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ne formoient point un corps de monarchie. L'Aragon n'en formoit pas un avec la Castille; les parties séparées de l'Espagne en étoient affoiblies, et l'affoíblissoient. La Moscovie n'étoit pas plus connue en Europe que la Crimée.

CHAPITRE X.

De la foiblesse des états voisins.

LORSQU'ON a pour voisin un état qui est dans sa décadence, on doit bien se garder de hâter sa ruine, parce qu'on est à cet égard dans la situation la plus heureuse où l'on puisse être, n'y ayant rien de si commode pour un prince que d'être auprès d'un autre qui reçoit pour lui tous les coups et tous les outrages de la fortune. Et il est rare que, par la conquête d'un pareil état, on augmente autant en puissance réelle qu'on a perdu en puissance relative.

LIVRE X.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT

AVEC LA FORCE OFFENSIVE.

CHAPITRE I.

De la force offensive.

La force offensive est réglée par le droit des gens, qui est la loi politique des nations considérées dans le rapport qu'elles ont les unes avec les autres.

CHAPITRE II.

De la guerre.

LA vie des états est comme celle des hommes: ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle; ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation.

Dans le cas de la défense naturelle, j'ai droit de tuer, parce que ma vie est à moi, comme la vie de celui qui m'attaque est à lui ; de même un état fait la guerre, parce que sa conservation est juste comme toute autre conservation.

Entre les citoyens, le droit de la défense naturelle n'emporte point avec lui la nécessité de l'attaque. Au lieu d'attaquer, ils n'ont qu'à recourir aux tribunaux. Ils ne peuvent donc exercer le droit de cette défense que dans les cas momentanés où l'on seroit perdu si l'on attendoit le secours des lois. Mais entre les sociétés, le droit de la défense naturelle entraîne quelquefois la nécessité d'attaquer, lorsqu'un peuple voit qu'une plus longue paix en mettroit un autre en état de le détruire, et que l'attaque est dans ce moment le seul moyen d'empêcher cette destruction.

Il suit de là que les petites sociétés ont plus souvent le droit de faire la guerre que les grandes,. parce qu'elles sont plus souvent dans le cas de craindre d'être détruites.

Le droit de la guerre dérive donc de la nécessité et du juste rigide. Si ceux qui dirigent la conscience ou les conseils des princes. princes ne se tiennent pas là, tout est perdu; et, lorsqu'on se fondera sur des principes arbitraires de gloire,'

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Que l'on ne parle pas surtout de la gloire du prince sa gloire seroit son orgueil; c'est une passion, et non pas un droit légitime.

Il est vrai que la réputation de sa puissance pourroit augmenter les forces de son état; mais la réputation de sa justice les augmenteroit tout de même.

CHAPITRE III.

Du droit de conquête.

Du droit de la guerre dérive celui de conquête, qui en est la conséquence ; il en doit donc suivre l'esprit.

Lorsqu'un peuple est conquis, le droit que le conquérant a sur lui suit quatre sortes de lois : la loi de la nature, qui fait que tout tend à la conservation des espèces; la loi de la lumière naturelle, qui veut que nous fassions à autrui ce que nous voudrions qu'on nous fit; la loi qui forme les sociétés politiques, qui sont telles que la nature n'en a point borné la durée ; enfin la loi tirée de la chose même. La conquête est une

acquisition; l'esprit d'acquisition porte avec lui l'esprit de conservation et d'usage, et non pas

celui de destruction.

Un état qui en a conquis un autre le traite d'une des quatre manières suivantes : il continue à le gouverner selon ses lois, et ne prend pour lui que l'exercice du gouvernement politique et civil; ou il lui donne un nouveau gouvernement politique et civil; ou il détruit la société et la disperse dans d'autres; ou enfin il extermine tous les citoyens.

La première manière est conforme au droit des gens que nous suivons aujourd'hui ; la quatrième est plus conforme au droit des gens des Romains sur quoi je laisse à juger à quel point nous sommes devenus meilleurs. Il faut rendre ici hommage à nos temps modernes, à la raison présente, à la religion d'aujourd'hui, à notre philosophie, à nos mœurs.

Les auteurs de notre droit public, fondés sur les histoires anciennes, étant sortis des cas rigides, sont tombés dans de grandes erreurs. Ils ont donné dans l'arbitraire; ils ont supposé dans les conquérans un droit, je ne sais quel, de tuer ce qui leur a fait tirer des conséquences terribles comme le principe, et établir des maximes que les conquérans eux-mêmes, lors

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