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ou mis à mort, que parmi nous, où les princes du sang jouissent d'une condition qui, si elle n'est pas si satisfaisante pour l'ambition, l'est peut-être plus pour les désirs modérés.

Les princes des états despotiques ont toujours abusé du mariage (1). Ils prennent ordinairement plusieurs femmes, surtout dans la partie du monde où le despotisme est pour ainsi dire naturalisé, qui est l'Asie. Ils en ont tant d'enfans, qu'ils ne peuvent guère avoir d'affection pour eux, ni ceux-ci pour leurs frères.

La famille régnante ressemble à l'état : elle est trop foible, et son chef est trop fort; elle paroît étendue, et elle se réduit à rien. Artaxerxès (2) fit mourir tous ses enfans pour avoir conjuré contre lui. Il n'est pas vraisemblable que cinquante enfans conspirent contre leur père; et encore moins qu'ils conspirent parce qu'il n'a pas voulu céder sa concubine à son fils aîné. Il est plus simple de croire qu'il y a là quelque intrigue de ces sérails d'Orient, de ces lieux où l'artifice, la méchanceté, la ruse, règnent dans le silence, et se couvrent d'une épaisse nuit; où un vieux prince, devenu tous les jours plus

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(1) La polygamie de fait est le partage des puissans. Ce n'est pas le despotisme, c'est la corruption qui le produit. H...

(2) Voyez Justin, liv. X, chap. 1 et 11.

:

imbécile, est le premier prisonnier du palais. Après tout ce que nous venons de dire, il sembleroit que la nature humaine se souleveroit sans cesse contre le gouvernement despotique; mais, malgré l'amour des hommes pour la liberté, malgré leur haine contre la violence, la plupart des peuples y sont soumis cela est aisé à comprendre. Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir; donner, pour ainsi dire, un lest à l'une pour la mettre en état de résister à une autre : c'est un chef-d'œuvre de législation que le hasard fait rarement, et que rarement on laisse faire à la prudence. Un gouvernement despotique, au contraire, saute, pour ainsi dire, aux yeux; il est uniforme partout comme il ne faut que des passions pour l'établir, tout le

monde est bon

pour

cela.

CHAPITRE XV.

Continuation du même sujet.

DANS les climats chauds, où règne ordinairement le despotisme, les passions se font plus tôt sentir, et elles sont aussi plus tôt amor

ties (1); l'esprit y est plus avancé; les périls de la dissipation des biens y sont moins grands; il y a moins de facilité de se distinguer, moins de commerce entre les jeunes gens renfermés dans la maison; on s'y marie de meilleure heure : on y peut donc être majeur plus tôt que dans nos climats d'Europe. En Turquie, la majorité commence à quinze ans (2).

La cession de biens n'y peut avoir lieu. Dans un gouvernement où personne n'a de fortune assurée, on prête plus à la personne qu'aux biens.

Elle entre naturellement dans les gouvernemens modérés (3), et surtout dans les républiques, à cause de la plus grande confiance que l'on doit avoir dans la probité des citoyens, et de la douceur que doit inspirer une forme de gouvernement que chacun semble s'être donnée lui

même.

Si dans la république romaine les législateurs avoient établi la cession de biens (4), on ne

(1) Voyez le livre ( XIV ) des Lois, dans le rapport avec la nature du climat.

(2) La Guilletière, Lacédémone ancienne et nouvelle, pag. 463. (3) Il en est de même des atermoiemens dans les banqueroutes de bonne foi..

(4) Elle ne fut établie que par la loi Julia, de cessione bonorum, On évitoit la prison, et la cession de biens n'étoit pas ignominieuse. Cod., liv. II, tit. XII.

seroit pas tombé dans tant de séditions et de discordes civiles, et on n'auroit point essuyé les dangers des maux, ni les périls des remèdes.

La pauvreté et l'incertitude des fortunes, dans les états despotiques, y naturalisent l'usure, chacun augmentant le prix de son argent à proportion du péril qu'il y a à le prêter. La misère vient donc de toutes parts dans ces pays malheureux ; tout y est ôté, jusqu'à la ressource des emprunts.

Il arrive de là qu'un marchand n'y sauroit faire un grand commerce; il vit au jour la journée s'il se chargeoit de beaucoup de marchandises, il perdroit plus par les intérêts qu'il donneroit pour les payer qu'il ne gagneroit sur les marchandises. Aussi les lois sur le commerce n'y ont-elles guère de lieu; elles se réduisent à la simple police...

Le gouvernement ne sauroit être injuste, sans avoir des mains qui exercent ses injustices or il est impossible que ces mains ne s'emploient pour elles-mêmes. Le péculat est donc naturel dans les états despotiques.

Ce crime y étant le crime ordinaire, les confiscations y sont utiles. Par-là on console le peuple; l'argent qu'on en tire est un tribut considérable, que le prince leveroit difficilement

sur des sujets abîmés : il n'y a même, dans ce pays, aucune famille qu'on veuille conserver.

Dans les états modérés, c'est tout autre chose. Les confiscations rendroient la propriété des biens incertaine; elles dépouilleroient des enfans innocens; elles détruiroient une famille, lorsqu'il ne s'agiroit que de punir un coupable. Dans les républiques, elles feroient le mal d'ôter l'égalité qui en fait l'âme, en privant un citoyen de son nécessaire physique (1).

Une loi romaine veut (2) qu'on ne confisque que dans le cas de crime du lèse-majesté au premier chef (3). Il seroit souvent très-sage de suivre l'esprit de cette loi, et de borner les confiscations à de certains crimes. Dans les pays où une coutume locale a disposé des propres, Bodin (4) dit très-bien qu'il ne faudroit confisquer que les acquêts.

(1) Il me semble qu'on aimoit trop les confiscations dans la république d'Athènes.

(2) Authent. Bona damnatorum. Cod. de bon. proscript. seu damn. (5) L'histoire prouve qu'il n'est aucune espèce de gouvernement où l'appât des confiscations n'ait mis en danger la vie des meilleurs citoyens. Les admettre pour quelque crime que ce soit, c'est créer des tyrans pour enrichir des délateurs. H.

(4) Livre V, chapitre III.

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