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la plainte du sieur Leprovost que par divers
renseignemens parvenus au ministère public;
qu'avant tout, le juge d'instruction se trans-
porte au domicile du sieur Chancerel, pour y
faire la perquisition de ses livres, de ses titres,
de toutes les pièces relatives à ses opérations, et
qu'il décerne contre lui un mandat d'amener.
Ordonnance conforme, qui est mise à exé-
cution le lendemain.

Une information s'ouvre ensuite, tant sur
la prévention de faux que sur celle d'habitude
d'Usure.

L'instruction terminée, ordonnance de la
chambre du conseil, du 25 novembre, qui,
adoptant les conclusions du ministère public,
déclare le sieur Chancerel prévenu du crime
de faux,le renvoie devant la chambre d'accusa-
tion de la cour royale de Caen, et surseoit, jus-
qu'au jugement de cette prévention, à statuer
sur l'imputation du délit d'habitude d'Usure.
Le sieur Chancerel mis en accusation, est
traduit devant la cour d'assises du départe-
ment du Calvados, où il intervient, le 12 mai
1817, d'après une déclaration du jury, un arrêt
qui le condamne aux travaux forcés.

Le 30 août suivant, cet arrêt est cassé, avec
renvoi du fond devant la cour d'assises du dé-
partement de le Seine-Inférieure.

Le 25 novembre de la même année, décla-
ration du jury portant que le sieur Chancerel
n'est pas coupable; ordonnance du président
qui l'acquitte, et arrêt qui condamne son dénon-
ciateur à 3,000 francs de dommages-intérêts.

Le 19 février 1818, réquisitoire du procu-
reur du roi de Caen, par lequel, reprenant,
contre le sieur Chancerel, la poursuite du dé
lit d'habitude d'Usure, il demande que l'infor-
mation commencée sur ce délit, soit continuée.

L'information est continuée en effet, et
quinze mois après, le sieur Chancerel est ap-
pelé devant le juge d'instruction.

Il se présente; mais, déterminé à requérir
son renvoi devant un autre tribunal, pour
cause de suspicion légitime, il refuse de ré
pondre; et le 29 mai 1819, la chambre du
conseil, en le déclarant prévenu du délit d'ha-
bitude d'Usure, le traduit devant le tribunal
correctionnel.

Il forme alors sa demande en renvoi, et
elle est accueillic par un arrêt de la cour de
cassation, du 1er octobre de la même année;
en conséquence le tribunal correctionnel d'A-
lençon est saisi de la connaissance de cette af-
faire, poury statuer dans l'état où elle se trouve.
Là, avant d'entamer le fond, le sieur Chan-
cerel soutient que l'inculpation d'habitude
d'Usure, qui forme la base de la prévention
sous laquelle il se trouve placé, ne reposant,
soit dans le réquisitoire du ministère public,
TOME XVI.

soit dans l'ordonnance de la chambre du con-
seil du tribunal de Caen, du 29 mai 1819, sur
aucun fait précis, matériel et constitutif du
délit qui lui est imputé, il ne peut y être pris
aucun égard; et il conclud à ce que les pour-
suites soient déclarées nulles.

Le 5 mai 1820, jugement qui rejette cette
exception, attendu que, par la citation don-
» née à Chancerel, à la requête du procu-
» reur du roi, la nature du délit dont ledit
» Chancerel est prévenu, est suffisamment
» déterminée, ainsi que le laps de temps pen-
»dant lequel ledit Chancerel s'est abandonné
» à l'habitude d'Usure, et qu'il eût été, à
» cet égard, superflu de faire la nomencla-
»ture des diverses opérations usuraires qui
» ont caractérisé le délit ; ce qui eút occa-
» sionné un trop grand détail ».

D

Appel de ce jugement de la part du sieur
Chancerel à la cour royale de Caen ; et le 31
juillet suivant, arrêt qui met l'appellation au
néant,

« Attendu que Chancerel se fonde sur les
art. 183 et 184 du Code d'instruction crimi-
nelle, aux dispositions desquels il prétend que
le ministère public doit se conformer, pour
conclure à la nullité tant de l'ordonnance qui
en prononce le renvoi devant le tribunal cor-
rectionnel, que de la citation que lui a fait
commettre le procureur du roi d'Alençon;

» Attendu, relativement à l'ordonnance,
que, quand il serait vrai que, d'après les deux
articles ci-dessus,la citation commise à Chance-
rel serait nulle, ce ne serait pas un motif pour
annuler aussi cette même ordonnance, qui
d'ailleurs est rédigée conformément à la loi;

» Que, d'un autre côté, dans l'espèce, il
serait d'autant plus inutile de savoir si cette
nullité doit être prononcée, que, le 1er sep
tembre 1819, la cour de cassation a renvoyé
elle-même Chancerel devant le tribunal de po-
lice correctionnelle d'Alençon, avec les pièces
de la procédure, pour, porte cet arrêt, l'in-
struction être continuée et le jugement dé-
finitif rendu conformément à la loi;

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Qu'en outre, d'après l'art. 182 du Code
d'instruction criminelle, le procureur du roi
pouvait traduire directement le prévenu de-
vant le tribunal correctionnel, sans qu'il fût
besoin d'une ordonnance pour l'y autoriser;
» Attendu, quant à la citation, que celle
commise à Chancerel est régulière, puisque,
conformément aux articles ci-dessus, elle
énonce les faits qui lui sont imputés ; qu'il y
est sommé de comparaître à l'audience du
tribunal correctionnel d'Alençon, à l'effet de
s'entendre condamner aux peines détermi-
nées pour délit d'habitude d'Usure, ou, en
d'autres termes, pour s'être permis, porte

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cette citation, pendant qu'il demeurait dans la ville de Caen, et ce depuis la loi du 3 septembre 1807 jusqu'au mois d'août 1816, époque à laquelle ont commencé les poursuites dirigées contre lui, de faire, à divers particuliers,un grand nombre de prêts à un taux excédant celui déterminé par la loi précitée ;

"Que l'article invoqué par Chancerel, n'ayant point précisé de quelle manière les faits seraient énoncés, et n'ayant point d'ailleurs attaché la peine de nullité aux irrégularités qui pourraient se rencontrer dans la citation, il est évident que celle commise à Chancerel, ne peut être annulée ;

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Qu'il a enfin d'autant plus de tort de prétendre qu'elle ne lui fait pas connaître suffisamment les faits qui constituent le délit dont il est inculpé, qu'une partie en est consignée dans l'information dont il lui fut délivré copie, lorsqu'il fut traduit aux assises du Calvados, et que les dépositions des nouveaux témoins qui ont été entendus depuis que les poursuites ont été recommencées, étaient déposées au greffe du tribunal civil d'Alençon, où il pouvait en prendre communication pour préparer ses moyens de défense ».

Le sieur Chancerel se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

« Il n'est sans doute pas besoin (dit-il) de faire remarquer que c'est bien mal à propos que l'on y invoque l'arrêt de la cour de cassation, du 1er octobre 1819, comme ayant couvert les irrégularités dont pourrait se trouver entachée l'ordonnance de mise en prévention du 29 mai précédent. Pour quiconque a la plus légère notion de l'esprit dans lequel sont conçues les formules des arrêts de cette cour qui, soit pour cause de suspicion légitime, soit pour raison de sûreté publique, renvoient des affaires criminelles ou correctionnelles d'un tribunal à un autre, il est évident que celui dont il s'agit, n'a eu d'autre objet que de subs. tituer le tribunal correctionnel d'Alençon au tribunal correctionnel de Caen, et que le sieur Chancerel est arrivé devant l'un avec le même droit qu'il eût eu devant l'autre,s'il y fût resté,de critiquer en la forme, et de combattre au fond, tous les actes, toutes les ordonnances d'instruction qui pouvaient lui préjudicier.

» Il ne serait pas moins inutile de nous attacher à relever les méprises que fait l'arrêt dénoncé, scit relativement à l'art. 184 du Code d'instruction criminelle, qu'il suppose avoir été invoqué par le sieur Chancerel, et qui n'a pas le moindre rapport avec la question à juger, soit relativement à l'objet des conclusions du sieur Chancerel qui, en cause d'appel, comme en première instance, n'at.

taquaient pas seulement l'ordonnance de mise en prévention du 29 mai 1819, et la citation à lui donnée, en conséquence, par le procureur du roi d'Alençon, mais encore et princi palement toutes les poursuites qui avaient été dirigées contre lui, à partir du réquisitoire du 26 août 1816.

» Hâtons-nous, en écartant des observations d'un aussi mince intérêt, d'aborder la grande question qui, dans cette affaire, et bien moins pour l'intérêt du sieur Chancerel, que pour celui de tous les membres de la grande famille des Français, réclame toute l'attention des magistrats régulateurs.

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Que le ministère public puisse poursuivre le délit consistant dans l'habitude d'Usure, comme il peut poursuivre tout autre délit et toute espèce de crime, c'est ce que nul ne pourrait révoquer en doute, sans méconnaître la disposition textuelle de l'art. 4 de la loi du 3 septembre 1807.

» Mais ce n'est pas assez qu'en théorie il ait ce pouvoir, pour que les poursuites qu'il dirige contre un délit ainsi qualifié, soient valables: il faut encore que ces poursuites n'aient pas pour objet de simples abstractions, et qu'elles portent sur des faits précis, matériels et nominativement signalés de manière à constituer véritablement le délit d'habitude d'Usure.

» Les délits et les crimes sont en général de deux sortes.

» Les uns résultent d'un fait physique qui est prohibé et puni par la loi : tels sont le

vol et l'assassinat.

>> Les autres consistent dans un fait général qui se compose de faits singuliers, lesquels, considérés chacun isolément, sont bien répréhensibles, mais hors de l'atteinte de la loi pénale, et ne donnent prise à l'action criminelle que par leur concours et leur ensemble: telle est l'habitude d'Usure; le fait général d'habitude d'Usure (est-il dit dans deux arrêtés de la cour de cassation, des 3 février et 5 novembre 1813) est moral et complexe; il ne peut résulter que de l'ensemble de plusieurs faits particuliers ; il ne peut par conséquent être attaché à aucun de ces faits séparément (1).

des

» Mais, soit qu'un délit consiste dans un fait physique, soit qu'il résulte d'une collection de faits singuliers, il faut nécessairement, pour qu'il puisse être atteint par poursuites criminelles, que ces poursuites portent directement, dans le premier cas, sur le fait simple et matériel qui le constitue dans le second, sur les faits singuliers qui,

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par leur concours, forment le fait général qui le caractérise.

» Ainsi, vainement un officier du ministère public poursuivrait-il un particulier comme voleur ou assassin, sans spécifier aucun fait déterminé de vol ou d'assassinat qu'il serait soupçonné d'avoir commis; ces poursuites seraient non-recevables, parcequ'elles signaleraient bien le particulier comme faisant profession de voler ou d'assassiner; mais que, ne lui imputant rien de positif, rien de matériel qui tende à justifier cette imputation, elles ne pourraient passer, aux yeux de la justice, que pour une de ces injures qui, aux termes de l'art. 375 du Code pénal, ne renferment l'imputation d'aucun fait précis, mais celle d'un vice déterminé, et prennent en conséquence le caractère de calomnie, lorsqu'elles sont insérées dans des écrits ; de ma. niere que l'officier du ministère public qui aurait l'imprudence d'intenter de pareilles poursuites, pourrait être pris à partie et actionné à son tour comme calomniateur.

» Pour rendre ceci plus sensible, rapprochons l'art. 375 du Code pénal, que nous venons de citer, de quelques-uns de ceux qui le précédent.

» L'art. 367 déclare coupable de délit de calomnie celui qui, soit dans des lieux ou réunions publiques, soit dans un acte authentique et public, soit dans un écrit imprimé ou non qui aura été affiché, vendu ou distribué, aura imputé à un individu quelconque des faits qui, s'ils existaient, exposeraient celui contre lesquels ils sont articulés, à des poursui tes criminelles ou correctionnelles, ou même l'exposeraient seulement au mépris ou à la haine des citoyens.

» L'art. 368 répute fausse, toute imputation à l'appui de laquelle la preuve légale n'est point rapportée.

» L'art. 370 ajoute que, lorsque le fait imputé sera légalement prouvé vrai, l'auteur de l'imputation sera à l'abri de toute peine; mais il n'admet comme preuve légale, que celle qui résulterait d'un jugement ou de tout autre acte authentique.

Et par suite de cette disposition, l'art. 372 déclare que, lorsque les faits imputés seront PUNISSABLES SUIVANT LA LOI, et que

l'auteur de l'imputation les aura dénoncés, il sera, durant l'instruction sur les faits, sursis à la poursuite et au jugement du délit de calomnie; et en effet, on sent que, si, par le résultat du procès criminel, l'imputation des faits punissables, qui a été suivie d'une dénonciation en justice, se trouve fondée, elle rentre de plein droit dans le cas prévu par l'art. 370, et qu'étant prouvée vraie d'une manière

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>> Cette question, comme l'on voit, revenait, en d'autres termes, à celle-ci : traiter quelqu'un de voleur, est-ce lui imputer des faits punissables suivant la loi, ou n'est-ce que lui faire une de ces injures dont il s'agit dans l'art. 375? Car le sursis ordonné par l'art. 372, en cas de dénonciation en justice de faits punissables suivant la loi, dont il y est parlé,ne peut pas avoir lieu, lorsque l'imputation ne porte que sur des vices déterminés.

» Or, il est jugé nettement par un arrêt de la cour de cassation, du 27 juin 1811, rapporté dans le Répertoire de jurisprudence, au mot Injure, §. 3, no 4, que, traiter quel qu'un de voleur, sans attacher immédiatement à cette imputation injurieuse par ellemême, l'articulation formelle et précise de faits de vols materiels, ce n'est pas lui im puter des faits punissables suivant la lot, mais bien lui reprocher un vice déterminé, qui ne peut être l'objet de preuves légales ni d'un jugement.

» Et l'on voit tout de suite sortir de cette décision une conséquence aussi importante que palpable: c'est que le réquisitoire par lequel un officier du ministère public dénoncerait quelqu'un, en termes vagues, comme voleur, ne pourrait pas servir de base à une instruction ayant pour objet de rechercher des faits précis et matériels de vol, à l'effet de justifier cette dénonciation.

"

» Mais s'il en est ainsi de l'imputation de la qualité de voleur, comment pourrait-il en être autrement de l'imputation de la qualité d'usurier, ou, ce qui revient au même, de l'habitude d'Usure?

» Imputer à quelqu'un la qualité de voleur, c'est bien certainement lui imputer une habitude de vol: c'est donc faire, par rapport au vol, ce qu'on fait par rapport à l'Usure, lorsqu'on en impute à quelqu'un l'habitude.

» Donc, de même qu'imputer à quelqu'un l'habitude de vol, sans articuler des faits de vol matériel, ce n'est pas lui imputer un fait punissable suivant la loi, mais seulement un vice déterminé, qui n'est susceptible, ni de preuves légales, ni d'un jugement; de même aussi imputer à quelqu'un l'habitude d'Usure, sans articuler de faits précis caractérisant

cette habitude, c'est tout simplement lui imputer un vice déterminé, qui, énoncé vaguement, ne peut donner lieu à aucune poursuite régulière.

» Donc, l'officier du ministère public qui requiert, pour habitude d'Usure, des poursuites non étayées de faits précis et matériels articule bien contre la personne qu'il dénonce ainsi, un vice déterminé, mais ne dénonce pas légalement des faits punissables suivant la loi, et se permet seulement une injure répréhensible.....

Vainement, pour justifier l'arrêt attaqué, viendrait-on dire, avec la cour royale de Caen, que la loi n'a point spécifié la manière dont le fait général d'habitude d'Usure doit être énoncé dans les poursuites qui tendent à le réprimer; que d'ailleurs la loi n'a point attaché de peine de nullité aux irrégularités qui pour. raient se trouver dans les citations en matière correctionnelle; et que, dès-lors, les poursuites dirigées contre le sieur Chancerel, ne peuvent pas être annulées, sous le prétexte que ce fait n'y est énoncé que d'une manière vague! » Il y a certainement nullité toutes les fois qu'il y a incompétence. L'incompétence est même expressément rangée, par l'art. 408 du Code d'instruction criminelle, parmi les vices qui donnent ouverture à la cassation.

Or, que fait un procureur du roi qui poursuit une prétendue habitude d'Usure, sans connaitre encore, ou du moins sans spécifier avec précision, les faits dont il entend la faire résulter ?

» Il fait ce que ferait un procureur du roi qui poursuivrait une prétendue habitude de vol, sans articuler aucun fait portant le caractère de vol matériel ;

» C'est-à-dire qu'il poursuit, comme punissable suivant la loi, un fait que la loi n'atteint point;

» C'est-à-dire, par conséquent, qu'il exerce son ministère de provocateur à la vindicte publique, sur un fait qui, par sa nature, en est à l'abri ;

» C'est-à-dire, par une conséquence ultérieure, qu'il transgresse la ligne qui forme la démarcation de son ministère, qu'il s'immisce dans un fait qui est hors de son attribution, qu'il excède les pouvoirs dont la loi l'a investi, et qu'il agit incompétemment.....

» Plus vainement ajouterait-on, avec la cour royale de Caen, que, si les réquisitoires du ministère public n'ont pas donné au sieur Chancerel une connaissance suffisante des faits constitutifs du délit dont il est inculpé, du moins il a pu les connaître par l'information, soit parceque les dépositions de témoins entendus dans l'instruction antérieure à sa mise

en accusation pour crime de faux, lui ont été
délivrées en copie, soit parceque les déposi-
tions des témoins entendus dans l'instruction
postérieure à l'arrêt de la cour d'assises du dé-
partement de la Seine-Inférieure, qui l'a ac-
quitté de cette accusation, sont restées en dé-
pôt au greffe, où il a pu en prendre communi-
cation pour préparer ses moyens de défense.
» 1o On vient de voir que les poursuites
dirigées par le ministère public contre le sieur
Chancerel, sont nulles, par cela seul qu'elles
ne portent que sur un prétendu vice indé-
terminé, ou, en d'autres termes, par cela
seul qu'elles ne spécifient pas les faits sin-
guliers qui pourraient seuls donner à ce vice

le caractère d'un délit.

» Or, dès que le sieur Chancerel est fondé à regarder ces poursuites comme nulles, il ne doit pas s'inquiéter de ce qui s'en est ensuivi : assuré, comme il l'est, que la loi elle-même veille pour lui, doit se reposer sur la nullité dont elle frappe ces poursuites; il doit compter avec une pleine certitude que cette nullité s'étendra sur tout ce qui sera fait en conséquence; et tant que cette nullité ne sera pas réparée par des poursuites refaites entièrement à neuf, tant qu'il ne l'aura pas couverte lui-même par son propre fait; peu lui importe ce que contiennent des informations qui, sorties d'une source illégale, ne peuvent jamais acquérir un caractère de légalité.

>> Cela est si vrai que, quand même ses papiers domestiques renfermeraient des preuves directes de faits singuliers propres à former, par leur ensemble, un corps de délit d'habitude d'Usure, il suffirait qu'ils eussent été saisis illégalement sur lui, il suffirait qu'au moment où ils lui ont été enlevés, il n'existât encore contre lui que des poursuites illégales, pour que l'on ne pût en faire usage contre lui dans l'instruction dont ces poursuites ont été suivies; car, règle générale, toute preuve acquise par de mauvaises voies, doit être rejetée par la justice: c'est ainsi que, par un arrêt célèbre du mois de mars 1666, rapporté dans le recueil de Catellan, liv. 9, chap. 4, le parlement de Toulouse a rejeté, d'un procès en simonie sur lequel il avait à statuer, une lettre missive de l'accusé, qui contenait la preuve du fait, mais que l'on ne s'était procurée que par une perquisition illégale dans le cabinet de son procureur.

» 20 Les faits que le sieur Chanceret ne peut trouver que dans les réquisitoires de la partie publique qui le poursuit, et qu'il y cherche vainement, il les chercherait non moins vainement dans les informations auxquelles le renvoie l'arrêt attaqué. Comment,

en effet, se reconnaîtrait-il au milieu de ce fatras de déclarations dont elles se composent? Dans la foule presque innombrable de ces déclarations, à laquelle s'attacherait-il? Serait-ce à celles qui en forment la partie la plus considérable, mais qui portent sur des faits antérieurs à la loi du 3 septembre 1807, et, par conséquent, se réfèrent à une époque où l'intérêt conventionnel n'était pas encore réglé? Il est bien évident qu'elles sont étrangères aux procès. Serait-ce à celles qui ne l'inculpent pas du tout? Elles sont certainement insignifiantes. Serait-ce à celles qui paraissaient l'inculper? Mais que sait-il si le ministère public les regarde toutes du même œil ? Que sait-il si, frappé de l'incohérence de celles-ci, et de la partialité dont celles-là portent manifestement l'empreinte, le ministère public ne tiendrait pas à honneur de ne pas employer contre lui des faits qu'elles énoncent? Et dès là, comment distinguer les faits que le ministère public fera valoir d'avec ceux qu'il laissera de côté? Comment, dès là, préparer ses moyens de défense? Et peut-on sé rieusement se flatter de couvrir par d'aussi pitoyables palliatifs l'infraction à ce grand principe, d'après lequel il faut que le prévenu d'un délit sache, avant tout, quels faits on lui impute, qu'il en soit instruit par l'acte même qui constitue la prévention, et qu'il ne soit pas réduit à chercher ces faits dans des informations où il doit n'en chercher que les preuves.

» 30 Y a-t-il un seul magistrat en France qui eût le courage d'opiner pour la validité d'un acte d'accusation par lequel un procureur général s'exprimerait ainsi : il résulte de la procédure instruite contre un tel, qu'il s'est rendu coupable d'assassinat. Le fait, le jour, l'heure, les circonstances, le nom de La personne homicidée, tout est exposé dans les informations auxquelles on croit devoir se référer. En conséquence, un tel est accusé d'avoir commis l'assassinat mentionné dans ces informations, avec les circonstances qui y sont énoncées ? Y a-t-il un seul magistrat en France qui, pour juger valable un pareil acte d'accusation, eût le courage de dire : Il est vrai qu'aux termes de l'art. 241 du Code d'instruction criminelle, l'acte d'accusation doit exposer, outre la nature du délit, qui forme l'objet de l'accusation, le fait et toutes les circonstances qui peuvent diminuer ou aggraver la peine. Mais cet article ne contient pas la peine de nullité ? Non, cela est impossible, parceque cela serait absurde, parceque nul ne peut ne pas sentir qu'un acte d'accusation qui ne renferme pas ces détails substantiels, n'est pas plus un acte d'accusation qu'un

jury réduit à onze membres, au lieu de douze dont il est composé, n'est un jury véritable. » Il faudrait pourtant tenir un pareil acte d'accusation pour valable, si l'on pouvait ici avoir égard au motif de l'arrêt de la cour royale de Caen qui supplée, par les informations, au silence que gardent, sur les faits constitutifs du délit d'habitude d'Usure, les réquisitoires dirigés par le ministère public contre le sieur Chancerel.

» Il le faudrait même à fortiori, car le silence que le sieur Chancerel reproche à ces réquisitoires, offre un vice de plus que celui dont on serait fondé à arguer un acte d'accusation ainsi rédigé. Dans cet acte d'accusation, du moins, se trouverait exposé, en gros, un fait qualifié de crime par la loi, et dont par conséquent la connaissance appartiendrait à la justice criminelle; au lieu que, dans les réquisitoires dont il s'agit, le fait général d'habitude d'Usure qui y est énoncé sèchement, au lieu d'y former la conséquence de faits particuliers et positifs articulés avec précision, ne peut, par lui-même, et pris abstractivement, être considéré que comme un vice déterminé, et qu'il est, comme tel, hors de la compétence des tribunaux ».

Ces moyens étaient spécieux ; mais examinés de près, ils tombaient d'eux-mêmes.

D'abord, comment aurait-on pu annuler le réquisitoire du ministère public, du 26 août 1816, sous le prétexte que les faits constitutifs du délit d'habitude d'Usure, n'y étaient pas énoncés? Le ministère public est chargé, par l'art. 22 du Code d'instruction criminelle, de la recherche et de la poursuite des délits. Il a donc le droit de rechercher les délits avant de les poursuivre; il peut donc, ou plutôt il doit, toutes les fois que des faits portant le caractère de délit, lui sont dénoncés même vaguement, requérir le juge d'instruction d'appeler et entendre les témoins qui peuvent en avoir connaissance. Et il n'importe que chacun de ces faits, pris à part et isolement, constitue par soi un delit, ou qu'ils ne le constituent que par leur ensemble : dans un cas comme dans l'autre, le droit, et par conséquent le devoir du ministère public sont nécessairement les mêmes.

Il suffisait d'ailleurs, pour réfuter complète: ment le système du sieur Chancerel, de s'en tenir à la comparaison qu'il faisait du cas où un individu est dénoncé vaguement comme voleur, avec celui où il est dénoncé vaguement comme usurier; car, bien certainement le ministère public peut et doit, lorsqu'un individu lui est signalé comme voleur d'habitude, requérir le juge d'instruction d'ouvrir une in

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