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employait cet esprit, mais bien à soutenir quelque incroyable paradoxe, auquel il finissait par donner toutes les apparences du vrai par la subtilité des déductions et l'appropriation de détails confirmatifs de la donnée primitivement fausse. Il n'eut dans ce genre, qui rappelle les exercices des sophistes grecs, d'autre rival que Méry. Ces jeux de la pensée demandent toute la souplesse d'or. ganisation des méridionaux.

Si notre mémoire ne nous trompe, le début de Gozlan dans le livre fut un roman intitulé les Intimes, d'un style chaud et passionné, qui fut lu avidement. Le Médecin du Pecq, les Nuits du Père-Lachaise, Aristide Froissard, et d'autres romans, prouvèrent que Gozlan n'avait pas seulement de l'esprit, mais qu'il savait écrire un ouvrage de longue haleine, intéressant, rempli de piquantes observations et de peintures curieuses. Nous avouons pourtant que ce que nous préférons de lui, ce sont trois petites nouvelles, des chefs-d'œuvre, des diamants de la plus belle eau, sertis dans la plus fine monture : la Frédérique, histoire d'une tasse en porcelaine de Saxe; Rog, où l'on raconte les malheurs d'un chien; le Croup, où l'on voit la mort d'un enfant, et que nous n'avons jamais pu lire que la poitrine oppressée, la gorge étranglée de sanglots, et les yeux pleins de larmes. Gozlan excelle aussi dans les contes orientaux. Son style alors ressemble à ces vitrines de la Compagnie des Indes aux expositions universelles l'or, l'argent, les perles, les diamants, les saphirs, les paillons, les ailes de scarabée y luisent sur le fond disparu du brocart et du cachemire. Il fait aussi très-bien la marine, témoin l'Histoire de cent trente femmes. Mais ce n'est là que la moitié de cette vie littéraire. Gozlan eut toujours des aspirations vers le théâtre, contrairement à la plupart des romantiques, qui préféraient donner leur spectacle

dans un fauteuil à le produire sur la scène après les mutilations demandées par les directeurs et les concessions nécessaires faites aux philistins du parterre et des loges. Il s'obstina et fit bien. La Main droite et la Main gauche fut un des grands succès de l'Odéon et prouva, malgré l'opinion des charpentiers dramatiques, qu'un romancier pouvait faire une pièce. Son répertoire est assez nombreux, et une petite pièce, Une tempête dans un verre d'eau, paraît souvent sur l'affiche du ThéâtreFrançais.

Le Lion empaillé fut joyeusement accueilli aux Variétés. Mais, quoiqu'il ait obtenu de véritables et fructueux succès sur diverses scènes, nous aimons mieux le Gozlan du livre et du journal que celui du théâtre. Il était de sa nature ce qu'on appelle, dans le jargon moderne, un paroxyste, c'est-à-dire un tempérament poussant tout au paroxysme et à l'outrance, le paradoxe, la fantaisie, let style, la couleur, l'esprit. Il trouvait tout froid, tout plat, tout insipide et sans relief, et, avec une énergie incroyable, il haussait le diapason naturel des choses et écrivait sur des portées impossibles pour tout autre. Dûlon nous taxer de marinisme et de « gongorisme, » nous avouons que cette recherche extrême et pleine de trouvailles nous va mieux que les idées communes coulées comme une pâte baveuse dans le gaufrier du lieu com

mun.

Mais c'est assez de littérature comme cela, toute analyse critique est superflue, sinon déplacée. Ce qu'il y a de sûr, c'est que nous ne reverrons plus l'homme que nous avons coudoyė pendant trente ans, avec qui nous étions en sympathie d'idées, que nous rencontrions au foyer des théâtres, aux réunions et aux diners intimes, et qui faisait partie de l'ordre du Cheval rouge, institué par Balzac pour réaliser dans la vie les merveilles de l'association

des Treize. Depuis la fondation de l'ordre, sans compter Balzac, le grand maître, ce qu'il est mort de simples Chevaux rouges, nous n'osons le dire. Le banquet réunirait à peine trois ou quatre personnes. On peut affirmer aussi que le ciel parisien a perdu une de ses vives étoiles qui scintillaient sur son azur noir d'un éclat infatigable, et que ce petit point brillant comme un diamant en combustion sera plus difficile à remplacer qu'on ne pense.

(LE MONITEUR, 17 septembre 1866.)

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Philoxene Boyer, que nous aurions pris pour un vieillard, nous son aîné de beaucoup, si nous ne l'avions connu tout jeune, il n'y a pas longtemps de cela, a épuisé, chose rare à cette époque de personnalité extrême, un beau talent et une très-grande science dans. l'admiration des autres, avec un si parfait oubli de soi qu'il n'a songé ni à sa fortune ni à sa gloire. Il a brûlė comme un trépied plein d'encens et de charbons devant les statues du génie, devant les dieux de l'intelligence, jetant dans la flamme son temps, son travail, sa pensée, sa vie, son âme, tout ce que peut sacrifier un homme à ce qu'il adore. Semblable à ces amantes de la mythologie qui voulaient voir le dieu à qui elles s'étaient abandonnées dans tout l'éclat de ses rayons, de ses éclairs et de ses foudres, dussent-elles tomber réduites en cendres sous un embrasement suprême, Philoxène Boyer a souhaité contempler l'Esprit sans voile; il l'a vu et s'est affaissé sur les marches du sanctuaire.

Il admira c'est là son titre, son caractère, son honneur, ce qui le détache de la foule et en fait un être

tout à fait à part. Il consacra à des cultes exaltés, sans en rien réserver pour lui-même, des facultés de premier ordre. La passion de l'art le perdit. Il mourut victime de l'idéal, et cette noble fin on pouvait la prédire. A le voir si pâle, si frêle, si courbé déjà sous ses longs cheveux blancs précoces, les vers mélancoliques du comte de Platen vous revenaient involontairement en mémoire :

Il noue avec la Mort une trame secrète

Le mortel dont les yeux ont contemplé le beau!

Contrairement à l'habitude des poëtes, dont les débuts sont si pénibles et qui dépensent les plus belles années de leur jeunesse en luttes sourdes, en misères inavouées, Philoxène Boyer entra dans la littérature par la porte d'or, une porte qui ne tourne pas souvent sur ses gonds, il faut le dire. Fils d'un inspecteur d'académie à qui l'on doit d'excellentes traductions du grec, Philoxene vint à Paris de Grenoble, si nous ne nous trompons, ayant en portefeuille, mêlée à des vers et à des plans de drame, une petite fortune dont la rente l'eût fait vivre plus tard, si au lieu d'être un poëte plein de rêves `il eût été un philistin rangé, bercé dans le giron et sur les genoux de la science. Il était à vingt ans latiniste comme M. Patin, helléniste comme M. Hase; Bélise l'eût embrassé pour l'amour du grec. Ce romantique, chose plus commune qu'on ne pense, avait fait les plus fortes études classiques; s'il adorait Shakspeare, ce n'était pas faute de connaitre Eschyle, qu'il expliquait à livre ouvert, et il savait par cœur les odes de Pindare comme celles de Victor Hugo.

C'était alors un jeune homme délicat, mince, nerveux, aux mains et aux pieds d'une finesse toute féminine; il avait de longs cheveux d'un blond de lin qui, rejetés en

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