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rejeté son capuchon en arrière: les boucles de sa noire chevelure retombent en désordre sur son front pâle qu'on dirait entouré des serpents les plus noirs dont la Gorgone ait jamais ceint sa tête, car il a refusé de prononcer les vœux du couvent, et laisse croître ses cheveux mondains. >> Jamais plus belle dessein de ce mot tique.

illustration

nous nous servons à

ne fut faite d'après un type poé

Rappelons aussi la Lénore regardant aux portes de la ville défiler l'armée où manque son amant. Le peintre, sans doute dans l'intérêt du costume, s'était permis un léger anachronisme en reculant de deux ou trois siècles l'époque que fixe Burger à l'histoire fantastique racontée dans sa ballade, mais la figure de Lénore respirait la plus vive douleur, et le tableau avait un charme tout romantique.

Le Roi de Thule, Eberhart le larmoyeur appartiennent encore à cette première période; on admira beaucoup la tête pâle et suave du jeune homme couché dans son armure; rarement la mort eut plus de grâce, et devant ce tableau on pensait à ces vers de lord Byron, placés au commencement du Giaour, sur la beauté suprême qui précède l'heure de la décomposition chez les gens dont la vie a été violemment interrompue.

A dater de là, Ary Scheffer parut subir une influence qui lui fit changer sa manière. Sans doute, arrivé au sommet de son talent, chaque maître s'arrête, contemple la route parcourue et se recueille en lui-même. Il sent le besoin de prendre une décision; selon sa nature, il se calme ou s'exalte; il se bride ou s'éperonne; quelques-uns restent sur le plateau, d'autres se mettent à gravir une cime plus haute. Pour que cette crise ne soit pas fatale, il faut que l'artiste pris d'admiration

pour un autre ne renonce pas à lui-même, et ne cherche pas la perfection en dehors de ses moyens.

Certes, M. Ingres est un de ces modèles qu'on peut proposer sans crainte à de jeunes élèves. Il a la grande tradition de l'art, le sentiment de l'antique, le dessin, le style, mais nous le croyons dangereux pour les talents déjà formės. Ary Scheffer, à notre avis, se préoccupa trop de cet artiste souverain. La Marguerite sortant de l'église, montra chez le peintre jusque-là romantique, une netteté un peu sèche de contours que ne justifiait pas une correction suffisante. Faust voyant le fantôme de Marguerite au Sabbat est conçu dans le même style; une couleur pâle comme celle d'un lavis s'étend dans des lignes arrêtées; le sujet, ce nous semble, exigeait plus de mystère, et l'ombre blanche qui porte au col une raie rouge large comme le dos d'un couteau eût gagné à moins de rigueur. Repentant de sa négligence primitive, Ary Scheffer voulait dessiner, mais on ne remonte pas après coup de la couleur au dessin, qui veut une disposition particulière et de longues années de travail à l'âge où l'on étudie et non à celui où l'on exécute. Quand on fait, on doit savoir. Ce n'est plus le moment d'apprendre, et Ary Scheffer eut tort de quitter en pleine réputation la manière vague, floue, pleine de grâce et de morbidesse qui faisait son originalité et se prêtait merveilleusement à rendre ses idées, plus littéraires que plastiques. A ce changement il perdit la couleur, le clairobscur, la touche, et ne gagna pas la ligne; pourtant le succès lui resta fidèle: c'est qu'Ary Scheffer ne pouvait abdiquer son âme. Francesca et Paolo passant sur le fond noir de l'enfer comme deux colombes blessées, saisirent l'imagination du public. Il ne voulut voir que la poésie de l'idée et ne remarqua pas la pauvreté du dessin ou l'insuffisance du modelė. Mignon regrettant la patrie,

Mignon aspirant au ciel, ne ressemblent pas beaucoup au type vivace, vraiment féminin et peu céleste tracé par Goethe dans les années d'apprentissage et de voyage de Wilhelm Meister; on a peine à reconnaître cette figure mélancolique, langoureuse, spiritualisée outre mesure, l'ardente nostalgie de la petite fille précoce qui exécutait la danse des œufs en trousses de page, et se glissait la nuit dans la chambre du bien-aimé Wilhelm, mais non pas sur un rayon de lune. Cependant la Mignon d'Ary Scheffer est tellement acceptée, qu'elle s'est substituée peu à peu à la création du poëte, et qu'un véritable portrait d'elle ne serait plus aujourd'hui trouvé ressemblant par personne, murmurât-il avec une passion toute méridionale :

Connais-tu le pays où les citrons mûrissent?

Dans le Christ rémunérateur, Ary Scheffer fit un effort suprême pour s'élever au style; la composition est bien agencée; l'idée, quoique plus humanitaire que religieuse, pouvait fournir de beaux motifs à la peinture. Mais chez notre artiste, la main trahissait souvent le cerveau, et ici l'intention dépasse le rendu. Dante et Béatrix, saint Augustin et sainte Monique continuent ce système d'émaciation et d'allongement où le corps disparaît sous des draperies à plis droits pour laisser toute sa valeur à une tête d'une beauté maladive et frêle levant les yeux au ciel; mais ce n'est pas l'heure de discuter techniquement l'œuvre de l'artiste célèbre sur qui la tombe vient de se fermer. Ary Scheffer laisse une réputation que d'admirables gravures augmenteront encore, car elles ne traduisent que ses qualités : le burin excelle surtout à rendre l'idée d'un tableau, et les tableaux d'Ary Scheffer ne sont que des idées pures. Qu'on lui préfère Ingres, Delacroix,

Decamps, tous les complets, tous les robustes, rien de plus juste; pourtant sa place n'est pas à dédaigner. Il fut comme le Novalis de la peinture, et s'il n'eut pas le tempérament d'un artiste, il en eut l'âme; sa vie, honorable entre toutes, ne connut que de nobles aspirations: la foi, la pensée, le travail, la reconnaissance l'occupèrent jusqu'au dernier moment. Finissons par un mot : Ary Scheffer était un poëte transposé. Dante, Goethe, Byron furent ses maîtres plus que Michel-Ange, Raphaël ou Titien: il peignit d'après leurs conceptions, peut être devait-il chanter comme eux !

(L'ARTISTE, 1858.)

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Nous ne nous arrêterons pas aux détails biographiques; nous n'avons connu de l'homme que ses œuvres, et c'est de ses œuvres que nous allons nous occuper, dans leur sens, leur valeur et leur individualité, car l'analyse des toiles brossées par cet infatigable travailleur exigerait un volume entier et non un simple article.

Une chose remarquable, c'est que les ardentes querelles d'art qui ont agité la première partie de ce siècle n'aient pas enrégimenté Horace Vernet dans un de leurs camps. Aucune école ne l'a revendiqué, ni celle du style, ni celle de la couleur. L'éloge hyperbolique, l'injure acrimonieuse, qu'on ne se ménageait pas alors de part et d'autre, n'éclaboussèrent même pas son nom. A travers tout ce tumulte, il jouissait tranquillement d'une popularité que n'atteignirent jamais, malgré leur incontestable génie et les efforts de leurs séides, les chefs des écoles rivales. Avec lui, pour la foule, il n'était pas besoin d'initiation préalable; on le comprenait tout de suite, car il possédait une qualité bien rare dont les pédants font peu de cas la vision des choses modernes.

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