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maine, et aussi, il faut l'avouer, pour une négligence de plus en plus grande de forme et de facture.

Après la publication des Recueillements poétiques, vibrations prolongées, derniers échos des Meditations et des Harmonies, le poëte dit ádieu à la muse et posa sa lyre pour ne plus la reprendre. Un désir de vie pratique et d'action s'empara de lui. Il avait été attaché d'ambassade et garde du corps, il voulut être député. Les gens qui se croient sérieux parce qu'ils sont prosaïques, ignorant que la poésie seule agit sur l'âme et que l'imagination entraîne la foule, ricanèrent en voyant le rêveur qu'on appelait « le chantre d'Elvire » aborder la tribune; mais on comprit bientôt que qui sait chanter sait parler, et que le poëte est une bouche d'or. De ces lèvres harmonieuses les discours s'envolèrent ailés, vibrants, ayant comme l'abeille le miel et l'aiguillon. La poésie se transforme aisément en éloquence; elle a la passion, la chaleur, l'idée, le sentiment généreux, l'instinct prophétique, et, quoi qu'on en puisse dire, cette raison haute et suprême qui plane sur les choses et ne laisse pas troubler la vérité générale par l'accident.

Les Girondins firent une révolution ou du moins y contribuèrent pour une large part. Lamartine se trouva en face des flots qu'il avait déchaînés et qui arrivaient jusqu'à ses pieds, pleins d'écume, de rumeurs roulant dans leurs plis furieux les débris de la monarchie noyée. Il accepta cette mission de haranguer la mer en tumulte, de dialoguer avec la tempête, de retenir la foudre dans le nuage. Mission dangereuse accomplie en gentilhomme et en héros. On put voir alors que tous les poëtes n'é⚫taient pas lâches comme Horace, qui s'enfuit du champ de bataille non bene relicta parmula. Il avait charmė les instincts farouches, et l'émeute séduite venait gronder sous son balcon pour le faire sortir, le voir et l'entendre.

Dès qu'il paraissait, la foule faisait silence; elle attendait quelque noble parole, quelque conseil austère, quelque pensée généreuse, et elle se retirait satisfaite, emportant un germe de dévouement, d'humanité et d'harmonie.

Le poëte s'exposait à la balle qui pouvait partir du fusil d'un utopiste trop avancé ou d'un fanatique trop arriéré avec cet élégant dédain du gentilhomme méprisant la mort comme vulgaire et commune, dandysme supérieur difficilement imité des bourgeois. S'il s'était lui-même volontairement jeté dans ce gouffre, c'est qu'il n'y avait aucun intérêt et devait à coup sûr s'y perdre. On vit, chose étrange dans une civilisation moderne, un homme jouer en pleine lumière et de sa personne le rôle d'un Tyrtée modérateur, d'un Orphée dompteur de bêtes féroces, doctus lenire tigres, poussant au bien, éloignant du mal, et faisant planer sur le désordre l'idée de l'harmonie et de la beauté. Sans police, sans armée, sans aucun moyen répressif, il maintint par la poésie pure tout un peuple en effervescence, il dit à la république extrême ce mot sublime : « Le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec nos gloires; le drapeau rouge n'a fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple. » Et les trois couleurs continuèrent à flotter victorieusement dans l'air.

A ce jeu, il dissipa son génie, sa santé, sa fortune, avec la plus généreuse insouciance. Il fit le plus grand effort humain qui jamais ait été essayé il tint seul contre une foule sans frein. Pendant quelques jours, il sauva la France et lui donna le temps d'attendre des destins meilleurs; et comme rien n'est ingrat comme la peur quand le péril est passé, il perdit sa popularité. Ceux qui lui devaient leur tête, peut-être, leur richesse et leur sécurité, à coup sûr, le trouvèrent ridicule lorsque, après

avoir jelė au vent, à leur profit, tous ses trésors, avec la noble confiance du poëte qui croit pouvoir redemander un drachme pour un talent à ceux qu'il a charmés et préservés, il s'assit sur le seuil de sa fortune écroulée, et, tendant son casque, dit: Date obolum Belisari. La dette était derrière lui qui lui poussait le coude.

Certes il était assez grand seigneur pour jouer avec le créancier la scène de Don Juan et de M. Dimanche, mais il ne le voulut pas, et la France eut ce spectacle triste du poëte vieillissant, courbé depuis l'aube jusqu'au soir sous le joug de la copie productive. Ce demi-dieu qui se souvenait du ciel fit des romans, des brochures et des articles comme nous. Pégase traçait son sillon, traînant une charrue que d'un coup d'aile il eût emportée dans les étoiles.

(JOURNAL OFFICIEL, 8 mars 1869.)

LOUIS BOUILHET

NE EN 1824 - MORT EN 1569

La muse n'eut pas de desservant plus fidèle que Louis Bouilhet. Il ne prit qu'une fois la plume de la prose pour écrire Faustine, et ce fut plutôt pour se conformer aux exigences d'un théâtre où les vers n'ont guère de chance d'être joués, que pour suivre son propre goût. Avant toute chose Louis Bouilhet était un poëte dans le sens strict du mot, et s'il aborda la scène ce ne fut pas d'un premier mouvement, comme les dramaturges d'instinct. Il y vit un moyen de s'y faire entendre de ce public qui ne prête pas volontiers l'oreille à la poésie pure.

Par ses admirations et ses doctrines, Louis Bouilhet, quoique venu beaucoup plus tard, se rattache au groupe romantique. Il eût été, certes, un des plus fervents adeptes du Cénacle, dispersé depuis bien longtemps déjà lorsqu'il descendit dans l'arène. Il avait pour l'art cet amour sans réserve qui caractérisait la jeune école à ses débuts, et malgré la Nécessité aux mains pleines de clous d'airain, il ne fit jamais aucune concession au métier, il n'épargna ni temps, ni peine pour revêtir ses conceptions de la seule forme qu'il jugeât souveraine

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et définitive. Toute son œuvre est sculptée dans le pur marbre blanc du vers, à une exception près que nous avons signalée, et encore la prose de Faustine, avec ses tournures antiques et ses phrases cadencées, ressemblet-elle à de la poésie.

Louis Bouilhet était né à Cany, le 27 mai 1824; il fit au collège de Rouen de brillantes études, et étudia quatre ans la médecine, sous la direction de M. Flaubert père; c'est là qu'il contracta, avec le futur auteur de Madame Bovary et de Salammbô, une amitié qui ne connut aucun nuage et laissera d'éternels regrets dans l'âme du survivant. Il débuta, en 1854, par un poëme intitulé Melænis, qui à nos yeux est un de ses titres de gloire les plus incontestables. Pour beaucoup de monde, Bouilhet est l'auteur de Madame de Montarcy, d'Hélène Peyron et de la Conjuration d'Amboise, et l'on ignore assez généralement qu'outre Melanis il a fait les Fossiles, un grand poëme cosmogonique, et Festons et Astragales, un délicieux volume de vers du plus charmant caprice. En France, le théâtre accapare toute l'attention, et la poésie, pour être visible, a besoin que les feux de la rampe l'illuminent.

Bouilhet, dramaturge, a brillé dans la pleine lumière; Bouilhet, poëte, est resté un peu dans l'ombre. A côté de son talent, moins éclairé que l'autre, nous avons essayé de le faire ressortir en quelques lignes, qu'on nous permettra de citer : « Melanis est un poëme romain où se révèle, dès les premiers vers, une familiarité intime avec la vie latine. L'auteur se promène dans la Rome des empereurs, sans hésiter un instant, du quartier de Suburre au mont Capitolin. Il connaît les tavernes où, sous la lampe fumeuse, se battent et dorment les histrions, les gladiateurs, les muletiers, les prêtres saliens et les poëtes, pendant que danse quelque esclave sy

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