Images de page
PDF
ePub

mains royales, faites pour porter le sceptre et pétrir le manche du poignard d'Eschyle et d'Euripide.

Mademoiselle Georges semble appartenir à une race prodigieuse et disparue; elle vous étonne autant qu'elle vous charme. L'on dirait une femme de Titan, une Cybèle mère des dieux et des hommes, avec sa couronne de tours crénelées; sa construction a quelque chose de cyclopéen et de pélasgique. On sent en la voyant qu'elle reste debout, comme une colonne de granit, pour servir de témoin à une génération anéantie, et qu'elle est le dernier représentant du type épique et surhumain.

C'est une admirable statue à poser sur le tombeau de la tragédie, ensevelie à tout jamais.

(LE FIGARO, 26 octobre 1837.).

MADEMOISELLE JULIETTE

La disette de beautés est si grande parmi les femmes de théâtre, qui devraient être un choix entre les plus charmantes, que nous sommes obligés d'aller chercher loin de la scène, dans le demi-jour de la vie privée, une blanche et svelte figure dont les rares apparitions ont laissé un vif souvenir à tous les gens qui s'inquiètent encore en ce siècle de la grâce, de la finesse et de l'élégance, et qui lisent de ravissants et d'harmonieux poëmes dans une inflexion de ligne, dans un geste, dans une œillade, dans une certaine manière de retirer ou d'avancer le pied; choses, après tout, bien plus sérieuses et plus importantes que les niaiseries prétentieuses dont s'occupent les hommes graves.

C'est dans le petit rôle de la princesse Negroni de Lucrèce Borgia que mademoiselle Juliette a jeté le plus vif rayonnement. Elle avait deux mots à dire et ne faisait en quelque sorte que traverser la scène. Avec si peu de temps et si peu de paroles elle a trouvé le moyen de créer une ravissante figure, une vraie princesse italienne au sourire gracieux et mortel, aux yeux pleins d'enivre

ments perfides; visage rose et frais qui vient de déposer tout à l'heure le masque de verre de l'empoisonneuse, si charmante d'ailleurs qu'on oublie de plaindre les infortunės convives, et qu'on les trouve heureux de mourir après lui avoir baisé la main.

Son costume était d'un caractère et d'un goût ravissants une robe de damas rose à ramages d'argent, des plumes et des perles dans les cheveux; tout cela d'un tour capricieux et romanesque comme un dessin de Tempeste ou de della Bella. On aurait dit une couleuvre debout sur sa queue, tant elle avait une démarche onduleuse, souple et serpentine. A travers toutes ses grâces, comme elle savait jeter quelque chose de venimeux! Avec quelle prestesse inquiétante et railleuse elle se dérobait aux adorations prosternées des beaux seigneurs véninitiens!

Nous avons rarement vu un type dessiné d'une manière si nette et si franche; et, quoique mademoiselle Juliette ait une plus grande réputation comme jolie femme que comme actrice, nous ne savons pas trop quelle comédienne aurait découpé aussi rapidement une silhouette étincelante sur le fond sombre de l'action.

La tête de mademoiselle Juliette est d'une beauté régulière et délicate qui la rend plus propre au sourire de la comédie qu'aux convulsions du drame; le nez est pur, d'une coupe nette et bien profilée, les yeux sont diamantés et limpides, peut-être un peu trop rapprochés, défaut qui vient de la trop grande finesse des attaches du nez; la bouche, d'un incarnat humide et vivace, reste fort petite même dans les éclats de la plus folle gaieté. Tous ces traits, charmants en eux-mêmes, sont entourés par un ovale, du contour le plus suave et le plus harmonieux; un front clair et serein comme le fronton de marbre blanc d'un temple grec, couronne lumineusement cette déli

cieuse figure; des cheveux noirs abondants, d'un reflet admirable, en font ressortir merveilleusement, par la vigueur du contraste, l'éclat diaphane et lustré.

Le col, les épaules, les bras sont d'une perfection tout antique chez mademoiselle Juliette; elle pourrait inspirer dignement les sculpteurs, et être admise au concours de beauté avec les jeunes Athéniennes qui laissaient tomber leurs voiles devant Praxitèle méditant sa Vénus.

(LE FIGARO, 29 octobre 1837.)

MADAME JENNY COLON-LEPLUS

NÉE EN 1808

MORTE EN 1842

Jusqu'à présent les belles actrices de notre galerie sont des types de beautés brunes; mademoiselle Elssler rappelle les belles danseuses ioniennes qui voltigent si légèrement sur le fond noir des vases étrusques et des fresques d'Herculanum; mademoiselle Georges est une Melpomène antique, œil noir faisant tache sur une face de marbre: mademoiselle Juliette réalise les nymphes élégantes et sveltes des bas-reliefs de la Renaissance, jolie comme une Parisienne de nos jours, belle comme une Grecque du temps de Périclès. Ce sont plutôt des modèles pour le sculpteur que pour le peintre; leur beauté tient plutôt à la finesse ou à la sévérité des lignes qu'à l'agrément de la physionomie ou à la richesse de la couleur.

Consignons ici une remarque que l'on n'a pas encore faite c'est à savoir que le type blond tend à disparaître complétement, et qu'il se fait dans les races un mouvement contraire à celui que l'on avait constaté: le Nord recule devant le Midi; les femmes qui sont aujourd'hui proclamées reines de beauté appartiennent presque toutes au caractère méridional.

« PrécédentContinuer »