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lympe une pièce d'azurite enchâssée dans sa prunelle,* rappelle l'épithète de glaucopis, qu'Homère ne manque jamais d'appliquer à Pallas-Athènè, et prête à son regard une lueur étrange; on dirait un œil vivant qui scintille à travers un masque. Nous aimons assez cette bizarrerie inquiétante; des boucles d'oreille d'or et des pierres bleues accompagnent les joues pâles de la déesse : les bras, taillés d'une seule pièce dans deux énormes défenses d'ivoire fossile, sont d'une rare beauté; la transparence éburnéenne traversée de veines bleuâtres et de blancheurs rosées, joue la chair à faire illusion: on croirait voir la vie courir sous cette belle substance si polie, d'un grain si fin, qui imite le derme délicat d'une jeune femme. Les pieds sont purs de forme, comme des pieds qui n'ont jamais foulé que l'azur du ciel ou la neige étin- celante de l'Olympe. La tunique d'un or pâle, semblable à cet electrum si célèbre dans l'antiquité, descend à plis simples et graves, et fait le plus heureux contraste avec les teintes de l'ivoire; les bas-reliefs du bouclier et des sandales ont bien le caractère hellénique et le serpent Érechthée déroule d'une façon pittoresque ses écailles d'or vert. Au lieu de la Méduse de l'Égide, M. Simart, se fondant sur certains textes, a mis un masque d'Hécate dont la bouche au rictus monstrueux laisse passer quatre crocs, symbole des quatre quartiers de la lune. Nous doutons que Phidias eût placé sur la virginale et robuste poitrine de sa déesse ce mascaron grimaçant, relevant plutôt des religions symboliques de l'Asie que du génie grec. La Victoire que Minerve tient dans sa main et qui fait palpiter éperdument ses frissonnantes ailes d'or est la plus délicieuse statuette chryséléphantine qu'on puisse rêver, et M. Simart a cette ressemblance avec Phidias d'avoir principalement réussi cette figurine.

« L'artiste, poursuivant sa restauration, a restitué sur

je piedestal de sa statue la Naissance de Pandore douée par les dieux comme une princesse de conte de fées, dont on dit que Phidias avait orné le socle de son colosse. Ce bas-relief est charmant et semble détaché d'une frise du temple de la Victoire Aptère, et complète la statue dont la richesse avait besoin de cette base élégante. »>

Dire que, voulant restituer d'après les récits des anciens ce chef-d'œuvre de Phidias, M. de Luynes, le plus fin connaisseur de ce temps-ci, songea à Simart, et mit à sa disposition l'ivoire, l'argent et l'or nécessaires pour ce coûteux travail, c'est faire le plus bel éloge possible de l'artiste; s'il n'a pas réalisé complètement ce rêve, personne du moins n'eût pu en rapprocher plus que lui, de l'aveu même de ses rivaux.

On sait que dans le délire qui précéda sa mort, Simart eut un étrange cauchemar. Il voyait ses cariatides se pencher sur lui comme pour l'étouffer, en statues mécontentes de leur sculpteur; pure modestie de la fièvre, humilité trop grande de l'hallucination! Les statues de Simart n'ont rien à lui reprocher : il les a faites belles, nobles, pures, vivantes de la vie sereine de l'art, au-dessus des agitations contemporaines. Que peuvent-elles lui demander de plus elles n'ont qu'à prendre son âme entre leurs bras de marbre, et à lui dire comme la fiancée de Corinthe à son amant :

Viens! vers nos anciens dieux nous volerons ensemble!

(L'ARTISTE, 1857.)

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On peut réunir dans sa bibliothèque toutes les œuvres d'un poëte ou d'un auteur qu'on aime. L'impression les multiplic assez pour satisfaire leurs admirateurs. Mais les statues et les tableaux, nécessairement uniques, d'un artiste, se dispersent, vont décorer des monuments lointains, occupent des places que souvent on ignore, disparaissent de la circulation, s'enterrent au fond de quelque collection jalouse, quelquefois sont détruits par l'incendie, le temps, le manque de soin, la malveillance ou toute autre cause. Quelque attention qu'on apporte à suivre dans sa carrière un statuaire ou un peintre, toujours quelque production vous échappe; et nous, qui pensions connaître David d'Angers, nous avons été surpris, en feuilletant le recueil de son œuvre1, de la quantité de morceaux inédits, pour nous, qu'il contenait ; car ce fut un rude travailleur que ce David. Ce que, de 1810 à 1855, il a pétri d'argile, taillé de marbre, coulé de bronze, est vraiment prodigieux; on ferait presque un peuple avec ses statues.

L'OEuvre de David d'Angers, publié par M. Haro.

L'ouvrage s'ouvre par un de ces fins crayons où M. Ingres sait créer en quelques traits une ressemblance intime et vivante, et où il se montre sans effort le rival des plus grands maîtres. Le portrait est daté de Rome 1815. David s'y trouvait alors en qualité de lauréat. Son Othryadas mourant lui avait valu un second prix, et son bas-relief de la Mort d'Epaminondas l'envoya dans la ville éternelle. L'Othryadas, malgré son style nécessairement classique, trahit déjà de l'originalité, et ses formes étudiées indiquent la préoccupation du vrai. Le bas-relief de la Mort d'Epaminondas a plus de mouvement que n'en offrent d'ordinaire ces sortes de compositions où l'élève, pour se concilier des juges sévères, cherche plus la sagesse que tout autre mérite.

La Néréide portant le casque d'Achille, bas-relief en marbre, est une figure d'une grâce purement grecque. Dans cet envoi de Rome, daté de 1815, le jeune David, alors âgé de vingt-trois ans, semble subir l'influence exclusive de l'antiquité. Les chefs-d'œuvre de la statuaire grecque et romaine durent l'impressionner vivement et l'emporter sur ses propres instincts. La Néréide vue de dos, couchée sur un dauphin, soulève d'une main le casque d'Achille et de l'autre retient le bout d'une draperie volante dont les plis se chiffonnent et se frangent comme un feston d'écume. La ligne, qui part de la taille ployée, s'arrondit avec la hanche et s'allonge jusqu'à l'orteil, est d'une élégance charmante. Comme pendant à cette figure, David esquissa une Néréide portant le bouclier d'Achille; mais cette composition n'a pas été exécutée définitivement, et c'est dommage. La pose est heureuse. La nymphe chevauchant un monstre marin se présente de face. Ses bras entourent le bouclier avec un mouvement plein de grâce, et ses pieds croisés la tiennent en équilibre sur le flanc de sa monture.

Le Berger (envoi de Rome 1817) est une figure trèssimple, très-naïve, d'une gracilité juvénile qui rappelle un peu la manière du Donatello, mais où le sentiment particulier du maître ne se prononce pas encore; car David fut plus tard un statuaire romantique dans la limite que peut admettre la sculpture, cet art sévère et précis dont le véritable milieu fut l'antiquité avec son polythéisme anthropomorphe. David, dès qu'il fut maître de son outil et de ses moyens, qu'il put exprimer librement son idée, se préoccupa plus du caractère que de la beauté. Les lignes savamment rhythmées des Grecs lui parurent froides et souvent conventionnelles. Il trouva que les têtes antiques, avec leur placidité sereine, manquaient presque toujours d'expression, du moins à nos yeux habitués aux complications de la vie moderne. Il s'inquiéta beaucoup plus qu'aucun statuaire de la face humaine. Pour les sculpteurs en général, la tête n'est qu'un détail du corps; le torse a autant d'importance, sinon davantage. Païens inconscients, ils ne s'attachent pas assez à ce masque transparent où l'âme laisse sa trace visible.

David d'Angers poussa très-loin cette curiosité; il recherchait l'occasion de reproduire en bustes ou en médailles les célébrités contemporaines. Il alla à Weimar pour faire le buste de Goethe, il fit celui de-Chateaubriand, de Béranger, de Lamennais, d'Arago, de Balzac, etc. C'était un plaisir pour lui de voir comment le génie, par une sorte de repoussé, se modèle à l'extérieur, bossèle le crâne et le front de protubérances, martèle, meurtrit et sillonne les joues. Chez lui le physiognomoniste et le phrénologiste se mêlaient au statuaire dans des proportions même un peu trop fortes, car il a souvent exagéré au delà du possible les organes de telle ou telle faculté qu'il croyait découvrir dans son modèle ou

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