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carnasse (1), comment il mit le droit de suffrage entre les mains des principaux citoyens. Il avoit divisé le peuple de Rome en cent quatrevingt-treize centuries, qui formoient six classes. Et mettant les riches, mais en plus petit nombre, dans les premières centuries; les moins riches, mais en plus grand nombre, dans les suivantes, il jeta toute la foule des indigens dans la dernière : et chaque centurie n'ayant qu'une voix (2), c'étoient les moyens et les richesses qui donnoient le suffrage plutôt que les personnes.

Solon divisa le peuple d'Athènes en quatre classes. Conduit par l'esprit de la démocratie, il ne les fit pas pour fixer ceux qui devoient élire, mais ceux qui pouvoient être élus : et, laissant à chaque citoyen le droit d'élection, il voulut (3) que dans chacune de ces quatre classes on pût élire des juges; mais que ce ne fût que dans les trois premières, où étoient les citoyens aisés, qu'on pût prendre les magistrats.

Comme la division de ceux qui ont droit de suffrage est, dans la république, une loi fonda

(1) Liv. IV, art. 15 et suiv.

(2) Voyez, dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, chap. 1x, comment cet esprit de Servius Tullius se conserva dans la république.

(3) Deuys d'Halicarnasse, éloge d'Isocrate, p. 97, t. II, édition de Wechelius. Pollux, liv. VIII, ch. x, art. 130.

mentale, la manière de le donner est une autre loi fondamentale.

Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie; le suffrage par choix est de celle de l'aristocratie.

Le sort est une façon d'élire qui n'afflige peril laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie.

sonne;

Mais, comme il est défectueux par lui-même, c'est à le régler et à le corriger que les grands législateurs se sont surpassés.

Solon établit à Athènes que l'on nommeroit par choix à tous les emplois militaires, et que les sénateurs et les juges seroient élus par le

sort.

Il voulut choix les maque l'on donnât par gistratures civiles qui exigeoient une grande dépense, et que les autres fussent données par

le sort.

Mais, pour corriger le sort, il régla qu'on ne pourroit élire que dans le nombre de ceux qui se présenteroient; que celui qui auroit été élu, seroit examiné des juges (1), et que chacun pourroit l'accuser d'en être indigne (2): cela te

par

(1) Voyez l'oraison de Démosthène, de falsâ legat., et l'oraison contre Timarque.

(2) On tiroit même, pour chaque place, deux billets; l'un qui

noit en même temps du sort et du choix. Quand on avoit fini le temps de sa magistrature, il falloit essuyer un autre jugement sur la manière dont on s'étoit comporté. Les gens sans capacité devoient avoir bien de la répugnance à donner être tirés au sort.

leur nom pour

La loi qui fixe la manière de donner les billets de suffrage est encore une loi fondamentale dans la démocratie. C'est une grande question, si les suffrages doivent être publics ou secrets. Cicéron (1) écrit que les lois (2) qui les rendirent secrets dans les derniers temps de la république romaine furent une des grandes causes de sa chute. Comme ceci se pratique diversement dans différentes républiques, voici, je crois, ce qu'il

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Sans doute que, lorsque le peuple donne ses suffrages, ils doivent être publics (35) ; et ceci doit être regardé comme une loi fondamentale de la démocratie. Il faut que le petit peuple soit éclairé par les principaux, et contenu par la gravité de

donnoit la place, l'autre qui nommoit celui qui devoit succéder, en cas que le premier fût rejeté.

(1) Liv. I et III des Lois.

(2) Elles s'appeloient lois tabulaires. On donnoit à chaque citoyen deux tables: la première, marquée d'un A, pour dire antiquo; l'autre, d'un U et d'un R, uti rogas.

(3) A Athènes, on levoit les mains.

certains personnages. Ainsi, dans la république romaine, en rendant les suffrages secrets, on détruisit tout; il ne fut plus possible d'éclairer une populace qui se perdoit. Mais lorsque dans une aristocratie le corps des nobles donne les suffrages (1), ou dans une démocratie le sénat (2), comme il n'est là question que de prévenir les brigues, les suffrages ne sauroient être trop secrets.

La brigue est dangereuse dans un sénat; elle est dangereuse dans un corps de nobles: elle ne l'est pas dans le peuple, dont la nature est d'agir par passion. Dans les états où il n'a point de part au gouvernement, il s'échauffera pour un acteur comme il auroit fait pour les affaires. Le malheur d'une république, c'est lorsqu'il n'y a plus de brigues; et cela arrive lorsqu'on a corrompu le peuple à prix d'argent : il devient de sang-froid, il s'affectionne à l'argent; mais il ne s'affectionne plus aux affaires : sans souci du gouvernement, et de ce qu'on y propose, il attend tranquillement son salaire.

C'est encore une loi fondamentale de la dé

(1) Comme à Venise,

(2) Les trente tyrans d'Athènes voulurent que les suffrages des aréopagites fussent publics, pour les diriger à leur fantaisie. Lysias, orat. contra Agorat., cap. VIII.

y a

mocratie, que le peuple seul fasse des lois. Il pourtant mille occasions où il est nécessaire que le sénat puisse statuer; il est même souvent à propos d'essayer une loi avant de l'établir. La constitution de Rome et celle d'Athènes étoient très-sages. Les arrêts du sénat (1) avoient force de loi pendant un an; ils ne devenoient perpétuels que par la volonté du peuple.

CHAPITRE III.

Des lois relatives à la nature de l'aristocratie.

DANS l'aristocratie (2), la souveraine puissance est entre les mains d'un certain nombre de personnes. Ce sont elles qui font les lois et qui les font exécuter; et le reste du peuple n'est tout au plus à leur égard que comme dans une monarchie (3) les sujets sont à l'égard du monarque.

On n'y doit point donner le suffrage par sort; on n'en auroit que les inconvéniens. En effet,

(1) Voyez Denys d'Halicarnasse, liv. IV et IX.

(2) L'aristocratie étant un mauvais gouvernement, à quoi est-il bon d'en prescrire les lois ? H.

(3) La monarchie est une sorte d'aristocratie dont le souverain choisit les membres. H.

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