Images de page
PDF
ePub

» Telle est ma manière d'entendre cet article; je vous la soumets ».

Cette note, dans laquelle on reconnaît la finesse d'esprit qui distinguait si éminemment M. le président Barris, dans les discussions verbales de la chambre du conseil, ne répondait pas précisément à la question de savoir si le propriétaire est compris dans la disposition de l'art. 22; elle supposait seulement qu'il l'est effectivement, et elle se bornait à en expliquer le pourquoi d'une manière très- ingénieuse, mais peut-être trop subtile.

M. Carnot, à qui je la communiquai, le sentit comme moi ; et voici en conséquence comment il rédigea la sienne :

« La question est de savoir, s'il est interdit, sous peine d'amende, aux propriétaires, par l'art. 22 de la loi du 28 septembre 1791, d'envoyer leurs bestiaux en dépaissance sur leur propre sol, avant deux jours expirés depuis la moisson entièrement faite.

» Pour faire aux propriétaires l'application de cet article, on en donne trois motifs : le premier, tiré des termes généraux dans les quels l'article est conçu; le deuxième de ce que l'intention du législateur a été de conserver le glanage aux pauvres ; le troisième d'obvier à ce que le bétail envoyé en dépaissance, ne cause du dommage aux récoltes qui ne sont pas encore enlevées dans les champs voisins. » Le dernier motif ne peut être pris en aucune considération : d'abord, parceque les champs voisins peuvent appartenir au même propriétaire; en second lieu, parceque, si le bétail ainsi conduit commet du dommage, celui qui l'éprouve, a les voies de droit pour en obtenir indemnité; à quoi l'on peut ajouter qu'aucune loi ne punit l'action qui tend à commettre un délit, lorsque la tentative n'est pas elle-même réputée délit, et que le delit n'a pas été réellement commis, ce qui arriverait si, de ce qu'un dommage pourrait être causé au champ voisin, quoiqu'il ne l'ait pas réellement été, il pouvait résulter qu'il y a lieu à l'amende.

» Celui tiré de la faveur du glanage, ne vaut pas mieux; car le glanage n'est pas de droit commun, ce qui résulte assez de la disposition de l'art. 21; et l'art. 22 s'applique indistinctement à tous les lieux.

>> Reste donc le motif tiré de la rédaction de l'art. 22, qui est conçu dans des termes géné. raux. Mais si les propriétaires n'y sont pas nommément exceptés, ils n'y sont pas nommément compris ; et pour que l'on pût supposer que le législateur les y a réellement compris, il faudrait qu'ils y fussent nommément de TOME XVI.

nommés, comme cela doit nécessairement arriver toutes les fois qu'il s'agit de quelqu'atteinte à l'exercice de la propriété dans toute sa plénitude.

» On pourrait même dire que, si les propriétaires ne se trouvent pas nommément exceptés dans la rédaction de l'art. 22, c'est que l'exception étant de droit commun, n'avait pas besoin d'être exprimée. D'ailleurs, si les propriétaires ne s'y trouvent pas nommément exceptés, leur exception s'y trouve d'une manière indirecte. Il serait impossible, en effet, de supposer une disposition de loi qui punirait de la même peine celui qui aurait envoyé son bétail au pâturage sur son propre terrain, que s'il l'eût envoyé sur le fonds d'autrui; ce qui arriverait cependant, si l'art. 22 s'appliquait également aux propriétaires et aux étrangers, puisque cet article ne prononce que l'amende d'une journée de travail pour le cas de dépaissance dans les champs moissonnés et ouverts. Aussi l'art. 22, dans sa seconde disposition, porte-t-il que l'amende sera double, lorsque le bétail d'autrui aura pénétré dans un enclos rural, sans ajouter que le propriétaire qui y aurait fait pénétrer le sien, devrait également y être condamné.

>> Cette seconde disposition de l'art. 22 explique naturellement la première; car, si c'était un délit de la part du propriétaire, comme de celle de l'étranger, d'envoyer son bétail au pâturage sur les champs moissonnés et ouverts, avant deux jours de l'entier enlèvement de la récolte, et si c'en est un plus grand, que de l'envoyer dans un enclos rural, comment se ferait-il que le propriétaire n'eût fait qu'une action licite, en envoyant le sien dans son enclos?

» L'art. 22 sainement entendu, ne signifie donc autre chose, si ce n'est qu'aucun individu ne pourra conduire son bétail sur le champ d'autrui, ouvert ou clos, avant les deux jours qui suivent l'entier enlèvement de la récolte, sans être passible d'une amende de la valeur d'un ou de deux jours de travail, soit que le champ sur lequel il l'a introduit, soit sujet au parcours ou qu'il n'y soit pas sujet ; ce qui est restrictif du droit de parcours ou de Vaine pâture, mais non restrictif de l'exercice du droit de propriété, auquel, on le répète, il ne peut être porté atteinte en manière quelconque, que pour raison d'intérêt public, et par le moyen d'une loi formelle et expresse, ce qui n'est pas dans l'espèce particulière ».

Je n'ai pas besoin de dire que cette note me parut décisive, et que je renonçai en conséquence à toute idée de requerir, dans l'in

.44

térêt de la loi, la cassation du jugement qui deux autres des 3 août 1660 et 23 août 1683,qui m'était dénoncé.

VELLÉIEN (SÉNATUS - CONSULTE). §. I. Avant le Code civil, le sénatusconsulte Velléïn pouvait-il, dans les contrées où il était encore en usage, être opposé par une mère au cautionnement qu'elle avait subi au greffe d'un tribunal de commerce, pour tirer son fils de prison ?

2

« Les cit. Renard et Lenormand ( ai-je dit à l'audience de la section des requêtes de la cour de cassation, le a nivôse an 9) vous demandent l'annullation d'un jugement du tribunal d'appel de Caen, du 11 messidor an 8, confirmatif de celui du tribunal civil du département du Calvados, du 15 ventôse précédent, qui déclare nul, comme contraire au sénatusconsulte Velléien, l'acte que la veuve et la fille Paysant avaient passé au greffe du tribunal de commerce de Caen, le 2 frimaire an 6, et par lequel, pour faire mettre en liberté le cit. Paysant, fils de l'une et frère de l'autre, emprisonné pour dettes,elles s'étaient rendues cautions solidaires envers les demandeurs, de ce qu'il se trouverait leur devoir, d'après le compte à régler entre eux.

» Les demandeurs soutiennent que ce jugement viole à la fois les dispositions du droit écrit, relatives au sénatusconsulte Velleïen, et l'autorité de la chose jugée.

>> Ils n'expliquent pas en quoi les disposi tions du droit romain sont, suivant eux, violées par ce jugement; et nous ne croyons pas, dans le fait, qu'il en existe une seule à laquelle on puisse dire qu'il ait contrevenu.

» Que le sénatusconsulte Velléïen fasse encore loi dans la ci-devant Normandie, comme il le fait encore dans les pays de droit écrit, autres que ceux qui ressortissaient cidevant aux parlemens de Paris, de Dijon et de Besançon, c'est ce qui ne peut être révoqué en doute.

» Ce sénatusconsulte fut, comme l'on sait, abrogé par un édit du mois d'août 1606, qu'enregistrèrent, à diverses époques, les parlemens de Paris, de Dijon, de Rennes et de Besançon.

>> Mais le parlement de Rouen n'ayant jamais enregistré cet édit, son ressort est demeuré assujeti, en cette matière, aux dispositions du droit romain que l'usage y avait introduites. C'est ce qu'atteste Bérault, sur l'art. 538 de la coutume de Normandie, où il rapporte quatre arrêts des 6 juillet 1565, 6 novembre 1600, 18 mars 1601 et 17 janvier 1614, qui l'ont ainsi jugé. Basnage, sur les art. 538 et 391, en cite

ont même décidé qu'en Normandie, les femmes ne peuvent pas renoncer au bénéfice du sénatusconsulte Velleïen. Froland, dans son recueil d'arrêts, tome 1er, page 682, en rapporte six qui ont jugé de même, et qu'il date des 8 août 1671,6 juillet 1677, 21 août 1692, 4 mars 1693, 18 août 1703 et 20 mai 1716.

» Ces arrêts décident même qu'il n'y a, à cet égard, aucune distinction à faire entre la femme mariée et la femme veuve ou fille, entre la femme sous puissance de mari et la femme séparée de biens, entre la femme qui a obtenu des lettres de rescision contre son cautionnement, et la femme qui, sans lettres de rescision, en demande purement et simplement la nullité.

» Houard confirme cette doctrine dans son Dictionnaire de droit normand, au mot Femme; voici ses termes : Le privilége des femmes en cette province est tel que, méme après les dix ans, leurs héritiers peuvent faire annuler les actes de cautionnement qu'elles ont faits; et ce, sans recourir aux lettres de restitution. Et il rapporte un arrêt du 17 décembre 1722, qui, sans avoir égard aux lettres de rescision prises par un héritier contre le cautionnement de sa mère, antérieur de plus de dix ans à son décès, lettres dont il déclara que cet héritier n'avait pas besoin, annula le cautionnement et déchargea l'héritier.

>> Maintenant, quelles seraient les dispositions du droit romain qu'aurait pu violer le jugement du tribunal d'appel de Caen, en appliquant le sénatusconsulte Velléïen au cautionnement passé, le 2 frimaire an 6, par la veuve et la fille Paysant, au greffe du tribunal de commerce de la même ville?

>> Ce cautionnement avait pour objet de faire rendre la liberté à Jacques Paysant fils emprisonné pour dettes. Mais les lois romaines ne contiennent pas un mot d'où l'on puisse induire qu'en pareil cas, les cautionnemens des femmes soient exceptés du sénatusconsulte Velléïen.

» La loi pénultième, D. ad senatusconsultum Velleianum, décide bien que, si une femme s'est rendue caution pour l'affranchissement d'un esclave, et que cet esclave ait été affranchi sur la foi de son cautionnement, elle ne pourra plus par la suite invoquer le sénatusconsulte Velléïen, pour se dispenser de faire honneur à la dette qu'elle a cautionnée. Que l'on infère de là, comme l'a fait l'ordonnance de la marine de 1681, qu'une femme s'oblige valablement pour tirer son mari de l'état d'esclavage dans lequel le tiennent des

barbaresques, à la bonne heure. Mais quel rapport y a-t-il entre cette espèce et celle dont il s'agit? On ne peut certainement pas mettre sur la même ligne la faveur de l'affran chissement d'un esclave, et celle de l'élargissement d'un prisonnier pour dettes.

» Qu'importe que le parlement de Toulouse ait abusé de cette loi, pour juger valable le cautionnement par lequel une femme s'obligeait pour procurer la liberté à son mari, à son fils ou à son père, constitués prisonniers pour dettes civiles? Les arrêts du parlement de Toulouse n'étaient pas des lois pour la Normandie ; et si le parlement de Toulouse se permettait d'étendre jusqu'à ce point la loi romaine que nous venons de citer, ce n'est certainement pas une raison pour pouvoir accuser le tribunal d'appel de Caen d'avoir violé cette même loi, en ne l'appliquant point à un cas pour lequel elle n'a pas été faite. Remarquez, d'ailleurs, que cette jurisprudence du parlement de Toulouse était si peu raisonnée,qu'on la restreignait aux femmes, soit de gentilshommes, soit de magistrats, d'avocats exerçant la profession, de notaires, d'anciens officiers municipaux; en sorte que, même au parle ment de Toulouse, le cautionnement dont il est ici question, aurait été déclaré nul, puisque la veuve et la fille Paysant ne tiennent en aucune manière à ces diverses classes. Remarquez encore, avec les auteurs de la dernière édition de Denisart, au mot Caution, que l'art. 541 de la coutume de Normandie ne permet pas aux femmes de vendre leurs biens pour rédimer leurs maris de prison, lorsqu'ils y sont pour dettes civiles, et ( que suivant les mêmes auteurs) c'est une conséquence qu'elles ne peuvent alors les cautionner.

Mais, objectaient les demandeurs devant les premiers juges, il s'agit ici d'un cautionnement judiciaire; or, les cautionnemens judiciaires ne sont pas soumis au sénatusconsulte Velléïen.

» D'abord, ce n'est que par une équivoque que l'on peut appeler judiciaire, le cautionnement des veuve et fille Paysant; car ce n'est pas de la forme extérieure d'un acte, que dépend la question de savoir s'il appartient à la classe des cautionnemens judiciaires, ou à celle des cautionnemens conventionnels. Sans doute, le cautionnement de la veuve et de la fille Paysant a été reçu au greffe du tribunal de commerce de Caen ; mais que peut-on conclure de là? C'est que le greffier du tribunal de commerce de Caen a entrepris, en le recevant, sur les attributions des notaires car rien ne l'autorisait à recevoir un cautionnement qui n'était point ordonné par

un jugement préalable, puisque les cautions judiciaires ne doivent, suivant les art. 2 et 4 du tit. 28 de l'ordonnance de 1667, faire leurs soumissions au greffe, qu'après avoir été présentées et agrées, en exécution du jugement qui chargeait la partie de les fournir.

» Mais quand il s'agirait ici d'un cautionnement judiciaire, où est la loi qui l'excepterait du sénatusconsulte Velléïen? Nous savons bien que Papon et Despeisses rapportent deux anciens arrêts, l'un de Paris, l'autre de Toulouse, qui jugent que le sénatusconsulte Velléïen ne peut pas être invoqué par la femme qui, pour habiliter un étranger à plaider en demandant devant un tribunal français, a souscrit en sa faveur le cautionnement judicatum solvi. Mais encore une fois, juger contre de pareils arrêts, ce n'est pas juger contre les lois; c'est, au contraire, se conformer aux lois que ces arrêts ont enfreintes arbitrairement.

» Les demandeurs ont encore prétendu devant les premiers juges, que, par une jurisprudence particuliere à la ci-devant Normandie et qu'ils présentaient comme une modification du sénatusconsulte Velléïen, le cautionne. ment d'une mère pour son fils était considéré comme un avancement d'hoirie qu'elle lui faisait, et qu'il devait avoir son exécution comme tel.

» Effectivement, nous trouvons dans le Traité des hypothèques de Basnage, part. 2, chap. 2, deux arrêts qui le jugent ainsi ; et il ne sera pas inutile de mettre sous vos yeux les termes dans lesquels ils sont rapportés : Quoique les femmes soient incapables de cautionner, et qu'en Normandie, nous gardions exactement en leur faveur le sénatusconsulte Velléïen, et qu'elles ne puissent renoncer à ce bénéfice, nous exceptons néanmoins de cette règle générale, le cautionnement fait par la mère en faveur de son fils, soit que la mère soit intervenue POUR LUI AVOIR UNE CHARGE OU POUR QUELQUE Autre cause. L'on considère ces actes, non point comme une fidejussion, mais plutôt comme une donation et un avancement de succession. Cela fut jugé de la sorte le 17 mars 1644. La veuve de Deplanes, receveur des consignations, avait cautionné, con jointement avec son mari, son fils sorti d'un autre mariage, pour une rente de 400 livres. Après la mort de son mari, à la succession duquel elle renonça, elle soutenait que son intervention était nulle, vu sa qualité de femme et la prohibition faite aux femmes de cautionner; mais on lui objecta qu'en cau tionnant son fils, elle n'était pas réputée s'obliger pour un autre, non alienam obliga.

tionem in se susceperat, qui est l'effet du cautionnement, sed potiùs negotium suum gesserat; ce n'était qu'une anticipation de la succession et une portion de son bien, dont elle avait fait un avancement. La même chose fut encore jugée en la grand'chambre, le 19 février 1658, contre une mère qui avait cautionné son fils pour le prix d'un office.

» Ainsi s'explique Basnage; mais d'abord, il ne s'agit pas ici, comme l'a très-bien remarqué le tribunal civil du Calvados, d'un cautionnement pour une somme déterminée, et que l'on puisse dire ne pas excéder la part de Paysant fils dans la succession future de sa mère, il s'agit d'un cautionnement pour tout ce que Paysant fils se trouvera devoir à ses créanciers, d'après le compte à régler entre eux, c'est-à-dire, d'un cautionnement qui peut absorber toute la fortune de la mère, et la réduire à l'indigence la plus affrense. Assurément, ce n'est point à de pareils engagemens que peuvent s'appliquer, soit les deux arrêts cités par Basnage, soit la jurisprudence qu'ils ont établie, s'il en faut croire les demandeurs.

» Ensuite, quand cette prétendue jurisprudence pourrait s'adapter à notre espèce, qu'en pourrait-on conclure contre le jugement dont il est ici question ? Ce jugement serait, si l'on veut, en opposition avec deux arrêts du par

lement de Rouen; mais il serait d'accord avec les véritables et pures dispositions du sénatusconsulte Velléïen, que la ci-devant Normandie a constamment reconnues pour loi; et certes, jamais un jugement calqué sur le texte précis d'une loi, ne sera cassé sous prétexte qu'il est en discordance avec un ou deux jugemens rendus entre d'autres parties.

» Il nous reste à examiner si, comme le prétendent les demandeurs, ce jugement porte atteinte à l'autorité de la chose jugée.

» L'affirmative paraît, à la première vue, incontestable.

» En effet, la veuve et la fille Paysant ayant passé au greffe du tribunal de commerce de Caen, le 2 frimaire an 6, l'acte de cautionnement dont il s'agit, il est intervenu, le 6 du même mois, dans le tribunal de commerce luimême, un jugement conçu en ces termes : Les eit. Renard et Lenormand, demandeurs,contre le cit. Paysant l'aîné, la veuve Paysant,Paysant le jeune, et la cit. Paysant, fille majeure. Parties ouïes, le tribunal a accordé acte aux cit. Renard et Lenormand de la lecture de l'acte de cautionnement déposé au greffe le 2 de ce mois, par lequel la cit. Paysant mère, Paysant le jeune, et la cit. Paysant

sœur, se sont rendus cautions soldaires de Jacques Paysant l'aîné; ordonne que ledit acte de cautionnement sera exécuté selon sa forme et teneur.

» Ce n'est là sans doute qu'une homologation de l'acte de cautionnement; mais cette homologation est un véritable jugement, puisqu'elle est prononcée par un tribunal, parties ouïes, et qu'elle ordonne l'exécution de l'acte qu'elle a pour objet. Or, ce jugement n'a jamais été réformé, il subsiste donc encore dans toute sa force.

» Il est vrai que la veuve et la fille Paysant en avaient appelé pendant les plaidoiries sur l'appel du jugement du tribunal civil du Calvados.

» Il est vrai aussi qu'elles en avaient appelé en temps utile, puisque la signification ne leur en avait été faite que le 9 prairial an 8, c'est-à-dire, long-temps après le jugement du tribunal civil du Calvados.

» Mais enfin, le tribunal d'appel de Caen n'a pas jugé à propos de statuer sur cet appel incident; et soit qu'il ne l'ait pas considéré comme nécessaire, soit par tout autre motif, il s'est borné à confirmer purement et simplement le jugement du tribunal civil du Calvados.

» Il n'y a là, sans doute, qu'une omission de pure forme; car l'infirmation du jugement du tribunal de commerce, du 6 frimaire an 6, ne

pouvait pas éprouver la plus légère difficulté, soit parcequ'au fond ce jugement n'avait pas pu valider un acte de cautionnement radicalement nul, soit parceque ce jugement était luimême nul du chef d'incompétence, la veuve et la fille Paysant n'étant pas marchandes, et ne pouvant par conséquent reconnaître valablement la juridiction d'un tribunal de com

merce.

[ocr errors]

Mais, quoique de pure forme, cette omission n'en existe pas moins; et il reste toujours qu'en confirmant le jugement du tribunal civil du Calvados, sans infirmer celui du tribunal de commerce de Caen, le tribunal d'appel a annulé un cautionnement dont le tribunal de commerce avait ordonné l'exécution. Dès-là, il semble qu'il y a véritablement contravention à l'autorité de la chose jugée.

>> Prenons garde cependant à cette conséquence; en examinant les choses de plus près, il sera bien difficile de ne pas la trouver vicieuse.

» D'abord, le jugement du tribunal de commerce, du 6 frimaire an 6, n'est pas passé en chose jugée, puisque la veuve et la fille Paysant en ont appelé un mois au plus après la signification qui leur en avait été faite. Il ne peut donc pas y avoir ici contrariété à l'auto

rité de la chose jugée. Il pourrait tout au plus y avoir contrariété entre un jugement soumis à l'appel et un jugement rendu en dernier ressort. Et cette contrariété, d'où proviendraitelle? Uniquement de ce que le tribunal d'appel de Caen n'a pas statué sur l'appel incident que la veuve Paysant et sa fille avaient interjeté du jugement du tribunal de commerce. Le véritable vice du jugement du tribunal d'appel serait donc, tout au plus, d'avoir omis de prononcer sur l'un des chefs des demandes des parties; et ce vice, s'il existe réellement, ne pourrait donner ouverture qu'à la requête civile.

» Nous disons, s'il existe réellement ; car il résulte d'une circonstance dont nous n'avons pas encore parlé et qui est pourtant bien essentielle, que le jugement du tribunal de commerce, du 6 frimaire an 6, était anéanti de plein droit, même long-temps avant la signification qu'en ont faite les demandeurs, et à plus forte raison avant l'appel qu'en ont interjeté la veuve Paysant et sa fille.

» Cette circonstance est que Paysant fils aîné ayant, après sa mise en liberté provisoire, interjeté appel des jugemens du tribunal de commerce, en exécution desquels il avait été constitué prisonnier, il est intervenu sur cet appel, le 24 ventôse an 7, un jugement dont nous ne voyons pas clairement quel a été le dispositif, mais qui du moins a décidé que l'emprisonnement était illégal, pour avoir été pratiqué avant que les jugemens du tribunal de commerce fussent devenus exécutoires contre Paysant fils aîné, tant par le laps des huit jours avant lesquels il lui était défendu d'en appeler, que par le fournissement de la caution qui est toujours nécessaire pour exécuter un jugement nonobstant l'appel.

» Ce fait important est en partie consigné dans l'un des motifs du jugement du tribunal civil du Calvados, que confirme le jugement attaqué : Considérant (y est-il dit) qu'on ne pourrait pas dire avec exactitude, que, sans l'intercession de la veuve Paysant, son fils n'eût pu recouvrer sa liberté, puisqu'il est constant qu'il avait été précipitamment emprisonné, sans qu'on eút fourni la caution qu'exigeait la loi, pour l'exécution provisoire des jugemens rendus contre lui et qui n'avaient pas été acquiescés, comme cela a été jugé depuis sur son appel.

>> Il est dit, dans un autre endroit, que l'emprisonnement avait été pratiqué le cinquième jour après la prononciation du jugement qui l'autorisait; et nous voyons dans le jugement attaqué, que c'est le 24 ventôse an 7, qu'a été rendu, sur l'appel de Paysant fils, le jugement

dont parle le tribunal civil du Calvados, dans le considérant que nous venons de mettre sous vos yeux.

» Or, si, par ce jugement, il a été décidé que l'emprisonnement de Paysant fils était illégal, n'a-t-il pas été, par cela seul, décidé que rien de ce qui avait été consenti pour faire cesser cet emprisonnement, ne pouvait subsister? Le jugement du 24 ventôse an 7 ayant, en déclarant l'emprisonnement illégal, anéanti la cause du cautionnement et de son homologation, n'a-t-il pas de plein droit anéanti et le cautionnement et le jugement qui l'avait homologué?

» Rendons ceci plus sensible par un exemple. Un étranger se présente comme demandeur dans une juridiction nationale de première instance. On lui demande la caution judicatum solvi; un jugement ordonne qu'il la fournira. Je me rends caution pour lui; à cet effet, je fais ma soumission au greffe de payer les dépens et dommages-intérêts auxquels il pourra être condamné par le tribunal saisi de sa demande; et il intervient, en ma présence et de mon consentement, un jugement qui homologue mon cautionnement. L'affaire s'instruit au principal, et il en résulte un jugement qui rejette la demande de celui que j'ai cautionne,et le condamne à des dépens, dommages et iutérêts. Il en appelle, et le juge supérieur infirme le jugement de première instance. Son adversaire pourra-t-il, nonobstant le jugement rendu sur l'appel, faire exécuter contre moi la condamnation de dépens, dommages et intérêts prononcée par le premier juge, sous prétexte que je n'ai ni appelé ni obtenu la réformation du jugement qui a homologué mon cautionnement? Non certes; et s'il en fait la tentative, je lui opposerai victorieusement que ce dernier jugement a été détruit de plein droit par celui du tribunal d'appel qui a jugé que mon cautionné ne devait point de dépens ni de dommages-intérêts.

» Voilà donc une hypothèse où, sans aucune difficulté, un jugement d'homologation de cautionnement tombe de lui-même, sans qu'il soit besoin de le faire infirmer par le juge supérieur. Et pourquoi n'en serait-il pas de même dans l'espèce actuelle? Le cautionnement de la veuve Paysant et de sa fille n'avait été fourni et homologué, que pour faire cesser un emprisonnement que l'on croyait légal; mais par la suite, l'illégalité de cet emprisonnement a été reconnue et déclarée par un jugement en dernier ressort; le cautionnement et son homologation n'ont donc plus eu de cause; l'effet en a donc cessé de plein droit.

» Par ces considérations, nous estimons qu'il

« PrécédentContinuer »