparer aux feuillets d'un livre. Ces inscriptions présentent peu d'intérêt par elles-mêmes: on y lit rarement de grandes pensées. Quelquefois le criminel, comme je l'ai déjà dit lorsque j'ai étudié la formation des noms propres en argot, se contente d'écrire son nom. Le plus souvent il indique la durée de sa peine. Telle est l'inscription suivante: « Nénesse fait treize mois. Vive le

(1) Elle a été étudiée par Lacassagne sous le nom de Graffiti ou tatouages des murailles. Voir l'article Tatouage du même auteur dans le Dictionnaire encyclopédique de Dechambre.

19 juillet!» Je n'avais pas compris d'abord le sens du vivat de la fin. Un détenu m'a expliqué que c'était la date de sortie. On retrouve, en effet, ce vivat à la fin d'un grand nombre d'inscriptions, comme dans celle-ci : « La Patente de Montparnasse fait deux mois. Vive le 28 septembre 1885 »; ou encore dans cette autre : « Cœur d'acier de la Villette, sapé (1) à six mois. Vive le 18 septembre 1884 ! » D'autres n'inscrivent que cette date de la sortie : « Coco des Ternes est décarré (2) le 6 mars. » D'autres expliquent le motif de leur condamnation. Ainsi: «Ernest de la Bastille est ici pour Marie, la femme du cuisinier des Phares de la Bastille. » Ou encore: « La Chique du bois fait quinze jours pour avoir pissé sur la voie publique. Vive le 22 août 1888! » Ailleurs, c'est un adieu ou un salut aux amis: <«< Adieu, Plécheroise, sait Marseillais qui te dit à revoire. Je fait cinq ans de travaux forset, 1882. >> Ou simplement: «Bastien de la Villette dit bonjour aux amis. >> Souvent aussi le condamné, dont la colère est mal apaisée, écrit un mot de haine, un appel aux représailles : «< Mort au président de la neuvième ! » Ou bien : « Courage, les amis, et du sang!» Ou encore: «< Courage, les amis, et meilleure chance que moi! » D'autres se montrent plus vindicatifs encore : « Adolphe, dit l'Écureuil des Halles, et Blondin du Havre disent bonjour aux amis et à tous les garçons courageux. Mort aux vaches, aux tantes et aux bourriques! On les pendra par les couilles. >>

Soit que le temps leur manque, soit que d'autres préoccupations les en détournent, ils écrivent peu d'obscénités sur les murs, à part cependant le mot de Cambronne, qu'ils dédient à tel ou tel personnage détesté, ordinairement le directeur de la prison ou un gardien. Néanmoins, j'ai vu un jour dans un coin sombre d'un préau, à la Santé, une verge monumentale grossièrement dessinée au crayon, avec ces mots au-dessous : « La p... à Théo de la Meuse. »

Il n'en est pas de même des livres qu'on leur prête, car ils écrivent toutes sortes d'obscénités dessus. J'ai eu entre les

(1) Condamné.

(2) Sorti.

LE CRIMINEL.

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mains une morale chrétienne en action, annotée par un individu qui signe « l'anarcho ». Il en a fait un livre vraiment curieux. Grâce à de nombreuses transpositions, à des mots ou à des lettres ajoutés ou rayés, il a transformé toutes ces histoires pieuses en un recueil graveleux et obscène. Pour avoir la patience de transformer ainsi un livre, page par page et pour ainsi dire lettre par lettre, cet homme devait être travaillé d'un érotisme étrangement lubrique.

Comme on le voit, tout cela a fort peu de valeur au point de vue littéraire. Mais tous ces écrits peuvent avoir un grand intérêt pour l'étude de l'âme des criminels, qu'on voit vaniteux, cyniques, et sans goût pour la littérature et la lecture, lisant et écrivant uniquement par vanité ou par désœuvrement, ne produisant que des compositions le plus souvent obscènes ou bien pleines d'une emphase ridicule, très rarement spirituelles, et presque toujours sans aucune élévation dans le style ni la pensée.

XIII. APTITUDES ARTISTIQUES DES CRIMINELS.

Généralement on entend par œuvre d'art une œuvre qui exprime une idée esthétique. Dans un beau tableau on admire, plus encore que la science du dessin, l'idée que l'artiste a voulu exprimer et rendre en quelque sorte tangible par des figures qu'il a animées des sentiments qu'il a ressentis et qu'il a voulu rendre. Prenons des exemples. Quand on admire au Vatican la Madone de Foligno ou au Musée de Dresde la Madone de Saint Sixte, ce qui excite le plus l'admiration, ce n'est pas cette science admirable des tons et des couleurs, c'est l'angélique douceur empreinte sur le visage des madones, leur sourire ineffable; c'est la grâce enfantine du divin bambino; c'est le visage radieux des anges en

extase.

Allez au Palais des offices, à Florence, voir la Vénus de Médicis, cette «< Ève païenne qui cherche une feuille de vigne

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