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qui y existaient réellement. Ces bustes monumentaux n'en sont pas moins des œuvres du plus grand caractère. Ils passeront à la postérité comme types définitifs et acceptés des illustrations qu'ils représentent. Il est difficile de se figurer Goethe sous une autre apparence que le buste olympien de David d'Angers.

Les profils qu'il pétrissait d'un doigt rapide et sûr avec un vif sentiment de la physionomie formeront le médaillier complet du dix-neuvième siècle; car presque tous les genres de notabilités y ont leurs représentants essentiels; ce n'est pas la partie la moins intéressante de l'œuvre de David d'Angers. Ces médaillons, d'un modelé très-souple, très-fin et très-vrai, ne sont pas du tout conçus au point de vue antique. Le statuaire n'a pas cherché à faire de ses contemporains des médailles de Syracuse; il les accepte avec leurs cheveux longs ou courts, hérissés ou plats, leur calvitie, leurs moustaches, leurs favoris, leur menton rasé, leur collet d'ha bit et leur cravate, s'il le faut, et là il est franchement moderne.

Peu de statuaires se sont autant mêlés au mouvement intellectuel de leur temps. Non que David fût un littérateur; mais des idées l'agitaient, et il croyait qu'il était du devoir de l'artiste de les représenter, ou du moins d'en faire rayonner un reflet sur son œuvre. Aussi vivaitil dans l'intimité des poëtes, et plus d'une ode magnifique témoigne de ces nobles échanges d'admiration fréquents à la belle époque du romantisme. Souvent son marbre lui fut rendu en vers non moins solides et durables. Quant à nous qui croyons que le paros et le corinthe doivent exprimer avant tout la beauté et non telle ou telle idée politique ou philosophique, nous regrettons les peines souvent inutiles que s'est données David d'Angers pour faire cadrer son art avec son système. Heureuse

ment dans son œuvre, grand est le nombre des statues qu'il oublia d'y rattacher.

La jeune fille au tombeau de Marco Botzaris, écrivant du doigt sur la poussière le nom du mort illustre, malgré la préoccupation philhellène du moment, rentre dans les conditions de l'art pur; ce corps charmant, dans sa chaste nudité, a toute la grâce d'une nymphe avec la vérité en plus et une morbidesse qui transforme le marbre en chair. Le Jeune tambour Bara n'a gardé de son uniforme que la baguette qu'il tient encore d'une main mourante, et il montre un torse fin aux formes un peu grêles, aussi délicat et pur que celui d'un Hyacinthe tombé sous le palet d'Apollon. L'Enfant à la grappe, célébré par Sainte-Beuve en vers délicieux sur un vieux rhythme de Ronsard, vaut les rimes qu'il a inspirées. C'est un morceau digne de l'antique. Le Philopomen retirant la flèche de sa blessure, en dépit de son sujet grec, représente un corps tout moderne, mais d'une si profonde étude, d'une vérité si grande, qu'on n'y désire pas ces formes plus pures et plus pleines qu'un statuaire athénien lui eût sans doute données. Cette figure excellente fait le plus grand honneur à David, et elle peut compter au nombre des meilleures qu'aient produites l'art de notre temps.

Une grande question, qui n'est pas résolue encore, passionnait alors les ateliers et les cénacles. Faut-il représenter les personnages de notre époque avec leur costume ou à l'état d'apothéose avec une nudité idéale, comme faisaient les sculpteurs de l'antiquité pour leurs contemporains? Les romantiques, par une sorte de réaction con⚫tre le pseudo-classicisme, étaient pour la vérité absolue du vêtement; ils voulaient l'Empereur en petit chapeau et en redingote grise, et non en pallium de César romain. David d'Angers ne s'est pas nettement prononcé.

Quoique son goût du vrai le fit pencher vers le costume exact, ses instincts de statuaire le rappelaient au nu sans lequel il n'y a pas de véritable sculpture. Ainsi il représente Corneille en habit du temps un peu arrangé dans un manteau et Racine nu sous une chlamyde grecque dont il ramène les plis sur sa poitrine comme un poëte tragique d'Athènes. Le général Foy n'a qu'un manteau, dans la figure qui couronne son monument, mais il est habillé dans le bas-relief qui le représente au milieu de ses contemporains illustres.

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Cette contradiction apparente peut s'expliquer le basrelief reproduit l'homme tel qu'il était, la statue le transforme, le divinise en quelque sorte et représente son génie. Dans son remarquable fronton du Panthéon, David a mêlé les figures allégoriques aux figures réelles. Les premières sont nues ou drapées; les autres conservent le costume du temps. La statue de Talma pourrait être celle de Roscius, mais l'acteur n'a pas de costume propre, et il est permis de donner au plus grand tragédien des temps modernes l'attitude et la nudité antiques. Cependant, plus tard, et sans doute poussé par des raisonnements littéraires, David d'Angers a donné résolument à ses statues de personnages illustres l'habit de l'époque où ils vivaient, et ne pouvant déployer sa science d'anatomiste sous les formes plus ou moins bizarres des vêtements, il a concentré tout son talent dans les têtes et les masques.

A la statue de Bernardin de Saint-Pierre il ajoute un délicieux groupe de Paul et Virginie qui dorment, entrelaçant leurs bras enfantins, sous une plante du tropique : il sculpte de superbes Victoires dans les tympans de l'Arc de triomphe de Marseille; il y taille de grandes figures allégoriques, d'une tournure robuste et magistrale; il accoude de belles femmes à l'œil-de-boeuf du Louvre, et

toutes les fois que l'occasion se présente de faire pleurer un Génie ou une Vertu sur un tombeau, il ne la manque pas; mais, malgré le nombre de ces morceaux, ce qui prédomine dans son œuvre, c'est la représentation de l'homme illustre, la glorification du génie humain. Corneille, Racine, Goethe, Humboldt, Cuvier, Byron, Rossini, Alfred de Musset y ont leur statue, leur buste ou leur médaille. Nous citons au hasard; les guerriers et les politiques tiennent aussi leur place dans ce Panthéon sculptural que David d'Angers fit, de son propre grẻ, souvent pour le marbre ou la fonte, bien des fois pour rien, mû par une admiration, un enthousiasme ou une sympathie.

Sa dernière œuvre fut la statue d'Arago, allongée dans le repos éternel sur le marbre de la tombe. Il était fidèle à la mission de sa vie entière: fixer les traits du génie et lui donner l'éternité la plus longue dont l'art dispose, celle de la sculpture. Ainsi le nom de David d'Angers se trouve lié à ceux de tous les hommes célèbres qui remplirent la première moitié de ce siècle, et il s'inscrit au bas de leur image auguste. Ce fut là son originalité et son caractère distinctif.

(LE MONITEUR, 28 novembre 1859.)

MADEMOISELLE FANNY ELSSLER

On ne s'occupe guère dans les feuilletons que du talent et du jeu des actrices. On n'analyse pas leur beauté, on ne les envisage jamais sous le côté purement plastique. Quelquefois seulement on parle de leur grâce, de leur gentillesse, et c'est tout.

Cependant une actrice est une statue ou un tableau qui vient poser devant vous, et l'on peut la critiquer en toute sûreté de conscience, lui reprocher sa laideur comme on reprocherait à un peintre une faute de dessin (la question de pitié pour les défectuosités humaines n'est pas ici de saison), et la louer pour ses charmes, avec le même sang-froid qu'un sculpteur qui, placé devant un marbre, dit : Voici une belle épaule ou un bras bien tourné.

Aucun feuilletoniste n'insiste sur ce côté important; en sorte que les renommées de jolies actrices se font au hasard, et sont la plupart du temps fort loin d'être méritées; d'ailleurs, beaucoup de ces réputations de beauté durent depuis tantôt un demi-siècle : c'est trop en vérité.

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