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les I", il servit de règle à Cromwel et à Charles II. II inspirait à Guillaume III ce manifeste où il reprochait à Louis XIV d'avoir souffert de la part de ses sujets la violation des droits de la couronne d'Angleterre sur les mers britanniques. Le Mare clausum est resté le guide de tous les écrivains qui ont soutenu plus tard le même principe, comme le Mare liberum a inspiré les défenseurs de la justice et du véritable droit des gens.

Nous n'entrerons pas dans une plus longue analyse du mémoire de M. Franck, et nous renverrons à ce que nous avons dit dans un précédent compte rendu.

Nous reviendrons, dans notre prochaine revue sur la communication qu'a faite M. Moreau de Jonnès, touchant le rapport sur les travaux du conseil central de salubrité et des conseils d'arrondissement du département du Nord pendant l'année 1859, sur le rapport verbal qu'a fait M. Michel Chevalier sur l'ouvrage de M. Jules Duval, intitulé: La colonie d'aliénés de Gheel, rapport qui a donné lieu à des observations de MM. Villermé, Lélut, Dunoyer et Giraud. Nous parlerons aussi d'une autre discussion non moins intéressante, celle qu'a soulevée la continuation du mémoire de M. Laferrière sur l'administration comparée des États provinciaux de France avant 1789, discussion où MM. Dumon, Passy, de Parieu, Damiron ont pris la parole, et qui a occupé une des séances de l'Académie les plus piquantes de l'année 1860.

Nous ne dirons rien du rapport verbal que M. Wolowski a fait sur la statistique de la France pour 1856, publiée par M. Legoyt; les lecteurs du journal connaissent déjà cette publication importante, et nous attendrons également un autre compte rendu pour mentionner le rapport qu'a fait M. de Lavergne sur la Statistique de la France comparée avec les autres Etats de l'Europe, de M. Maurice Block, où ont été heureusement signalés les mérites du livre. Nous n'avons pas besoin d'analyser le rapport de M. L. Reybaud sur l'industrie du coton en France, en Angleterre, en Suisse et en Allemagne. Le Journal reproduira in extenso ce travail de maître, écrit avec autant de charme que d'art, et où éclatent les plus rares et les plus brillantes qualités du publiciste.

Ce n'est qu'après l'avoir lu et médité qu'on pourra saisir la portée et la valeur des observations qu'il a amenées de la part de MM. Villermé, Ch. Lucas, de Lavergne, Dunoyer, Michel Chevalier, H. Passy et Du

mon.

Les rapports ont été, au reste, nombreux durant ce trimestre. Il nous faut encore mentionner celui de M. Wolowski sur la traduction qu'a donnée M. Massé, vice-président du tribunal de première instance de la Seine, de l'ouvrage du jurisconsulte allemand Zachariæ, intitulé : Le droit civil français. Il est important pour nos magistrats de connaître les jugements portés sur les principaux points de notre législation

par un professeur éminent de l'Allemagne, étranger à nos idées et à nos habitudes d'esprit. Ce rapport a donné lieu à des observations de MM. Giraud, Cousin et Passy.

Afin de ne pas réserver pour la prochaine revue tous ces rapports où les auteurs ont su mettre en relief les qualités des ouvrages qu'ils signalaient à l'attention de leurs confrères, je dirai seulement quelques mots du rapport que M. Barthélemy Saint-Hilaire a consacré à un livre estimable sorti d'un des concours ouverts par l'Académie: Les principes de la science du beau, par M. A.-Ed. Chaignet, professeur au prytanée de La Flèche. L'auteur y a tracé avec talent l'histoire des divers systèmes d'esthétique, après avoir fait connaître les principes sur lesquels repose la théorie du beau. Il a donné ensuite le système et la critique des arts particuliers.

L'esthétique est une science généralement peu goûtée en France et qui trouve en Allemagne de nombreux adeptes. Le livre de M. Chaignet, bien pensé et bien écrit, est de nature à nous réconcilier avec une étude qui épure notre goût, analyse finement nos sentiments et fournit à nos appréciations des règles plus sûrês et des horizons plus étendus.

M. Giraud a commencé la lecture d'un mémoire de M. le comte Sclopis, correspondant de l'Académie, sur l'histoire de la législation italienne sous la domination française de 1800 à 1814. OEuvre d'un des jurisconsultes les plus distingués du Piémont, ce travail est de nature à jeter un grand jour sur quelques phases des événements contemporains.

Le même membre a continué sa savante communication sur le Traité de la république de Cicéron, dont nous avons parlé dans un de nos précédents comptes rendus.

M. le marquis d'Audiffret a, de son côté, commencé la lecture d'un mémoire ayant pour titre : Aperçu du progrès du crédit public et de la fortune nationale, depuis 1789 jusqu'en 1860. Nous attendrons pour analyser ce travail et parler des remarques qu'il a provoquées au sein de l'Académie, que la lecture en soit achevée. La profonde science financière de l'auteur inspire, pour les idées qui y sont exposées, une grande confiance.

M. le baron Charles Dupin a communiqué, dans une des dernières séances de décembre, une notice sur les travaux de lord Macaulay relatifs à l'histoire de l'Inde, et raconté un des épisodes les moins connus de la vie du grand historien anglais.

Leibnitz, cet illustre penseur dont la doctrine a fait l'objet d'un excellent concours où l'Académie couronna l'an dernier MM. Nourrisson et Foucher de Careil, est un esprit si riche, si puissant, il offre des aspects si divers, qu'on est loin d'avoir encore épuisé l'étude de sa vie et de ses écrits. S'aidant des documents réunis par le second de ces lauréats, M. Ad. Garnier a communiqué à ses confrères des observations

intéressantes qui ont appelé quelques judicieuses remarques de M. Giraud.

M. Nourrisson a été admis à lire un mémoire sur les travaux inédits du même philosophe. Pendant un voyage qu'il avait entrepris à Hanovre, dans le but spécial de prendre connaissance de quelques-uns de ses papiers inédits, le savant professeur a pu se faire une idée plus exacte de cet étonnant génie, auquel aucune branche de nos connaissances, même les plus frivoles, n'est restée étrangère. Toutefois, ce qui domina toujours en Leibnitz, c'est le philosophe, c'est le côté philosophique qui le frappe avant tout dans chaque science, et quand il aborde les questions théologiques, on reconnaît, non le théologien, mais le penseur. Le véritable caractère de l'auteur de la Théodicée apparaît surtout dans sa correspondance avec Bossuet. On avait voulu voir en lui un protestant prêt à se convertir au catholicisme. La lecture de ses lettres et de ses papiers a convaincu M. Nourrisson que cette appréciation était inexacte. Leibnitz est demeuré toujours un protestant très-ferme, résolûment opposé à l'autorité du pape, et s'il tenta entre les communions un rapprochement qui n'était en réalité qu'un traité de paix, c'était, non une fusion qu'il poursuivait, mais un bon accord réclamé par l'intérêt politique et moral de la chrétienté. Aussi, comme il n'entendait en aucune façon accepter le principe de l'autorité infaillible de l'Eglise romaine en matière de foi, qu'il voulait discuter ce que Bossuet pensait qu'on devait admettre sans discussion, ne pût-il s'entendre avec l'éloquent évêque.

M. Nourrisson a donné dans sa notice les détails les plus neufs et les plus piquants sur Leibnitz et complété ainsi le beau travail qui lui a fait partager la couronne avec M. Foucher de Careil.

Le mémoire de M. Antonin Rondelet, intitulé: Les lois morales de la production matérielle, dont M. L. Reybaud a donné lecture, nous a paru aussi distingué par la forme que par le fond.

M. Rondelet a eu surtout en vue de caractériser et de définir ce qu'il appelle la morale économique. Cette morale est à ses yeux tout à fait distincte de l'économie politique, et, bien loin de se confondre avec ellé, elle serait appelée à la dominer, même à la remplacer.

L'homme total, constitué par un corps et une âme, trouve dans le corps un instrument et non pas une fin; il est tenu d'entretenir ce serviteur, et, sans lui refuser son salaire, de ne pas perdre sur lui son empire. Nos obligations envers le corps ne se mesurent donc pas aux satisfactions qu'il réclame avec tant d'avidité et quelquefois d'indiscrétion, mais à l'emploi que l'àme est tenue d'en faire pour accomplir d'autres devoirs; la mesnre dans laquelle ces besoins inférieurs doivent être tour à tour contentés et contenus est la mesure dans laquelle les satisfactions

qu'on leur accorde ou qu'on leur refuse peuvent les rendre plus capables de nous servir.

Dès que la production de l'utile destiné à satisfaire nos besoins physiques ou matériels n'est plus un but, mais un moyen, l'économie politique ne saurait plus se réduire à l'étude des faits, ni leur demander une loi supérieure, sous peine de devenir chimérique et de s'appuyer sur un cercle vicieux. La production de l'utile, sa distribution, sa consommation sont trois ordres de phénomènes qu'il appartient sans doute à l'expérience de constater au point de vue économique, mais que la philosophie est seule capable de régler ; les principes qui gouvernent ces faits relèvent de la morale; cette dernière science donne des préceptes de conduite aux peuples comme aux individus.

Cette manière de voir conduit M. Rondelet à accuser l'économie politique d'une erreur dangereuse, c'est d'avoir voulu jusqu'à ce temps constituer une science distincte et capable de se suffire. L'économie politique, comme la statistique qui lui prête son secours, recueille des résultats; à la morale économique il appartient de les régulariser.

Tel est le point de vue auquel se place M. Rondelet. Nous sommes loin de partager toutes ses idées, et il y a quelque danger, ce nous semble, à tenter de spiritualiser, comme il le fait, l'économie politique; -on enlève alors à la science son caractère positif et certain pour la faire rentrer dans le vague et le contestable qui s'attachent à tant de questions de métaphysique. Il n'y a pas de doute que l'âme doit gouverner le corps; mais craignons, sous prétexte que l'économie politique n'est que la servante de la morale, de répéter ce que la scolastique avait fait jadis de la philosophie, en prétendant que celle-ci ne devait être qu'ancilla theologiæ.

Quoi qu'il en soit, le travail de M. Rondelet, écouté par l'Académie avec un vif intérêt, est l'œuvre d'un esprit éminent et d'un dialecticien exercé; il appelle nos méditations les plus sérieuses.

Un des lauréats de l'Académie, M. Ed. de la Barre-Duparcq, qui poursuit avec succès l'ordre d'études qui l'ont déjà fait distinguer par l'Institut, a été admis à lire un morceau ayant pour titre : Parallélisme des progrès de la civilisation et de l'art militaire.

Le savant officier a entrepris de démontrer par les faits une vérité qui nous paraît incontestable, c'est que les progrès de l'art militaire ont généralement suivi ceux de la civilisation; qu'ils l'ont même souvent servie, soit en l'empêchant de succomber sous les attaques des barbares moins avancés dans l'art de la guerre, soit en agrandissant ses ressources et son domaine.

La guerre paraît être une nécessité de la vie de l'humanité; c'est une crise qui, comme la crise de l'économie, a ses effets salutaires; elle retrempe les caractères, elle forme les grands hommes et renouvelle les

forces d'un Etat, mais, ainsi que la maladie, sous la condition de n'être ni trop dévastatrice, ni trop prolongée. M. de la Barre-Duparcq emprunte ses preuves à des faits généralement connus. Il ne faut pas chercher dans son mémoire une œuvre d'érudition, mais une appréciation philosophique et morale appuyée des connaissances spéciales de l'officier, un travail en un mot tel qu'il convient à une Académie qui n'embrasse l'histoire dans le cercle de ses attributions que par ce côté.

La puissance de l'art militaire, ainsi que le remarque le professeur de l'école de Saint-Cyr, repose sur la force de la société, et cette force est en raison de la civilisation.

M. de la Barre-Duparcq a passé en revue dans son aperçu toutes les époques, commençant par l'antiquité. Il est à regretter qu'il ne nous ait pas davantage entretenu de l'Asie. Babylone et Ninive furent de grandes puissances militaires, et ce sont les empires que l'on trouve à la base de l'histoire des peuples civilisés. La supériorité de leur organisation militaire est comme empreinte sur les bas-reliefs de Nimroud, de Khorsabad et de Koioundjik, qui nous mettent sous les yeux tant de scènes de la vie militaire des Assyriens.

L'Académie a renouvelé son bureau pour l'année 1864. Ont été élus: M. Giraud, président; M. Lélut, vice-président.

ALFRED MAURY.

REVUE SCIENTIFIQUE

BIBLIOGRAPHIE.

SOMMAIRE. - I. Gheel, ou une colonie d'aliénés vivant en famille et en liberté, par M. Jules Duval. 1 vol. in-18. Paris. Guillaumin et Ce, éd. De l'interdiction des aliénés, par H. de Castelnau. 1 vol. gr. in-8°. Paris, chez Durand, libraire, 5, rue des Grès. II. Les grandes inventions, par L. Figuier. 1 vol. in-8°, chez L. Hachette et Cc. L'année scientifique et industrielle, par le même. Même librairie. III. La Science pittoresque, par Lucien Platt.

I. On ne sait vraiment où s'arrêtera le besoin d'émancipation qui, depuis un siècle environ, tourmente les fils de Voltaire, les disciples de l'Encyclopédie, les continuateurs de la Révolution, et qui a gagné, à leur insu peut-être, beaucoup d'hommes médiocrement enthousiastes, d'ailleurs, des principes de 89 et peu sympathiques aux hardiesses des novateurs. Ces gens-là ne peuvent souffrir le spectacle de l'injustice et de l'oppression, si humbles et si méprisées qu'en soient les victimes, si

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