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RAPPORT DE LA COMMISSION

A L'EMPEREUR.

SIRE,

Auguste mit César au nombre des dieux et lui dédia un temple : le temple a disparu, les Commentaires sont restés. Votre Majesté, voulant élever au chef de sa dynastie un monument impérissable, nous a ordonné de recueillir et de publier la Correspondance politique, militaire et administrative de l'Empereur Napoléon Ior. Elle a compris que le plus éclatant hommage à rendre à ce génie incomparable était de le faire connaître tout entier. Nul n'ignore ses victoires, les lois dont il a doté notre pays, les institutions qu'il a fondées et qui demeurent immobiles après tant de révolutions; ses prospérités et ses revers sont dans toutes les bouches; l'histoire a raconté ce qu'il a fait, mais elle n'a pas toujours connu ses desseins; elle n'a pas eu le secret de tant de combinaisons admirables que la fortune a déjouées, de tant de grands projets à l'exécution desquels le temps seul a manqué. Les traces de la pensée de Napoléon étaient dispersées; il fallait les réunir et les mettre en lumière.

Telle est la tâche que Votre Majesté nous a confiée et dont nous étions loin de soupçonner l'étendue. Les milliers de lettres que nous avons recueillies de toutes parts nous ont permis de suivre, malgré quelques regrettables lacunes, la pensée de Napoléon jour par jour, et d'assister, pour ainsi dire, à l'enfantement de ses projets, au travail incessant de son esprit, qui ne connut d'autre

délassement que le changement d'occupation. Mais ce que la lecture d'une correspondance si variée offre de plus surprenant peut-être, c'est la puissance de cette intelligence universelle à qui rien n'échappe, qui tour à tour s'élève sans effort aux plus sublimes conceptions et qui descend avec la même facilité jusqu'aux derniers détails. Tantôt, planant sur le monde, Napoléon y trace les limites de nouveaux États, tantôt sa sollicitude se porte sur le plus humble hameau de son empire; son coup d'œil embrasse les questions dans leur ensemble, y plonge dans tous les sens et en pénètre les moindres parties. Rien ne lui semble indigne de son attention dès qu'il s'agit de réaliser ses desseins, et ce n'est pas assez pour lui de donner les ordres les plus précis, il en surveille lui-même l'exécution avec une persévérance infatigable.

Les lettres de Napoléon ne peuvent ajouter à sa gloire; mais elles font mieux comprendre sa prodigieuse destinée, le prestige qu'il exerça sur ses contemporains, le culte universel dont sa mémoire est l'objet, enfin, l'entraînement irrésistible par lequel la France a replacé sa dynastie au sommet de l'édifice qu'il avait construit.

Ces lettres présentent encore l'enseignement le plus fécond. Aussi est-ce dans une vue d'utilité générale que Votre Majesté a conçu le projet d'une publication, qui, toujours sérieuse et pratique, s'adresse aux peuples comme aux gouvernements, aux militaires et aux hommes d'État non moins qu'aux historiens. Peut-être quelques personnes, avides de connaître jusqu'aux moindres particularités de la vie intime des grands hommes, regretteront-elles que nous n'ayons pas reproduit des lettres qui, publiées ailleurs pour la plupart, n'ont trait qu'à des relations de famille et à des affaires domestiques. Rassemblées par nous comme les autres, elles n'ont pu trouver place dans le plan dont Votre Majesté nous a fixé les limites.

Hâtons-nous de déclarer que, conformément aux intentions expresses de Votre Majesté, nous nous sommes scrupuleusement interdit, dans la reproduction des lettres de l'Empereur, toute altération, tout retranchement, toute modification des textes. Quelquefois, pensant aux légitimes douleurs que doit causer un

blame tombé de si haut, nous avons regretté de ne pouvoir adoucir des jugements rigoureux portés par Napoléon sur plusieurs de ses contemporains; mais il ne nous appartenait pas de les discuter, encore moins de les expliquer. Seulement, lorsque, mieux instruit ou plus calme, l'Empereur a rendu justice à des serviteurs qu'il avait un instant méconnus, nous avons été heureux d'indiquer que ses paroles sévères avaient été suivies d'une réparation.

Nous nous sommes efforcés de rétablir l'orthographe des noms de lieux et de personnes fréquemment altérée; mais nous avons laissé subsister de légères incorrections de langage, qui dénotent l'impétuosité de la composition et que souvent on n'aurait pu rectifier sans affaiblir l'originalité d'un style énergique, courant droit au but, bref et précis comme des paroles de commandement. Quelques notes concises, nécessaires pour éclaircir des passages obscurs, sont les seules additions que nous ayons cru pouvoir nous permettre.

Pour réunir les éléments épars de la Correspondance de Napoléon Ier, la Commission s'est adressée aux archives et aux bibliothèques, aux anciennes familles de l'Empire, aux Gouvernements étrangers, à toutes les personnes qui pouvaient lui communiquer quelques documents; et, afin de rendre ses recherches aussi complètes que possible, elle a fait cataloguer et dépouiller plus de dix mille ouvrages publiés sur Napoléon ou sur les événements de son règne.

L'appel de la Commission a été entendu, et de nombreux documents lui ont été transmis de tous les points du monde. Parmi tant de précieuses communications, nous devons signaler :

Plusieurs lettres de Napoléon aux souverains de l'Autriche, de la Bavière, de la Hesse, de la Russie, de la Sardaigne, de la Suède et du Wurtemberg.

La collection en quarante-sept volumes des pièces relatives aux campagnes d'Italie et d'Égypte, formée par ordre de Napoléon lui-même, et mise à notre disposition par S. A. le Prince Joseph Bonaparte, petit-fils du roi Joseph;

La Correspondance de Napoléon avec le Prince Eugène, que S. A. I. la Grande-Duchesse Marie, veuve du Duc de Leuchtemberg, a bien voulu nous communiquer ;

Enfin les nombreuses pièces que nous ont confiées les héritiers des hommes qui ont eu l'honneur d'être associés, dans l'administration ou dans la guerre, aux travaux de l'Empereur 1.

Mais c'est dans les dépôts publics de Paris, notamment aux Archives impériales, aux ministères de la guerre, des affaires étrangères et de la marine, que la Commission a trouvé les plus grandes richesses. Les Archives de l'Empire ne renferment pas moins de quarante mille pièces de la Correspondance de Napoléon ; le dépôt de la guerre en possède plus de vingt mille; environ deux mille sont réunies au ministère des affaires étrangères, onze cents au ministère de la marine, quinze cents dans les autres ministères et dans les bibliothèques impériales. Nous avons rencontré partout un concours empressé.

Les membres de la Commission se sont partagé le soin d'examiner les pièces, d'en surveiller la transcription et de les collationner.

Dans cette multitude de documents, il en est beaucoup qui font double emploi; souvent la Commission a eu à se prononcer entre diverses copies d'une même lettre, dont l'original et la minute lui manquaient. Elle n'a arrêté son choix qu'après un mûr examen, et elle a sévèrement écarté tout ce qui ne lui présentait pas le caractère d'une incontestable authenticité.

Outre les pièces de la Correspondance proprement dite, la Commission a cru devoir recueillir non-seulement les opinions exprimées par Napoléon dans la discussion de nos codes au Conseil d'État, ainsi que dans les délibérations présidées par lui et relatives aux différentes branches de l'administration, mais encore les articles qu'il a fait insérer dans les journaux de l'époque, notamment dans le Moniteur universel. Ces documents ne font

1 Mmes la maréchale duchesse de Castiglione, la duchesse Decrès, la maréchale princesse d'Eckmühl, la comtesse Mollien, la baronne de Nougarède de Fayet, fille du comte Bigot de Préameneu; MM. le duc de Bassano, le comte Bertrand, le comte Caffarelli, le duc de Cadore et le comte de Champagny, le comte Carnot, le comte Daru, le comte Defermon, le duc d'Istrie, le comte de La Riboisière, le comte de Las Cases, le général marquis de Lauriston, le comte Le Marois, le baron Meneval, le comte Roederer, les ducs de Plaisance, de Reggio, de Trévise, de Valmy, le prince de Wagram, et plusieurs autres personnes dont les noms seront publiés avec les documents qu'elles ont fournis.

point partie de la Correspondance de l'Empereur, mais ils trouveront leur place dans ses œuvres complètes.

Après avoir réuni les éléments des premiers volumes de la Correspondance, la Commission a dù délibérer sur la question de savoir dans quel ordre les pièces seraient publiées. Fallait-il préférer l'ordre des dates à l'ordre des matières, c'est-à-dire, au classement des pièces en autant de séries qu'il y a de grandes branches dans l'administration publique?

Pour la Correspondance antérieure au Consulat, la plupart des pièces ayant trait aux opérations militaires, l'ordre chronologique était le seul à suivre; mais à partir du Consulat, Napoléon résume en sa personne le gouvernement tout entier : il relève les autels; il est à la fois le chef suprême de l'armée, de la marine, de l'administration intérieure, de la justice, de la diplomatie, et il s'occupe avec une égale activité de tous ces objets divers. Ne convenait-il pas alors de classer les pièces suivant l'ordre des matières, au lieu de les laisser toutes confondues dans l'ordre des dates?

La Commission ne l'a pas pensé. La crainte des divisions arbitraires et l'impossibilité matérielle d'assigner leur véritable place aux documents qui embrassent différents objets l'ont déterminée en faveur de l'ordre chronologique c'est d'ailleurs le seul qui puisse reproduire fidèlement la succession des pensées de l'Empereur, c'est aussi le plus propre à mettre en relief son aptitude universelle et sa merveilleuse fécondité.

Napoléon écrivait peu de sa main; presque toutes les pièces de sa Correspondance ont été dictées à ses secrétaires, à ses aides de camp, à son chef d'état-major ou à ses ministres. Leurs écritures sont connues, elles serviraient au besoin à constater l'authenticité des documents qui n'ont point de signature, si le cachet particulier du style ne suffisait à lever tous les doutes.

Aussi la Commission n'a-t-elle pas hésité à comprendre dans ce recueil un grand nombre de pièces qui, bien que portant une autre signature, émanent évidemment de Napoléon. Elle en a eu la preuve irrécusable en comparant les ordres signés par le major général Berthier, ainsi que les lettres écrites par divers ministres, avec les minutes dictées par l'Empereur.

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