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Car leurs théologiens, observe avec raison Isidore'. étaient les mêmes que leurs physiciens, et on ne les appela théologiens que parce qu'ils considéraient la Nature sous ses rapports de divinité. Je pourrais en dire autant des premiers poètes et des plus anciens philosophes; car, dans ces temps éloignés, tout se confondait ensemble, poésie, philosophie, théologie, oracles, etc. Les prêtres étaient tout; ils étaient les dépositaires de toutes les connaissances naturelles, les peintres et les chantres de la Nature. Pour donner plus de dignité à leurs leçons, ils prirent le style mesuré de la poésie; le nombre et l'harmonie du vers retraça la marche régulière des corps célestes, et leurs retours périodiques. Les accords de la musique imitèrent l'harmonie universelle. Ils se saisirent des grandes figures, tracèrent de grandes images, pour s'élever en quelque sorte à la hauteur de leur sujet. En chantant les Dieux, ils voulurent paraître inspirés par eux, et remplis d'une sorte d'enthousiasme qui les tirait de l'état naturel et du rang de l'homme ordinaire.

Ils eurent recours au merveilleux de la fiction pour piquer la curiosité de l'homme, presque toujours ami des récits surprenans, et pour l'étonner par des prodiges, afin de subjuguer son admiration et son respect pour leurs leçons. Ils couvrirent le corps sacré de la Nature du voile de l'allégorie, qui la cachait aux profanes, et ne la laissait apercevoir qu'au sage qui l'avait crue digne de faire l'objet de

1 Isid. Orig., l. 8, c. 6.

TOME 1er.

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ses recherches et de son étude. Elle ne se montrait qu'à ceux qui l'aimaient véritablement, et repoussait loin d'elle la coupable indifférence, qu'elle livrait aux erreurs et aux préjugés de l'ignorance. Elle ne se présentait à ceux-ci que sous des dehors monstrueux et sous des formes bizarres, plus propres à effrayer qu'à plaire. Le plaisir était réservé tout entier à ceux qui cherchaient à la deviner, et qui, par des efforts soutenus, montraient qu'ils étaient dignes d'être admis dans son sanctuaire.

« Les sages de la Grèce, dit Pausanias, ne s'exprimaient autrefois que d'une manière énigmatique, et jamais d'une manière directe et naturelle1. »

Pausanias fait cette remarque à l'occasion des aventures monstrueuses de Saturne et de Rhée, où l'on voit un père dévorer ses enfans, et une mère lui donner une pierre et un cheval à dévorer pour le tromper, et pour sauver Neptune et Jupiter. Pausanias s'excuse d'être obligé de rapporter ces faits et d'autres semblables, en disant que les Arcadiens, les peuples les plus anciens de la Grèce, lui avaient appris que c'était sous cette forme bizarre que les anciens philosophes instruisaient les hommes, et que ces récits merveilleux cachaient l'ancienne sagesse des Grecs. Nous sommes entièrement de cet avis, et nous croyons qu'on doit appeler la mythologie, comme l'a fait le fameux chancelier Bacon, Wisdom of the ancients, la sagesse

1 Paus. Arcad., p. 242.

de l'antiquité. L'explication que nous venons de donner du mariage d'Uranus et de Ghê, premiers Dieux de toutes les mythologies, premiers rois de toutes les anciennes histoires, parce qu'ils sont les deux premières causes de la Nature, dont le concours produit tout, nous paraît justifier cette dé→ nomination, et prouver que la mythologie ne contient que les dogmes de la philosophie ancienne sur les causes, et qu'un tableau des agens et des phénomènes de la Nature; en un mot, qu'elle est une véritable physiologie écrite en style poéticoallégorique.

Salluste le philosophe expose les raisons qui ont engagé les anciens physiologues à emprunter ce langage figuré et ce style énigmatique'. « C'est, dit-il, premièrement parce que la Nature doit être chantée dans un langage qui imite le secret de sa marche et de ses opérations. Le monde lui-même est pour nous une espèce d'énigme. On ne voit que des corps mis en mouvement; mais la force et les ressorts qui les meuvent sont cachés. En second lieu, ce style bizarre pique la curiosité du sage, qui est averti par l'absurdité apparente de ces récits que la chose ne doit point être prise à la lettre; mais qu'il y a quelque vérité et des idées sages cachées sous ce voile mystérieux. Eh! pourquoi ces mutilations, ces meurtres, ces adultères et ces vols que la fable impute aux Dieux? N'est-ce pas évi

1 Salluste, c. 3.

demment afin que l'esprit du lecteur soit averti par cette absurdité même que ces récits ne sont qu'une enveloppe et un voile, et que la vérité qu'ils couvrent est un secret? Le but qu'on s'est proposé a été d'exercer l'esprit de celui qui étudie ces allégories, et qui veut en pénétrer les sens. Les poètes inspirés par la Divinité, les philosophes les plus sages, tous les théologiens, les chefs des initiations et des mystères, les Dieux eux-mêmes en rendant des oracles, tous ont emprunté le langage figuré de l'allégorie.

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L'empereur Julien donne à peu près les mêmes raisons que Salluste de l'usage que firent les anciens philosophes du style figuré et du merveilleux pour cacher les mystères de leur sagesse. A ces motifs s'en joint encore un autre que donnent les anciens, celui de rendre la Nature et la science sacrée plus respectables, et un autre peut-être qu'ils ne donnent pas, celui de se faire plus considérer euxmêmes, et d'en imposer aux peuples par l'appareil d'une science dont l'accès n'était pas facile

à tous.

« Les Égyptiens avaient préféré cette forme d'enseignement, dit Proclus', et ils ne parlaient que par énigmes mythologiques des grands secrets de la Nature. » Les gymnosophistes de l'Inde et les druides de la Gaule prêtaient à la science le même langage énigmatique, au rapport de Diogene-Laërce. On a vu dans Sanchoniaton que

1 Procl., in Tim.., p. 40.- 2 Laert. prœm., p. 4.

c'était aussi dans ce style qu'écrivaient les hiérophantes de Phénicie.

Nous conclurons donc que la mythologie n'est point l'histoire des hommes, et ne contient point les plus anciennes annales du genre humain défigurées par la main du temps, mais bien l'histoire de la Nature et des causes, écrite en style allégorique, conformément au génie et au goût des anciens philosophes, et surtout des Orientaux. En conséquence, nous retrancherons Uranus et Ghê du nombre des premiers rois, et l'époque de leur règne des fastes de la chronologie. Le sort des pères décidera de celui de leurs enfans, de leurs petitsenfans et de leurs neveux. L'un suit nécessairement de l'autre. La route est ouverte, suivons-la. Le caractère de la mythologie est connu et bien pro

noncé.

CHAPITRE III.

SUBDIVISION DE LA CAUSE ACTIVE OU D'URANUS.

Le principe actif de la Nature, ou le ciel, père de toutes choses, n'était pas un être simple, mais un être composé de l'assemblage de plusieurs parties qui formaient son corps divin (n). C'était un Dieu composé de plusieurs Dieux, suivant la doctrine des Égyptiens, et suivant Orphée, qui em

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