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prises. Il est clair que lorsque la conquête est faite le conquérant n'a plus le droit de tuer, puisqu'il n'est plus dans le cas de la défense naturelle et de sa propre conservation.

Ce qui les a fait penser ainsi, c'est qu'ils ont cru que le conquérant avoit droit de détruire la société; d'où ils ont conclu qu'il avoit celui de détruire les hommes qui la composent; ce qui est une conséquence faussement tirée d'un faux principe. Car, de ce que la société seroit anéantie, il ne s'ensuivroit pas que les hommes qui la forment dussent aussi être anéantis. La société est l'union des hommes, et non pas les hommes; le citoyen peut périr, et l'homme rester.

Du droit de tuer dans la conquête, les politiques ont tiré le droit de réduire.en servitude: mais la conséquence est aussi mal fondée que le principe.

On n'a droit de réduire en servitude que lorsqu'elle est nécessaire pour la conservation de la conquête. L'objet de la conquête est la conservation : la servitude n'est jamais l'objet de la conquête ; mais il peut arriver qu'elle soit un moyen nécessaire pour aller à la conservation.

Dans ce cas, il est contre la nature de la chose

que cette servitude soit éternelle. Il faut que le

peuple esclave puisse devenir sujet. L'esclavage dans la conquête est une chose d'accident. Lorsqu'après un certain espace de temps toutes les parties de l'état conquérant se sont liées avec celles de l'état conquis par des coutumes, des mariages, des lois, des associations, et une certaine conformité d'esprit, la servitude doit cesser : car les droits du conquérant ne sont fondés que sur ce que ces choses-là ne sont pas, et qu'il y a un éloignement entre les deux nations tel que l'une ne peut pas prendre confiance en l'autre.

Ainsi le conquérant qui réduit le peuple en servitude doit toujours se réserver des moyens (et ces moyens sont sans nombre) pour l'en faire sortir.

Je ne dis point ici des choses vagues. Nos pères, qui conquirent l'empire romain, en agirent ainsi. Les lois qu'ils firent dans le feu, dans l'action, dans l'impétuosité, dans l'orgueil de la victoire, ils les adoucirent leurs lois étoient dures, ils les rendirent impartiales. Les Bourguignons, les Goths et les Lombards, vouloient toujours que les Romains fussent le peuple vaincu; les lois d'Euric, de Gondebaud et de Rotharis, firent du Barbare et du Romain des concitoyens (1).

(1) Voyez le code des lois des Barbares, et le liv. XXVIII, ciaprès.

Charlemagne, pour dompter les Saxons, leur ôta l'ingénuité et la propriété des biens. Louisle-Débonnaire les affranchit (1) : il ne fit rien de mieux dans tout son règne. Le temps et la servitude avoient adouci leurs mœurs ; ils lui furent toujours fidèles.

CHAPITRE IV.

Quelques avantages du peuple conquis.

Au lieu de tirer du droit de conquête des conséquences si fatales, les politiques auroient mieux fait de parler des avantages que ce droit peut quelquefois apporter au peuple vaincu. Ils les auroient mieux sentis, si notre droit des gens étoit exactement suivi, et s'il étoit établi dans toute la terre.

Les états que l'on conquiert ne sont pas ordinairement dans la force de leur institution : la

corruption s'y est introduite; les lois y ont cessé d'être exécutées; le gouvernement est devenu oppresseur. Qui peut douter qu'un état pareil ne ga

(1) Voyez l'auteur incertain de la vie de Louis-le-Débonnaire, dans le recueil de Duchesne, tome II, page 296.

gnât, et ne tirât quelques avantages de la conquête même, si elle n'étoit pas destructrice? Un gouvernement parvenu au point où il ne peut plus se réformer lui-même, que perdroit-il à être refondu? Un conquérant qui entre chez un peuple où, par mille ruses et mille artifices, le riche s'est insensiblement pratiqué une infinité de moyens d'usurper, où le malheureux qui gémit, voyant ce qu'il croyoit des abus devenir des lois, est dans l'oppression, et croit avoir tort de la sentir; un conquérant, dis-je, peut dérouter tout, et la tyrannie sourde est la première chose qui souffre la violence.

On a vu, par exemple, des états, opprimés par les traitans, être soulagés par le conquérant qui n'avoit ni les engagemens ni les besoins qu'avoit le prince légitime. Les abus se trouvoient corrigés sans même que le conquérant les corrigeât.

Quelquefois la frugalité de la nation conquérante l'a mise en état de laisser aux vaincus le nécessaire, qui leur étoit ôté sous le prince légitime.

Une conquête peut détruire les préjugés nuisibles, et mettre, si j'ose parler ainsi, une nation sous un meilleur génie.

Quel bien les Espagnols ne pouvoient-ils pas

faire aux Mexicains? Ils avoient à leur donner une religion douce; ils leur apportèrent une superstition furieuse. Ils auroient pu rendre libres les esclaves; et ils rendirent esclaves les hommes libres. Ils pouvoient les éclairer sur l'abus des sacrifices humains; au lieu de cela, ils les exterminèrent. Je n'aurois jamais fini si je voulois raconter tous les biens qu'ils ne firent pas, et tous les maux qu'ils firent.

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C'est à un conquérant à réparer une partie des maux qu'il a faits. Je définis ainsi le droit de conquête un droit nécessaire, légitime et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense pour s'acquitter envers la nature humaine.

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CHAPITRE V.

Gélon, roi de Syracuse.

Le plus beau traité de paix dont l'histoire ait parlé est, je crois, celui que Gélon fit avec les Carthaginois. Il voulut qu'ils abolissent la coutume d'immoler leurs enfans (1). Chose ad

(1) Voyez le recueil de M. de Barbeyrac, art. 112.

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